Entre Hendrick Goltzius, Jacques de Gheyn & Vincent Van Gogh, dans l'éblouissement des dessins et tableaux de la Fondation néerlandaise P. & N. de Boer
Jacques de Gheyn II (Anvers 1565-1629 La Haye), Tête de veau écorchée, 1599. Pointe de pinceau, lavis rouge, gris et jaune, rehauts de blanc. 157 x 202 mm © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P.& N. de Boer, Amsterdam
Que du plaisir, en ressortant de cette exposition présentée à la fondation Custodia, du Chemin de croix et Crucifixion (vers 1530) de l'atelier du Monogrammiste de Brunswick à Champ de blé (juin 1888) de Vincent van Gogh en passant par l'impressionnante, superbe et tellement inattendue aquarelle d'une Tête de veau écorchée de Jacques de Gheyn II ! Remarquable. Sa date : 1599. Non, vous ne rêvez pas. Étonnante de réalisme, l'œil du bovidé semble encore plein de vie. Quelle audace pour happer cette tête ensanglantée, encore toute fraîche, se détachant d'un fond gris ! En deux couleurs prédominantes, tout est dit. « Il fallait oser cette image confrontante » résume Ger Luijten, le directeur de la Custodia, que nous avions rencontré à Amsterdam, à la fondation P. & N. de Boer, partageant son enthousiasme, lorsqu'il finalisait le choix des tableaux et dessins (400 feuilles dont il en a retenu une centaine, du XVIe au XIXe siècle, d'artistes hollandais et flamands) de cette institution qui allait être présenté à la Custodia.
Jacques de Gheyn II (Anvers 1565-1629 La Haye), Démocrite et Héraclite, vers 1603. Pierre noire et rehauts de blanc, sur papier beige clair. 237 x 280 mm © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
De ce même peintre d'Anvers, Gheyn II, comment ne pas s'attarder devant son Étude d'un cheval sellé d'après nature ou Démocrite et Héraclite, (vers 1603) l'un riant, l'autre pleurant, de chaque coté d'un globe, dessin préparatoire pour une Vanité du Metropolitan museum à New York .
A l'origine de toutes ces merveilles : le marchand néerlandais Piet de Boer (1894-1974) qui décida de transférer sa collection à une fondation, en 1964, portant son prénom et celui de son épouse Nelly décédée en 1960. Depuis, la collection de dessins français et italiens de cette fondation fut vendue en juillet 1995 par Christie's Londres. Sa galerie, ouverte en 1922, existe toujours, tenue par les membres de sa famille, dans une magnifique maison, entre façade donnant sur le canal Herengracht, au numéro 512 (Le Quai des hommes) et de magnifiques et insoupçonnés jardins amsterdamois. Comme à Venise.
Vues du 512 Herengracht, Amsterdam // Ger Luijten, directeur de Custodia, au 512 Herengracht, Amsterdam, avec quelques œuvres de la Fondation P. et N. de Boer choisies pour être présentées à Custodia © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
Une galerie dans un intérieur du XVIIe siècle, plus une maison qu'un lieu du commerce d'art. Jardin de buis et d'arbres délicieusement fouillis, meubles anciens, parquets craquants, lumière douce, vases de fleurs, compositions de coquillages et de coraux, un piano à queue et, sur les murs des toiles proposées aux amateurs. L'on est comme chez soi, dans ce raffinement imperceptible néerlandais, dans cette façon si simple de présenter des œuvres et de les laisser parler au regard.
Hendrick Goltzius (Mühlbracht 1558-1617 Haarlem), Crâne dans une niche murale, 1616. Huile sur panneau. 51 X 39 cm // Portrait de Jan Govertsz van der Aar, 1603. Huile sur toile. 107,5 x 82,7 cm // Cornelis Cornelisz van Haarlem (Haarlem 1562-1638 Haarlem), Neptune et Amphitrite, vers 1616-1617. Huile sur panneau. 72 x 92,5 cm // Exposition à Custodia, Paris © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
L'œuvre, uniquement l'œuvre, pas de scénographie pompeuse. Custodia, comme le cabinet des dessins Jean Bonna à l'École nationale supérieur des beaux-arts, est l'exemple à suivre pour cette façon de présenter le dessin et le tableau si simplement. Enfin presque, car si vous faites attention, très attention, vous remarquerez le tableau Neptune et Amphitrite (vers 1616-1617) de Cornelis Cornelisz van Haarlem, avec sa concentration de coquillages exotiques dignes d'une Kunstkammer au premier plan, placé au dessus de la cheminée. « Accroché ici mais pas innocemment, nous avoue Ger Luijten, « le Conus marmoreus, à la coquille noire et blanche, dans le coin droit du tableau, renvoie subtilement au marbre de la cheminée ».
Comme également un rappel pour la toile placée à sa gauche : Portrait de Jan Govertsz van der Aar (1603) par Hendrick Goltzius, représentant ce collectionneur de coquillages de Haarlem, tenant dans sa main gauche un Turbo marmoratus, dans un geste identique à celui de Neptune. Comme un rappel de Piet de Boer qui étudia la zoologie avant d'aborder le métier de marchand d'art et dont les goûts picturaux le portèrent vers des sujets avec coquillages et fleurs.
Pays-Bas du Nord, vers 1620-1640, Œillets dans un bocal en verre sur une table. Huile sur panneau. 60,5 x 52 cm. Ces fleurs symbolisent le supplice du Christ sur la croix. © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
Regardez dans la même salle les deux bouquets de fleurs d'Ambrosius Bosschaert l'Ancien, les huit Oeillets dans un flacon de porcelaine de Balthasar van der Ast et surtout les Œillets dans un bocal en verre sur une table, à côté de … deux coquillages, attribués à un peintre des Pays-Bas du Nord (vers 1620-1640), une audace démontrant que ce marchand achetait pour le plaisir du beau.
Jacques de Gheyn II (Anvers 1565-1629 La Haye), Fulgore porte-lanterne, 1620. Pinceau et aquarelle sur vélin. 113 X 167 mm © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
Comme une synthèse de ses deux thèmes de prédilection, la petite huile sur cuivre de Jan Brueghel l'Ancien le concrétise avec Souris, roses en bouton, chenille, papillon, abeille coucou et fourmi (vers 1605). La formation scientifique de Pieter de Boer transparait avec l'aquarelle sur vélin de Jacques de Gheyn II Fulgore porte-lanterne (1620), cet étrange insecte du Suriname et d'autres parties d'Amérique du Sud, dans des tonalités de brun, encore une étrangeté de la nature que devaient « s'arracher » les Cabinets de curiosité au XVIIe siècle.
Joachim Wtewael (Utrecht 1566-1638 Utrecht), Mars, Vénus et Cupidon, vers 1610. Huile sur cuivre, signature de l'artiste en bas à droite. 18,2 x 13,5 cm © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
Portez votre regard vers le Portrait d'un homme de vingt-huit ans (1601) de Cornelis Ketel. Rien ne vous trouble mais, si vous connaissez le néerlandais, l'inscription à droite « tout en moi ainsi peint, sans le moindre pinceau » est édifiante ; souffrant d'un handicap affectant la préhension des objets, ce peintre de Gouda peignait avec ses doigts !
Plongez dans les amours tumultueuses des dieux avec Vénus trompant son boiteux époux Vulcain avec le viril Mars, la belle est surveillée par Cupidon, du maniériste hollandais Joachim Wtewael (mais cette huile sur cuivre sera, peut-être, déjà partie pour l'exposition de ce peintre à Utrecht du 21 février 2015 au 25 mai, Washington du 28 juin au 4 octobre et Houston du 1er novembre au 31 janvier 2016) dans son cadre d'époque. Songez à l'éphémère face au Crâne dans une niche murale d'Hendrick Goltzius, pas une simple vanité mais une contemplation sur la propre vie de l'artiste puisque datée de 1616, soit quelques mois avant son décès. Dans cette peinture sans ornement, un crâne et un épitaphe, tout est exprimé. Alors que la mort se cache presque dans le Paysage d'hiver avec des patineurs d'Hendrick Avercamp (vers 1620) avec ces deux minuscules cadavres à la potence, tout à gauche.
Dirck de Vries (actif à Venise entre 1587 et 1617, voire plus tard, Une mère avec ses deux enfants et trois servantes, 1590. Plume et encre brune, lavis brun, collé en plein. 196 X 139 mm // Hendrick Goltzius (Mühlbracht 1558-1617 Haarlem), Portrait d'un garçon, vraisemblablement Frederick de Vries, 1590-1591. Verso : Tête d'une femme. Pointe d'argent, sur vélin préparé jaunâtre. 64 x 54 mm © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
« Cette collection se caractérise par la qualité de préservation de ces dessins » souligne Ger Luijten. Comment ne pas éprouver de la stupéfaction face à l'aspect, comme récent et impeccable, de la sanguine Le Festin de Balthazar de l'entourage d'Aertgen Claesz van Leyden, technique surtout italienne à cette époque et peu répandue en 1556 dans le Nord, la fraîcheur de L'Adoration des Mages (vers 1549-1560) du Maître de l'Adoration du Liechtenstein, papier préparé rose clair avec ses rehauts de noir et de blanc ou la délicatesse de la Vierge à l'Enfant, d'après Guinten Massijs, Pays-Bas du Sud (vers 1505-1520), vraisemblablement un dessin d'atelier pour garder trace de cette huile sur bois, aujourd'hui au musée royal des Beaux-Arts de Bruxelles, papier préparé gris sur lequel les encres grise et noire jouent des rehauts de blanc soulignant les plis du grand manteau de la mère.
Coup de cœur pour deux dessins pour lesquels Ger Luijten nous raconte la belle histoire de la famille du peintre Dirck de Vries, actif à Venise entre 1587 et 1617, qui dans un dessin daté du 6 octobre 1590 représenta Une mère avec ses deux enfants et trois servantes, vraisemblablement son épouse Eugenia et ses deux fils. De Vries demanda à Goltzius, de passage à Venise et résidant chez lui, d'amener avec lui ses deux enfants Frederick et Pieter Antonij à Haarlem pour les y élever. Regardez bien, à côté, le dessin à la pointe d'argent double face sur un vélin préparé jaunâtre d'un Jeune garçon par Goltzius (1590-1591). Il s'agit vraisemblablement de Frederick de Vries, le cadet, un dessin empli d'amour et de délicatesse dont l'identification s'appuie sur la gravure de Frederick au chien (1597) gravée par Goltzius afin de l'envoyer au père de l'enfant à Venise.
Vincent van Gogh (Zundert 1853-1890 Auvers-sur-Oise), Rive plantée d'arbres, printemps 1887. Huile sur toile. 38 x 46 cm // Le Moulin de Blute-Fin, printemps 1886. Craie noire, bleue et rouge, plume et encre, pinceau et aquarelle opaque, sur papier vergé. 310 x 240 mm // Champ de blé, juin 1888. Huile sur toile. 50 x 61 cm // Exposition à Custodia, Paris © Le curieux des arts Gilles Kraemer. Remerciements à la Fondation P. & N. de Boer, Amsterdam
Grand écart dans la collection de De Boer qui ne collectionna pas que les maîtres anciens, Jacob Hoefnagel, Abraham Bloemaert, Crispijn de Passe le Jeune, Jan van Goyen ou Adriaen Hendriksz Verboom. Des dessins et des huiles de Vincent van Gogh sont présentés ici. Dessins consacrés à sa période hollandaise, entre septembre 1881 et décembre 1882, paysans et une femme cousant, et à sa période parisienne (Le Moulin de Blute-Fin). Peintures de sa période hollandaise, parisienne et arlésienne (Champ de blé).
Une belle exposition pour le cinquantenaire de la Fondation P. & N. de Boer. Mais, est-il nécessaire de souligner la qualité des expositions de Custodia !
Gilles Kraemer
envoyé spécial à Amsterdam
Arie Schippers, Page d’un carnet de croquis : Paraphrase de Las Meninas, 2000. Crayon graphite, 14,7 x 9,4 cm © Arie Schippers, Amsterdam.
Entre Goltzius et Van Gogh. Dessins et tableaux de la Fondation P. & N. de Boer
13 décembre 2014 – 8 mars 2015
Fondation Custodia - 121, rue de Lille – 75007 Paris
Goltzius Van Gogh. Drawnings and paintings from the P. & N. de Boer Foundation. Édité par Hans Buijs et Ger Luijten. Superbe catalogue, uniquement en anglais, magnifiquement mis en page pour le plaisir du lecteur. Préface de Ger Luijten. Présentation de la P. & N. de Boer Foundation par Rudi E.O. Ekkart. Notices des œuvres présentées, toutes reproduites, des 84 artistes, de Pieter Aertsen à Joachim Wtewael. 281 pages. Publication Fondation Custodia, Paris et THOTH Publishers, Bussum (Pays-Bas). Pour ceux qui ne pratiquent pas l'anglais, un guide de 72 pages, en français, est remis gracieusement. Chacune des 122 œuvres exposées y est commentée. Je recommande cependant l'achat de ce catalogue.
Également, dans les locaux de la Custodia, et aux mêmes dates, exposition Entre notation et rêve. L'oeuvre sur papier d'Arie Schippers avec quelques sculptures. Catalogue dans un très beau format à l'italienne, tel un carnet de dessins, remarquablement bien mis en page. Texte très sensible de Gijsbert van der Wal, traduit du néerlandais par Édouard Vergnon, sur le magnifique travail de cet artiste néerlandais né en 1952. 160 pages. Éditions De Weideblik.
La bibliothèque de la Custodia est, avec 130 000 volumes, l'une des institutions spécialisées en l'histoire de l'art. Elle est maintenant installée au 4e étage de l'hôtel Lévis-Mirepoix, au 121 de la rue de Lille. Du lundi au vendredi, de 14h à 18h.
Custodia, n'est pas centrée uniquement sur des dessins des écoles du Nord ; le prochain événement sera les dessins italiens : Raphaël, Titien, Michel-Ange. Dessins italiens du Städel Museum de Francfort (1430-1600) & autres dessinateurs sans oublier Pontormo. Encore de belles feuilles au moment du printanier Salon du dessin au palais Brongniart. Le travail très fort des dessins et estampes, avec Cirque d'encres de Gèr Boosten (né en 1947 aux Pays-Bas), vivant en France depuis 1996 sera montrée concomitamment dans une volonté de Custodia de présenter des œuvres sur papier de contemporains. Aux mêmes dates, du 21 mars au 21 juin 2015.