NOIR ECLAIR. Les olympiens éclairs de ZEVS à Vincennes
ZEV, Perpetual Ending (2006-2016). Techniques mixtes, 800 x 60 cm.. Installation disposée dans la Sainte-Chapelle © photographie Le Curieux des arts Antoine Prodhomme, exposition ZEVS. NOIR ECLAIR, château de Vincennes, septembre 2016.
ZEVS ou appelez-le simplement Aguirre. Ce pseudonyme, ZEVS, si proche du nom du maître des dieux de l'Olympe puisqu'il se prononce Zeus, il l'a soustrait des Enfers, de ce royaume souterrain, de ce tunnel où une rame du RER A faillit... en un éclair... l'écraser. Le nom de cette rame dans le couloir de laquelle il taguait ? Zeus. Le voici en pleine lumière, aujourd'hui, dans un bâtiment patrimonial. À lui le château de Vincennes, ce lieu d'histoire, cette ancienne résidence royale avec l'iconographie de Louis IX rendant la justice sous un chêne, cette forteresse, cette caserne, cette prison du marquis de Sade et de Diderot qui y fut détenu pour avoir publié Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient. Dans une exposition rétrospective et introspective, dans les extérieurs, la Sainte Chapelle, les douves, l'extérieur et l'intérieur du donjon de ce château, surgissent 25 interventions réactivées ou créées de cet artiste (né en 1977), commissariat de Marie Deparis-Yafil et Stéphane Chatry. NOIR ECLAIR. Noir et clair. Noir éclaire. Ou tout simplement Éclair puisque ceci évoque la première signature de cet artiste. Ou Noir dans un renvoi vers son vrai nom : Schwarz dont la traduction en français est noir. Couleur dont l'on se plaît à dire poétiquement que la lumière en surgit. Les sonorités de ces deux mots permettent la construction de multiples hypothèses. Pour Marie Deparis-Yafil, NOIR ECLAIR renvoit à "plusieurs niveaux d'interprétation. La lumière et la question du contraste avec la lumière sont au cœur de la démarche de l'artiste sur le plan formel depuis le début. Lorsqu'il graffait dans la rue, sa démarche était nocturne. Son travail est essentiellement l'idée de révéler l'invisible de choses qui n'étaient pas visibles. Beaucoup de ses œuvres s'intéressent à la lumière, sont lumineuses d'où ce contraste entre lumière et obscurité.". Elles sont dans la continuation de son cheminement, depuis ses Electric Shadows de la fin des années 1990, jusqu'à l'apparition de l'invisible avec la peinture au pigment fluo luminescent révélant par l'ultraviolet Invisible Graffiti rédigé par un prisonniers " Heureux les yeux / fermés aux choses / extérieures et / ouvertes aux / intérieurs", en passant par le graffiti Proper Graffiti – Flaming, réalisé au karcher par hydrogommage qui de la saleté des douves du donjon fait naître des flammes par cette technique habituellement utilisée pour ôter les tags des murs. Tagg propre.
ZEV, Les cibles (2016). Trois tourets, 250 / 200 /150 cm de Ø chacun. Bois et techniques mixtes. Installation disposée dans la cour du château © photographie Le Curieux des arts Antoine Prodhomme, exposition ZEVS. NOIR ECLAIR, château de Vincennes, septembre 2016
Bande de marques jaunes (2014-2016) apposée sur la tour du village et Liquidated Logo Ferrari (2016) à l'entrée du donjon illustrent sa démarche plastique sur les marques de luxe et leurs détournements en logo "liquéfié" avec "ces deux couleurs si emblématique de sa démarche plastique : le jaune et le noir", dans une réflexion, ici, des barreaux de prison que ce lieu fut à un moment mais aussi de la dimension médiévale par ses chevaliers. Dans la Sainte-Chapelle, Perpetual Ending (2006-2016) est une projection réactualisée en temps réel d'images diffusées par les chaînes d’information en continu du monde entier sur la sculpture monumentale The End, si emblématique des films d'Hollywood. Les trois tourets : Les Cibles (2016), objets de la rue placés à côté de la chapelle sont l'écho du chantier de ce bâtiment ; "une trace jaune, sur l'un des tourets, est référence à l'Homme de Vitruve, celui de Léonard de Vinci, l'artiste, l'un des fil conducteur de cette exposition [avec le logo LDV]. Mais l'homme est parti, d'où ce questionnement de sa place dans le monde.".
ZEV, Machination (2016). Distributeur automatique, assiettes de porcelaine, programmation, Led, amplificateur. Avant & après © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition ZEVS. NOIR ECLAIR, château de Vincennes, visite presse, septembre 2016
L'histoire de ce lieu de pouvoir et de majesté apparaît fortement dans le donjon avec les quatre Visual Rapes, photographies flashées de rois de France aux visages occultés par une lumière vive en masquant l’identité mais si reconnaissables dans notre mémoire et l'Autoportrait Louis XIV, copie en bronze du buste en marbre du roi par Le Bernin ; son front fut troué d'un rai de soleil au four solaire d'Odeillo - Font Romeu, liquidation humoristique mais bien physique du roi soleil par son emblème. Le socle de miroirs sur lequel il est posé fait écho à la galerie versaillaise des Glaces. Ceci ne doit pas faire oublier le versant tragique du pouvoir. Derrière la lumière surgit l'obscur, celui de Machination (2016), distributeur automatique d'assiettes de porcelaine placé dans la salle du conseil, "avec la représentation d'un (ou d'une) guillotiné de la Révolution française sur chacune d'elle, rejouant l'exécution avec le bruit sourd du tombé de la porcelaine." Tel le rappel du "rasoir national" sur la place de la Révolution.
ZEVS, La fabrique (2014-2016). Rouleau de tissu 240 x 2500 cm sur support découpé par l'artiste © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition ZEVS. NOIR ECLAIR, château de Vincennes, visite presse, septembre 2016
ZEVS interrogatif, ZEVS curieux avec la présence d'une pièce sonore, jamais diffusée : Ma Musée (1998) - je vous laisse deviner le jeu de mots -, valisette contenant des enregistrements téléphoniques, œuvre marquante soulignant l'aspect rétrospectif de cette exposition. Succession d'enregistrements dans lesquels il téléphone à des galeristes en leur posant candidement la question à laquelle aucune solution ne peut être apportée : comment devient-on artiste ? "Jusqu'à les pousser dans leur retranchement puisque n'ayant pas de réponse, ils raccrochent à cet étrange jeune homme.". ZEVS aime le jeu, le détournement, ayant créé en 2005 le logo LDV, si proche de celui d'une marque française de luxe mais renvoyant à la réalité de l'illustre italien : Léonard De Vinci. Ce monogramme, il en couvre un sac en bronze doré placé sous une copie de la Joconde : Mona Lisa and Handbag (2008-2015), le transforme en boucles de ceinture présentées dans la "Boutique LDV" mais, frustration pour les fashionables, ces ceintures ne sont pas mises en vente. Heureusement aussi que les accrocs des marques ne pourront pas accéder à Alibaba (2016), une pièce sombre dont ils découvriront par l'entrebaîllement de la porte qu'elle recèle des dizaines de sacs, des copies "Made in China". En compensation de cette addiction aux marques, peut-être auront-ils la possibilité de repartir de La Fabrique (2014-2016) avec un morceau de textile imprimé noir et jaune, ce tissu recouvrant chaises et méridiennes disposées dans le parcours de l'exposition ?
Gilles Kraemer
Ce texte est paru sous un format réduit dans la revue Artaïssime, numéro 14, octobre-décembre 2016 sous le titre ZEVS lance ses éclairs à Vincennes.
ZEVS. NOIR ECLAIR
16 septembre 2016 - 29 janvier 2016
Château de Vincennes - 1, avenue de Paris - 94300 Vincennes
Catalogue ZEVS Noir Eclair Black Lightning avec des photographies in situ. Textes en français et traduction en anglais des commissaires associés. ZEVS, plasticien et peintre conceptuel par Stéphane Chatry, Notices par Marie Deparis-Yafil. Retranscription de l'enregistrement téléphonique de 62 minutes de Ma Musée permettant de lire la réponse que lui donna le galeriste Jean Fournier à son interrogation de comment devenir un artiste. 120 pages. SilvanaEditoriale éditions. 25 euros ou 30 $
www.monuments-nationaux.fr/
© photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition ZEVS. NOIR ECLAIR, château de Vincennes, visite presse, septembre 2016