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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (à partir du communiqué de presse).    

 

 

LE parfait exemple de la " quadrature du cercle " dans le domaine de la bibliophilie pour cet ouvrage insigne. Tous les éléments sont là, me dirait un libraire-expert.

 

Lettre-dédicace de Marcel Proust à Marie Scheikévitch en tête de son exemplaire de Du côté de chez Swann © Droits réservés.

Livre essentiel de la littérature, grand écrivain, édition originale, grand papier, envoi, tous les éléments sont réunis pour cette perle rare pour laquelle la Bibliothèque nationale de France lance un appel au don.

Ni le communiqué de presse ni le site Internet de la Nationale n'indiquent la provenance de cet ouvrage que la Bibliothèque nationale de France souhaite acquérir en lançant cet appel au don ni combien cette institution doit-elle réunir pour cette acquisition ! Silence. Collection privée ? Succession ? Marché de l'art ? Libraire ? Prix ? 

 

Il a été, permis d'apprendre depuis la rédaction de ce papier, mais par une autre source, que ce livre est acheté à un collectionneur privé de gré à gré pour 350 000 €.  https://www.actualitte.com/article/patrimoine-education/la-bnf-lance-un-appel La répartition étant de 250 000 euros pour cette levée de fond et 100 000 euros via le mécénat d'entreprise. 

Prix non excessif si on le compare à l'un des cinq exemplaires imprimés sur Japon impérial. Le numéro 5, exemplaire de Louis Brun, secrétaire général des éditions Bernard Grasset, adjugé chez Sotheby's Paris le 30 octobre 2017 pour 535 000 € frais inclus. Ou l'exemplaire de Lucien Daudet, le numéro 1 sur Japon impérial, que Sotheby’s Paris adjugea, lors de la vente Simonson-Kies, 601 500 € frais inclus en décembre 2013. http://www.lecurieuxdesarts.fr/2017/10/mythique-n-5-l-exemplaire-de-louis-brun-de-du-cote-de-chez-swann-de-marcel-proust.html

 

Que vouloir de plus ? L’édition originale de Du côté de chez Swann, achevé d’imprimer le 8 novembre 1913. L’exemplaire de tête de l’édition - après les 5 sur Japon impérial, il est l’un des douze sur Hollande Van Gelder, portant le numéro 10 -. L'exemplaire que Proust dédicace en 1915 à Marie Scheikévitch - immortalisée par la suite dans Sodome et Gomorrhe -. La longue lettre-dédicace de huit pages qu’il a écrite en tête et qui constitue un témoignage capital sur la création proustienne et la genèse de l’ensemble de A la recherche du temps perdu. La " quadrature du cercle " parfaite.

 

Lettre-dédicace de Marcel Proust à Marie Scheikévitch en tête de son exemplaire de Du côté de chez Swann © Droits réservés.

" Un jour de découragement, comme Proust se plaignait à Mme Scheikévitcht que personne ne manifestât la moindre curiosité de ce deviendraient par la suite les personnages de Swann : « Mais moi, lui dit-elle, je suis infiniment curieuse ; je voudrais tant savoir, surtout, ce que deviendra Mme Swann ». Alors Proust prit l’exemplaire de Swann qu’il lui avait donné et qu’elle avait fait merveilleusement relier [en vélin], ce dont il s’était montré vivement touché, et, lui désignant les feuillets blancs qui précédaient le texte : « Je vous répondrai là-dessus », lui dit-il. Quelques semaines après, en novembre ou en décembre 1915, il lui retournait l’exemplaire avec, sur ces pages couvertes de son écriture, l’inestimable document que nous avons tenu à reproduire en fac-similé…" René Guillouin, 1928. (1)

Cette lettre et son fac-similé sont reproduits dans Marcel Proust. Lettres à Madame Scheikévitch, éditions Librairie des Champs-Elysées, 1928.

 

Lettre-dédicace de Marcel Proust à Marie Scheikévitch en tête de son exemplaire de Du côté de chez Swann © Droits réservés.

115 ans plus tard, la Bibliothèque nationale de France lance un appel au don pour que ce volume, dont l’intérêt patrimonial et littéraire est inestimable, puisse rejoindre ses collections consacrées à Marcel Proust.

L'écrivain y dévoile ce que vont devenir plusieurs des personnages de Du côté de chez Swann. En puisant et tressant ensemble des fragments choisis parmi les brouillons contenus dans ses carnets, il met en forme et résume, pour son amie et elle seule, ce qui, lui dit-il, « n’est actuellement connu de personne » et qu’il lui demande expressément « de ne pas montrer tant que l’ouvrage n’aura pas paru » : l’ensemble du cycle d’Albertine, appelé à former la matière de La Prisonnière et d’Albertine disparue.

Fille d’un avocat russe, belle-fille du peintre Carolus-Duran en épousant son fils le musicien Pierre (dont elle divorcera en 1906, à 22 ans), figure du Paris littéraire et mondain, Marie Scheikévitch (1882-1964) rencontra Marcel Proust pour la première fois, en 1905, chez Madeleine Lemaire. [je renvoie à mon entretien avec le libraire Pierre Berès paru en 2004 dans lequel il évoque Madame Scheikévitch] (2).

 

Lettre-dédicace de Marcel Proust à Marie Scheikévitch en tête de son exemplaire de Du côté de chez Swann © Droits réservés.

Elle joue un rôle important dans la première réception de Du côté de chez Swann en mettant ses relations influentes au service du romancier, lui ouvrant toutes grandes les portes de son salon. Elle permit que la presse se fasse l’écho de la publication du premier volume d’À la recherche, dans lequel elle reconnut immédiatement un chef-d’œuvre – entretien de Marcel Proust paru dans le Temps du 12 novembre 1913, sous la signature de Joseph-Elie Bois -. Proust lui rendra hommage dans Sodome et Gomorrhe sous le voile de Mme Timoléon d’Amoncourt, « petite dame brune, extrêmement jolie » habituée du salon de la duchesse de Guermantes et dévouée à la cause de la littérature, « amie successivement - nullement amante, elle était de mœurs fort pures - et exclusivement de chaque grand écrivain qui lui donnait tous ses manuscrits, écrivait des livres pour elle. »

 

Reliure en vélin commandée par Marie Scheikévitch pour son exemplaire de Du côté de chez Swann © Droits réservés

 

(1) Marcel Proust. Lettres à Madame Scheikévitch, éditions Librairie des Champs-Elysées, 1928, introduction de René Guillouin, avant-propos de Marie Scheikévitch Croquis. Cette lettre est entièrement reproduite dans cet ouvrage ainsi que le fac-similé. Vingt-neuf lettres, du 5 septembre 1912 à  ??? (après 1921).

 

(2) De longues conversations avec Pierre Berès, entre sa librairie de l’avenue de Friedland & son appartement de la rue Barbet de Jouy, en 2002 et 2003, naquit mon entretien avec ce grand libraire dans lequel il m’évoquait Marie Scheikévitch. 

" Pierre Berès a fait la connaissance de Colette – qui fut la marraine de son fils ainé Jacques – par l’intermédiaire de Marie Scheikévitch. Lisant chez un ambassadeur, ami de ses parents, un livre de Marcel Proust dédicacé à cette dame que l’écrivain rencontre en 1905 dans l’atelier de Madeleine Lemaire, il souhaite la connaître. Ex-belle fille du peintre Émile Carolus-Durand, elle tient salon rue Fortuny. Pierre Berès est pendant quelques temps le secrétaire de Marie Scheikévitch qui désire rédiger ses mémoires ; ses Souvenirs d’un temps disparu paraissent chez Plon en 1935. ".

Gilles Kraemer, De Pierre Berès ou de la malicieuse modestie d’un grand libraire, Art & Métiers du livre, n°241, avril 2004 .

Tout un chapitre de Souvenirs d'un temps disparu est consacré à Proust.

Entretiens avec Marie Scheikevitch à entendre sur France Culture sur sa rencontre avec Marcel Proust https://www.franceculture.fr/recherche?q=marie+scheikevitch

 

Portrait de Marcel Proust paru dans le journal America-Latina en 1920 @ BnF/Dpt. Droit économie politique.

L’ouvrage sera exposé au sein de l’exposition Proust que la BnF présentera à l’automne 2022 dans le commémoration du centenaire de la mort de l’écrivain. Je renvoie à la précédente exposition Marcel Proust, l’écriture et les arts, BnF, site François-Mitterrand, 9 novembre 1999-6 février 2000.

https://www.bnf.fr/fr/actualites/appel-au-don-soutenez-proust

 

 

 

 

 

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