DÄMON, Ite missa est selon Angélica Liddell - Festival d'Avignon 2024
Gilles Kraemer
Déplacement et séjour personnel à Avignon
DÄMON. El funeral de Bergman. Spectacle d’Angélica Liddell © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Mise à nue (elle a gardé sa culotte) ou crucifixion ? Sacrifice expiratoire ou auto-flagellation ? Dénonciation d’une auteur martyrisée par la plume " humiliante " de quelques critiques ? Dans cette nuit du 29 au 30 juin, Angélica Liddell s’est-elle auto-proclamée LA nouvelle papesse avignonnaise après sa célébration trash de sa messe des morts dans la Cour d’honneur ?
La messe est dite.
Ita missa est.
Avignon, 78ème Festival. Cour du Palais des papes. Les 1947 sièges étaient encore humides du violent orage, de quelques minutes, de 20 h. Un accord avait-il été passé avec les puissances souveraines, au plus haut niveau céleste, puisque de parcellaires gouttes n’apparaitront qu’à la fin de la représentation.
29 juin 2024, veille du 1er tour des élections législatives anticipées après la dissolution inattendue de la Chambre décrétée par le président de la République 30 minutes après les résultats des élections européennes du 9 juin.
22h 15, coup d’envoi " officiel " de cette 78ème édition 2024 du Festival ouverte par Absalon, Absalon ! d’après William Faulkner, 4h 30 trop longues imaginées par Séverine Chavrier à La Fabrica et Cercles selon une chorégraphie de Boris Charmatz au stade de Bagatelle.
Pas de Festival sans la présence du ministre de la Culture à vie Jack Lang et de Monique à l’iconique blouson Courrèges rose. Pas d’autres anciens locataires du Palais royal. Absence prévue de la ministre Rachida Dati, dans le départ de la rue de Valois.
Le patron, Tiago Rodrigues, directeur du festival. À sa gauche la maire d’Avignon, à sa droite Françoise Nyssen, présidente du conseil d’administration du Festival. Christopher Miles, membre de droit en sa qualité de directeur général de la création artistique au ministère de la Culture. Stéphane Braunschweig, directeur de l'Odéon-Théâtre de l'Europe qui transmettra les rênes, ce 15 juillet, au trentenaire Julien Gosselin. Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national. Blanca Li, chorégraphe franco-espagnole, membre de l’Institut. Que les oubliés me pardonnent.
Ce soir, dans le " chaudron " de la Cour papale, grande messe avec la première de DÄMON. El funeral de Bergman, spectacle d’Angélica Liddell.
DÄMON. El funeral de Bergman. Spectacle d’Angélica Liddell © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Prendre au mot. Prendre au mot le cinéaste suédois Ingmar Bergman (1918 – 2007), qui avait rédigé le scénario de ses funérailles après avoir visionné celles de Jean-Paul II. Liddell nous proposait la mise en scène de ses propres funérailles, comme inscrit sur le programme de salle. Mais ne pas oublier que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent !
Le rouge est la couleur du deuil papal précisera Angélica Liddell (1966, Figueras) au cours de la représentation-invective-performance-théâtre, l’on ne sait jamais à quoi l’on assiste avec elle. Ou si plutôt car l’on sait qu’elle va déraper sans jamais utiliser le frein pour que cesse sa logorrhée, ici 50 minutes sur les deux heures de la représentation. Sacré " one-woman-show " !
DÄMON. El funeral de Bergman. Spectacle d’Angélica Liddell © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, cloître Saint-Louis, 30 juin 2024.
Pour Angélica, habituée de cette messe avignonnaise, ce sont les honneurs de la Cour du Palais que lui a offerts le lusitanien Tiago Rodrigues [bien meilleur choix que le très abyssal, ennuyeux et modeux Welfare de Julie Deliquet du 77ème Festival]. Invitée cette année la langue espagnole plutôt qu’un pays ou un continent et convocation des mots amour, émotion, esperanza, exigencia, utopie, audace, combate, emoción, alegria… écrits sur les deux calicots encadrant la porte du Cloître Saint-Louis.
Son spectacle va-t-il diviser les critiques ? Vont-ils la brocarder d’avoir osé, dans sa bravoure, hurler contre " les humiliations subies ", leurs phrases qui l’ont blessée et afficher leurs noms sur LE mur sacré ? L’artiste a-t-il droit de tout dire ou faut-il le claquemurer derrière un barbelé pour qu’il se taise ? L’index papal va-t-il lui être notifié pour invectives à l’égard d’Armelle Héliot, Stéphane Capron, Hadrien Volle, Fabienne Darge - au prononcé de son nom elle montre son cul -, Philippe Lançon ? Les ciseaux d’Anastasie vont-ils officier ? Ça ricanait et gloussait sur nombre des 1947 sièges.
Suscitant ce dimanche 30 un communiqué indigné, en inclusif naturellement, du Syndicat professionnel de la critique théâtre, musique et danse. Surtout que ce même dimanche matin, à 11 h, au Café des idées dans la cour du Cloître Saint-Louis, Angélica en remettait une couche, rappelant Bergman qui notait dans un carnet noir toutes les critiques négatives à son encontre, " Bergman auquel je dois mon imaginaire et qui m’a nourri spirituellement ".
L’opprobre sera -t-elle de mise, sur elle maintenant ? Ou tout cela retombera-t-il comme un soufflé [et non soufflet] à la patate douce ?
Le rouge du sol du plateau, le rouge des chaussures du pape, le rouge de la tenture suspendue à l’une des fenêtres du Mur comme celle de la fenêtre papale place Saint-Pierre. Le rouge de la Vierge de souffrances, de la Pietà, le rouge de la tunique de Liddell dans la seconde partie.
Plateau nu. Le long du mur, un urinoir, un WC, un broc émaillé, un bidet. Un pape venant de Jésus et comptant les fauteuils roulants côté Christ. Musique assourdissante, tellement forte qu’on l’entend place du Palais, ça gueule. Heureusement Liddell n’est pas accroc des branchouillardes vidéos.
Un nain se plante au milieu de la salle et nous regarde pendant cinq terriblement longues minutes.
DÄMON s’inscrit sur le mur. Ça démarre à donf. Vêtue de pureté, de blanc – couleur également du linceul -, Angélica pose le bidet au centre du plateau, y verse de l’eau, se lave le minou et les fesses puis lance l’eau contre le mur, Le mur sacré aux 23 fenêtres. Sacrilège éhonté ? Point de départ d’invectives à 100 à l’heure pendant 25 minutes avec le point final de quelques notes d’orgue. Éructations au micro, convocation de la mort, du sang, de la merde, de la sénilité, de la maladie, de la démence. Sacrée performance ! Clou encore plus enfoncé d’un " Ne savez-vous pas que vous êtes les prochains ? " suivi d’un " Vous vous sentez maintenant à l’abri ici ? " Plus mal à l’aise, tu meurs… on ne rit plus. Un avant-goût glacial de l’EHPAD.
DÄMON. El funeral de Bergman. Spectacle d’Angélica Liddell © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
23h 20 enfin les figurants arrivent, côté Christ, en pyjama ou en chemise de nuit et se placent derrière les fauteuils roulants. Quatre brancardiers de noir vêtus, nez rouge, poussant un brancard à tour de rôle. Ils courent après Angélica, puis l’inverse. Quelle est belle cette chorégraphie du poursuivant-poursuivi-poursuivant sur l’immensité du plateau. Puis le chant d’une soprano. Deux silhouettes noires descendant le mur côté Jardin, cinq femmes à la loggia, provocation idiote d’un homme se masturbant et d’un autre montrant son cul.
Homme nu, peint de rouge, assis sur le WC, un autre, nu, interpellant le pape sur son fauteuil roulant. Cela dérape et n’apporte strictement rien. Passons sur les sexes mâles et femelles exhibés. Trop c’est trop dans ce happening interminable. Provocations inutiles.
Autres belles images, la ronde des protagonistes autour des fauteuils ou la chorégraphie de ces fauteuils façon Old People's Home de Sun Yuan & Peng Yuin. (1)
Enfin ! Tardive apparition du cercueil, attendu comme Godot… Des mots autour de Cris et chuchotements, de Persona. Un pasteur femme chante derrière le cercueil, faut-il encore l’entendre quand une sirène d’incendie retentit suivie du bruit des pales d’un hélicoptère ? Prononcé du Notre Père. Bruit de mitrailleuses. Musique de dessins animés. L’on ne comprend plus rien de son patchwork de bouts de ficelles.
Dernier beau moment, dans les ultimes minutes, Linddell s’adressant à Bergman, puis à elle, puis évoquant sa mort. Requiem. Elle s’en va et se tire une balle dans la tête, phrase s’inscrivant sur le mur.
45 € la place. Les valaient-ils pour cette grande messe ? Oui, dans ces temps de soutien encore plus affirmés au spectacle vivant. Reprise à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, cette pièce aura-elle été édulcorée ? Réponse le 26 septembre 2024.
Le Palais des papes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, 29 juin 2024.
Avignon entre les deux tours d’une élection parlementaire. Avignon dans le marasme économique ; une brasserie, une banque, de nombreux commerces au rideau baissé, signe qui ne trompe pas dans cette artère mythique de la rue de la République menant de la gare, dont l’aménagement est un ouvrage de Pénélope à la place du Palais des papes.
Absolument nulle l’affiche de cette 78ème édition 2024, après celle de 2023 façon Abdelkader Benchamma.
(1) https://lesoeuvres.pinaultcollection.com/fr/oeuvre/old-peoples-home
spectacle d’Angélica Liddell
en espagnol, français, suédois, surtitré en français et en anglais
Avec Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angélica Liddell, Borja López, Sindo Puche, Daniel Richard, Joel Valois
et la participation d’Erika Hagberg (habilleuse du Dramaten), David Abad (Multicapacitats)
Texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell
Lumière Mark Van Denesse - Son Antonio Navarro
Cour d’honneur du Palais des papes, du 29 juin au 5 juillet 2024
Festival d’Avignon, 78ème édition.
Tiago Rodrigues © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, Café des idées, cloître Saint-Louis, 30 juin 2024. Clin d’œil à Valérie Samuel d'Opus 64.