De l'amour triomphant de la laideur. Zémire et Azor à l’Opéra Comique
Gilles Kraemer
Philippe Talbot (Azor), Michel Fau (la Fée maléfique) DR Stefan Brion – Zémire et Azor, Opéra-Comique, juin 2023.
La comtesse du Barry, maitresse du Bien-aimé, perdit-elle, de ravissements, la tête en assistant à la création de Zémire et Azor, comédie-ballet que Grétry lui dédia ? Créé en 1771 devant la cour, au château de Fontainebleau, cet opéra où les dialogues parlés dans les vers magnifiques de Marmontel sont plus importants en longueur que le texte chanté, transporte le conte de La Belle et la Bête, dans l’Orient fantasmé des Mille et une Nuits du XVIIIème siècle. Particularité de cet opéra : aucun chœur.
Une histoire connue de tous, dans les souvenirs de Jean Marais, de Josette Day, sous l’œil de Jean Cocteau. Christian Bérard avait participé aux décors - à l’Opéra-Comique Citronelle Dufay et Hubert Barrère ont choisi la simplicité du décor unique d’un mur peint d’un jardin classique aux buis parfaitement taillés en cônes pour le palais d’Azor, une tribune pour celle de Sander -.
Philippe Talbot (Azor), Marc Mauillon (Sander) © DR Stefan Brion – Zémire et Azor, Opéra-Comique, juin 2023.
Alexandre Lacoste, Antoine Lafon (danseurs) © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer – Zémire et Azor, Opéra-Comique, générale mercredi 21 juin 2023.
Le costume noir d’Azor, dans cette production de l’Opéra-Comique, dessiné par Hubert Barrère - directeur artistique de la Maison Lesage, il s'agit de sa première collaboration lyrique - est un puzzle d’Allien/ Hulk, de quoi donner des cauchemars à Zémire face à ce monstre d’épouvante, plus insecte démultiplié que bête du Gévaudan, aux trois et cinq doigts façon Edward aux mains d’argent. Difficile à Philippe Talbot, dans son costume-corset, de laisser son visage exprimer la douceur et le sensible de son cœur, son heaume cachant presque toute sa figure. Les lumières de Joël Fabing, dans leurs jeux d’ombres chinoises projetées - moyen théâtral très prisé à la fin du 18ème - jouent du dédoublement inquiétant et agrandi du monstre debout sur la table du dîner, de Sander écrivant sa lettre à ses filles, de la démultiplication des deux Génies danseurs Alexandre Lacoste et Antoine Lafon, danse à laquelle se mêle, inénarrable la Fée/ Michel Fau, également metteur en scène, qui fait du Fau dans ses mimiques, sa marque de fabrique très appréciée d’un public totalement conquis lorsqu’il descend des cintres tel un (méchant) deus ex machina.
Le digne père Sander et son esclave Ali à la belle prestance et aux inattendus et parfaits roulés-boulés pour ses entrées en scène, sont naturellement vêtus en orientaux et les deux sœurs ainées- Lisbé et Fatmé à la Française. Normal dans ce XVIIIème d’un Versailles prescripteur incontournable du bon goût. Zémire éblouissante dans sa robe de cour à la Française - comme si elle allait être présentée officiellement au roi - 4 500 cristaux et 17 000 perles -, la magnificence d’une "robe de princesse" haute couture, merveille de broderie de la Maison Lesage, en ces jours parisiens de Fashion week.
Louis Langrée au salut final © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer – Zémire et Azor, Opéra-Comique, générale mercredi 21 juin 2023.
A la tête de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Écurie, Louis Langrée a décidé de nous embarquer vers le détroit d’Ormuz, dans cette musique de Grétry toujours au plus près du texte qui vient épouser la théâtralité de la musique. Amplitude et allant dans sa direction, ses mains sculptant les notes, très attentif à chaque musicien qu’il soutient du regard. L’ouverture de cet opéra dans un entre-deux puisque nous ne sommes plus dans le baroque, laissant percevoir un zeste de pré-romantique dans les grondements du tonnerre. L’ouverture de l’acte III totalement soyeux. Mentions particulières aux flûtistes Amélie Michel et François Nicolet dans La fauvette avec ses petits / Se croit la reine du bocage, grand instant si attendu et emblématique de Zémire, permettant à Julie Roset la démonstration d’une voix d’une folle agilité, une voix aimante partagée entre son père chéri et la bête.
© DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer – Zémire et Azor, Opéra-Comique, générale mercredi 21 juin 2023.
Julie Roset (Zémire), Philippe Talbot (Azor) © DR Stefan Brion – Zémire et Azor, Opéra-Comique, juin 2023.
La soprano est incontestablement la reine de la soirée, conquérant le cœur de tous les spectateurs dans le magistral d’intensité, d’une facilité si apparente Azor ! En vain ma / voix t’appelle, un poignant appel amoureux de détresse adressé à Azor permettant la rupture du charme, Azor redevenant prince.
Julie Roset (Zémire), Philippe Talbot (Azor), Alexandre Lacoste, Antoine Lafon (danseurs) © DR Stefan Brion – Zémire et Azor, Opéra-Comique, juin 2023
Philippe Talbot, glissé dans les habits d’Azor - il n’a droit à aucun duo avec Zémire, manifestation de l’isolement auquel la Fée l’a condamné -, est un monstre poignant, émouvant, triste. Son Ah ! Quel tourment / d’être sensible, / D’avoir un cœur fait / pour l’amour est d’une poignante majesté, à en arracher les larmes comme le sera Le soleil s’est caché / dont l’onde / Et Zémire ne revient pas dans toutes les subtilités de la détresse ; je soupçonne qu’à sa création ces airs provoquèrent de forts évanouissements.
Julie Roset (Zémire), Sahy Ratia (Ali) © DR Stefan Brion – Zémire et Azor, Opéra-Comique, juin 2023.
Julie Roset (Zémire), Philippe Talbot (Azor), Séraphine Cotrez (Fatmé), Marc Mauillon (Sander), Margot Genet (Lisbé) © DR Stefan Brion – Zémire et Azor, Opéra-Comique, juin 2023 .
Sahy Ratia, forte présence scénique, à la voix de ténor léger bien architecturée, chaleureuse, est un parfait Ali. Il apporte beaucoup de vivacité à son duo avec Zémire Je m’attendris, je suis rendu lorsqu’elle le presse de l’accompagner chez le monstre malgré son fort refus de retourner au palais d’Azor. La voix puissante de Marc Mauillon convient parfaitement à son rôle du père meurtri à l’idée de perdre définitivement sa fille,
Les deux sœurs Lisbé/ Margot Genet et Fatmé/ Séraphine Cotrez sont à l’unisson pour incarner les chipies-crépeuses de chignons.
Dernier opéra de la saison 22/23 de l'Opéra-Comique avant La fille de Madame Angot en septembre.
© DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer – Zémire et Azor, Opéra-Comique, juin 2023.
André-Ernest-Modeste Grétry, Zémire et Azor, comédie-ballet en quatre actes, livret de Jean-François Marmontel. Créé le 9 novembre 1771 au château de Fontainebleau.
Direction musicale, Louis Langrée (23, 25, 26, 28 et 29 juin) | Théotime Langlois de Swarte (1er juillet), jeune chef d’orchestre (1995) - mais Roberto Benzi dirigeait à 11 ans - que nous avions eu l’occasion de voir ici même ce printemps avec Le Bourgeois gentilhomme, remplaçant au " pied levé " Marc Minkowski qui devait assurer les premières représentations. Il assura l’ensemble des 10 représentations (du 16 au 26 mars) au pupitre des Musiciens du Louvre Un Bourgeois gentilhomme haut en couleur - Opéra Comique
Orchestre Les Ambassadeurs - La Grande Écurie
Mise en scène Michel Fau
Décors Hubert Barrère & Citronelle Dufay - Costumes Hubert Barrère - Lumière Joël Fabing
© DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer – Zémire et Azor, Opéra-Comique, générale mercredi 21 juin 2023.
Julie Roset, Zémire, fille de Sander, soprano
Philippe Talbot, prince Azor, ténor
Margot Genet, Lisbé, fille de Sander, soprano
Séraphine Cotrez, Fatmé, fille de Sander, mezzo-soprano
Sahy Ratia, Ali, esclave de Sander, ténor
Marc Mauillon, Sander, négociant, baryton-basse
Michel Fau, la fée maléfique
23 juin au 1er juillet 2023
Théâtre national de l’Opéra-Comique
Production Opéra-Comique // Coproduction Atelier Lyrique de Tourcoing (janvier 2024), Les Ambassadeurs - La Grande Écurie.