Véronique Gens, La magique Armide de Gluck - Opéra Comique
Gilles Kraemer
samedi 5 novembre 2022, première
Véronique Gens (Armide), Florie Valiquette (Sidonie), Apolline Raï-Westphal (Phénice), danseurs / Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Stefan Brion.
Inspirée du Tasse, Armide (1686) de Lully était considérée comme le sommet absolu et majeur de l’opéra français. Écrire une nouvelle partition sur le livret de Quinault, 91 ans plus tard, fut le défi de Gluck, couronné d’un succès auquel la protection de la reine Marie-Antoinette ne fut pas innocente. Depuis 1913, ce drame héroïque, comme le qualifiait Gluck, n’avait jamais été remonté sur scène à Paris. Un siècle plus tard, Lilo Baur, retrouvant la scène de l’Opéra Comique après son Lakmé en 2014, se confronte à cette Syrie de croisades et de magies évoquée dans le livret de Philippe Quinault.
Véronique Gens (Armide). Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Stefan Brion.
Aucune allusion à un Orient fantasmé dans cette scénographie, hormis les deux immenses moucharabiehs, zébrés de néons, dans les deux premiers actes, imaginés par Bruno de Lavenère. Aucune autre indication du monde de la magicienne Armide ou d’une terre proche-orientale. Ce royaume enchanté ou des Ténèbres, avec son immense arbre, parfois défolié, parfois transformé en saule par son feuillage descendu des cintres, est plutôt celui des Saules pleureurs de Claude Monet, de L’Arbre aux corbeaux de Caspar David Freidreich ou de L’Arbre aux pendus de Jacques Callot avec ces vêtements que vient suspendre puis ôter le chœur. Ce pauvre chœur Les éléments, capital pour cet opéra, magistral dans son interprétation, que ne lui fait-on pas faire ? Il ne doit pas être que chanteur mais aussi être acteur-figurant ! Se rouler par terre difficilement jusqu’au rebord de la scène, tomber un à un, comme des mouches lorsqu’Armide ordonne la destruction de son royaume, courir après les trois danseurs - évocateur du cerbère protégeant le palais -, tourner en rond, tout cela avec des mines hébétées ou souriants comme des benêts. Pas très en valeur ce chœur, coiffé et attifé comme l’as de pique, que des costumes déchirés évoquant troncs et racines, taillés par Alain Blanchot, n’arrangent nullement. Passons sur Hidraot/Edwin Crossley-Mercer façon souverain Xerxès de l’empire achéménide, les croisés et oublions Armide/Véronique Gens, toujours bottée puisque conquérante mais nullement princesse dans son costume de seconde main d’une tristesse infinie qu’Haine/Anaïk Morel copiera d’une identique traîne paperoles proustiennes qui enveloppera Armide, telle une momie, dans la scène 4 de l’acte III. Les lumières de Laurent Castaing, d’une précision rigoureuse dans ses variations subtiles et poétiques, nous renvoient aux puissantes encres hugoliennes, au lyonnais François-Auguste Ravier ou au monde crépusculaire et oppressant d’Alkis Boutlis. (1)
Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, samedi 5 novembre 2022.
Dynamisme dans une tempérance mesurée du chef Christophe Rousset à la tête de son orchestre Les talens lyriques enlevé par la dynamique premier violon Gilone Gaubert. Le plaisir de l’orchestre était palpable au moment des applaudissements - sous les regards de Roselyne Bachelot et de Pascal Dusapin – à égale teneur, entre lui, le plateau et l’équipe de la metteur en scène. Dès l’ouverture souhaitée avec entrain, parfois avec une vivacité trop prégnante, majesté, rien n’a failli dans cette osmose, tout au long de cette partition de trois heures, entre sonorités d’allégresse et de grandeur, de vengeance et de ressentiment.
Les sopranos Florie Valiquette et Apolline Rai-Westphal, se partagent avec bonheur les rôles de Sidonie / Mélisse / Bergère et de Phénice / Lucinde / Plaisir / Naïade, apportant joie, bonne humeur, fraîcheur et jeunesse dont ce monde où l’amour est si compliqué.
Enguerrand de Hys (Le Chevalier danois), Philippe Estèphe (Ubalde), Florie Valiquette (Mélisse). Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Stefan Brion.
Véronique Gens (Armide), Anaïk Morel (La Haine), chœur les éléments. Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Stefan Brion.
Également dans des rôles doubles, le baryton Philippe Estèphe troquant les habits syriens d’Aronte pour ceux du chevalier chrétien Ubalde et le ténor Enguerrand de Hys passant d’Artémidore le chevalier chrétien au chevalier Danois sont un parfait et complémentaire duo dans l’acte IV, encore plus lorsque Mélisse tente de séduire malignement Ubalde. Si Philippe Estèphe s’affirme dans une projection forte et valeureuse, Enguerrand de Hys est tout en nuance et intensité. Anaïk Morel, Haine, crâne rasé et visage tatouée à en faire horreur, ne peut qu’inspirer la peur par la grande force de son timbre même si son chant obéit parfois à un tempo un peu trop rapide, un tantinet veloce.
Edwin Crossley-Mercer (Hidraot). Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Stefan Brion.
Edwin Crossley-Mercer, baryton-basse, est l’Hidraot rêvé, scéniquement, dans une belle noblesse - mais pourquoi diable lui avoir imposé une démarche d’homme apercevant l’affreuse nuit du tombeau, sans doute pour que ce vieillard incite Armide à trouver tout suite un époux – et vocalement ; il en impose véritablement dans tout ce qu’il énonce sereinement.
Ian Bostridge (Renaud). Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Stefan Brion.
Et Renaud/Ian Bostridge ? Il est dans l’âge aimable où / sans effort on aime. Certes, mais un peu froid comme amant à conquérir, comme s’en languit Armide. Chevalier, il est attendu comme devant dynamiser ses troupes, être nimbé de superbe et de grandeur, un chef dans toute sa majesté et sa force. Et, c’est tout le contraire dans la traversée de ses épreuves. Dommage que Lilo Baur ne lui ait pas insufflé du charisme, le cantonnant à une présence si froide. Est-ce cette direction scénique qui ne le valorise pas suffisamment sauf dans le dernier acte où il s’impose, encore plus dans l’ultime scène dans laquelle il signifie à Armide qu’il la quitte.
Véronique Gens (Armide), Ian Bostridge (Renaud). Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Stefan Brion.
Armide, Véronique Gens, est entière dans son interprétation de princesse de Damas et magicienne. Janus, elle cumule force et faiblesse, majesté et amour malheureux, grandeur et humanité. Elle n’interprète pas Armide, elle ne la joue pas, ELLE est Armide, cette femme malheureuse et très consciente sachant que seul l’usage de ses pouvoirs de magicienne permet de déclencher chez Renaud, qu’elle désire, l’amour. Elle est une grande tragédienne, incommensurable, au visage passant de la joie à la souffrance, de l’espoir à la haine jusqu’à l’acceptation douloureuse de son amour funeste, tout au long de cette représentation sans qu’à aucun moment sa voix ne subisse la moindre faiblesse dans ce rôle immense et intense.
Un souhait ? Une reprise rapide de cet opéra. 109 ans… c’était un peu long à Paris !
Armide / Opéra Comique / m.e.s. Lilo Baur © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 5 novembre 2022.
(1) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2018/05/alkis-boutlis-dans-les-reveries-de-balzac.html
Christoph Willibald Gluck, Armide, drame héroïque en cinq actes. Livret de Philippe Quinault Créé à l’Académie royale de musique (Opéra) en 1777
Direction musicale Christophe Rousset à la tête de l’Orchestre Les Talens lyriques
Chœur Les éléments dirigé par Joël Suhubiette
Mise en scène Lilo Baur - Bruno de Lavenère, scénographie - Alain Blanchot, créateur des costumes - Laurent Castaingt, lumières
Véronique Gens, soprano, Armide, princesse de Damas et magicienne
Ian Bostridge, ténor, Renaud, chevalier
Edwin Crossley-Mercer, baryton-basse, Hidraot, souverain de Damas, oncle d’Armide
Anaïk Morel, mezzo-soprano, La Haine
Philippe Estèphe, Aronte chevalier syrien / Ubalde chevalier chrétien
Enguerrand de Hys, Artémidore chevalier chrétien / le chevalier Danois
Florie Valiquette, Sidonie / Mélisse / Bergère
Apolline Rai-Westphal, Phénice / Lucinde / Plaisir / Naïade
Opéra Comique - Paris
Du 5 au 15 novembre 2022, six représentations
https://www.opera-comique.com/fr