Dans les rets tissés des Amours, entre Vices et Vertus
Exposition Amours, Vices & Vertus. Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, juin 2015
Tisser le jour. Détisser la nuit. Ainsi Pénélope, la vertueuse épouse, inversait continuellement son travail en attendant le retour d'Ulysse, son mari aimé. Aujourd'hui, la femme amoureuse retrouverait-elle ce stratagème pour repousser sans cesse ses soupirants ?
Jean-Luc Verna, Paramor, 2011. Transfert sur medium rehaussé de pastel sec, 150 ampoules rouges, système électrique. Diamètre 500 cm. © Remerciement Air de Paris, Paris. Photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, juin 2015
Question éternelle de l'amour, des amours, entre passion et raison. Permanence de ce thème sur lequel s'interroge la Galerie nationale de la tapisserie de Beauvais avec Amours, Vices & Vertus, en un dialogue entre 14 tapisseries et 11 papiers peints du XVIe au XVIIIe siècle et les œuvres de 12 artistes contemporains, dans un parcours très aéré, de Martine Abellea et ses photographies de la série Épaves du désir à Jean-Luc Verna et son immense Paramor - cinq mètres de diamètre - gigantesque et humoristique détournement-jeu de mots entre la société de production cinématographique Paramout / par amour, dont les studios américains firent fantasmer par leurs images de stars et d'héroïnes mythiques.
Comme le soulignent les commissaires -uniquement des femmes- "dans cet appel à la contemporanéité du discours amoureux, il était hors de propos de trouver des tendances. La démarche fut de demander à ces artistes si leurs pièces correspondaient et pouvaient créer un dialogue avec des œuvres tissées ou peintes mais surtout pas dans une démarche de littéralité". La ligne retenue étant celle de la mise en dialogue entre art contemporain et art ancien, "l'ancien devant s'éclairer dans sa relation avec le contemporain".
Vues de l'exposition Amours, Vices & Vertus. Anne Brégeaut, Histoire de Clorinde et Tancrède, Les Métamorphoses d'Ovide. Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, juin 2015
De ces amours anciens, notre compréhension n'est pas celle du passé. Face aux trois tapisseries de l'Histoire de Clorinde et Tancrède (vers 1645-1660), transcription imagée de La Jérusalem délivrée de Le Tasse, qui connaît encore cet auteur italien du XVIe siècle dont les mots tissés retranscrivent la naissance des passions, l'amour chaste et la mort de l'être aimé ? Alors que Un morceau de toi (2013) d'Anne Brégeaut nous parle plus, dans cette mèche de cheveux s'échappant d'un panneau peint de fleurs qui nous renvoie vers ces tresses de cheveux gage d'une amour éternel mais aussi vers le côté mortifère de la personne disparue dont l'on souhaite garder un souvenir. Ne se rappelle-t-on pas les bracelets tissés en cheveux ou les médaillons contenant quelques mèches, très en vogue au XIXe siècle ? Cette permanence du thème de l'amour puise dans l'antiquité, convoquant le poète épique latin Ovide et Les Métamorphoses avec le grand papier peint panoramique en grisaille de 10 lés (fin du fin du XVIIIe siècle) retraçant sur les murs des maisons bourgeoises et des nobles salons, les aventures des dieux, héros et mortels, dans des développés incluant aussi bien des scènes violentes qu'amoureuses.
Vues de l'exposition Amours, Vices & Vertus. Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, juin 2015
L'exposition s'ouvre sur deux tapisseries des années 1520 : L'Amour sacré et L'Amour profane. Dans une représentation très réductrice de ces allégories au temps de la Renaissance, l'homme ne pouvait qu'être pur esprit, tendant une main vers le Christ et tenant de l'autre une sphère armillaire symbole de l'univers, toute une glorification de l'amour divin. Et la femme avec Cupidon aux yeux bandés et une scène galante ne pouvait qu'être la personnification de l'amour irraisonné, de l'amour profane. Étrange césure à laquelle répond Annette Messager et sa Collection de proverbes (1974), trentaine de tissus brodés rappelant le trousseau de la jeune fille, proverbes les plus invraisemblables par leur misogynie tel l'homme pense, la femme dépense. La pièce de Michael Roy (2005), reproduisant en boucle une même phrase une peu catégorique inscrite en lettres d'or sur du satin noir, est un bel écho aux phylactères déroulés dans ces deux tapisseries.
Dans sa dualité, l'amour tangue entre élévation et anéantissement. Amour d'Adonis (vers 1570) personnifiant la jeunesse et l'amour naissant dans un amour partagé entre deux femmes qui finira tragiquement, tué par un sanglier Tout bascule dans la violence lorsqu'il s'agit de conquérir l'être aimé contre sa volonté avec Lucrèce et Tarquin (XVIe siècle), récit de l'histoire romaine, dans laquelle la vertu conjugale est mise à mal dans l'acte violent et transgressif du viol. Face à ce déshonneur, Lucrèce se suicidera.
Détails de La Tenture du Monde, Bruxelles, vers 1520-1530. Exposition Amours, Vices & Vertus. Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, juin 2015
Aujourd'hui, comment cette passion s'exprime-t-elle ? Si l'on en croit Michael Roy, d'une façon assez triste et banale puisque explorant Internet en tapant I miss you, tu me manques, des photographies d'une grande platitude remontaient dans un résultat images : Sans titre (2015), 30 photographies de dimensions variables. Pour un devenir d'un discours amoureux et intime, exposé sur "la toile", visible de tous.
Tristesse du langage actuel amoureux, de sa représentation, devant laquelle les trois tentures bruxelloises: La Tenture du Monde (vers 1520-1530) avec Le Triomphe de la Vanité sur son char, Le Monde mis en balance, Le Monde ne tient qu'à un fil nous impressionnent par le fantastique de leur sujet moralisateur, dans ce combat entre Vices et Vertus, tentation et charité, hypocrisie et humilité. Regardez la Vanité se contemplant dans un miroir ou Justice arrachant à l'aide d'une pince la langue de Blasphème. Toutes ces images, à cinq siècles de distance, émeuvent et évoquent toujours leur histoire, retranscription qui sourd de la vidéo Sans titre (2015) d'Ange Leccia, commande de la ville de Beauvais, avec des images de tapisseries dans un regard choisi de l'artiste.
Vues de l'exposition Amours, Vices & Vertus. Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, juin 2015
Amours et délices se lovent dans le long couloir en sous-sol de la Galerie, propice à exposer les douze manchettes de chemises d'hommes revisitées par Philippe Favier avec le titre très explicite de La Veuve poignet ; d'un format très restreint, ses dessins nous obligent à un regard voyeuriste. Regard continué sur un mur de papier peint de Fariba Hajamadi (2015) aux motifs extraits d'un livre de positions indien sur lequel sont accrochés le papier peint-toile de Jouy d'Ida Tursic & Wilfried Mille (2012-2014), d'un innocence enfantine au premier regard mais délivrant des images saphiques et des papiers peints du XIXe siècle, très sages, aux inspirations mythologie ou de veine troubadour.
Sorti de ce couloir des passions ravageuses ou calmes, laissez-vous envahir par la majesté des trois immenses Grotesques sur fond jaune tissés à Florence vers 1546-1560. Nous sommes bien loin du propos des Amours mais, pourquoi pas ? Ce sont des pièces rarement vues. Alors ne boudons pas notre plaisir, un joli vice qu'il faut parfois satisfaire. Par la contemplation et un œil amoureux.
Gilles Kraemer
Amours , Vices & Vertus
30 mai-16 août 2015
Galerie nationale de la tapisserie
60 000 Beauvais
commissariat Monique Blanc, Véronique de la Hougue, Françoise-Claire Prodhon, Gaïdig Lemarié
http:/.mobiliernational.culture.gouv.fr/fr/infos-pratiques/beauvais
http://beauvais.fr/actualites/prochainement-a-beauvais/671-amours-vices-et-vertus.html
Pas de catalogue. Plaquette de 30 pages distribuée.
Profitez de votre venue à Beauvais pour assister au son et lumière Beauvais, la cathédrale infinie imaginé par Skertzò et visiter le musée de l'Oise, ré-ouvert sous le nom de MUDO.