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Gilles Kraemer

première, mercredi 2 mars, place achetée, orchestre

Il Nerone © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2 mars 2022.

Le public de première parisienne – aux très nombreux invités – étonne toujours dans sa réaction au baisser du rideau, rideau or dans le cas de l’Athénée. Il a fallu seulement 4 personnes du parterre de Bastille se levant à peine la baguette du chef posée après une Turandot déjà oubliée vocalement et scéniquement, pour que le public se sentît obligé d’un applaudissement debout, nullement justifié; seule la direction flamboyante de Gustavo Dudamel le méritait. (1) Pour Il Nerone, ce 2 mars, la réaction fut plus que troublante avec seulement 3 minutes 30 d’applaudissements certes très nourris et chaleureux. Et puis basta, c’est fini comme un soufflé qui retombe. Vite, se précipiter vers le dernier métro.  D’un côté 210 €, de l’autre 36 €. L’applaudissement serait-il proportionnel au prix du fauteuil ?      

Le final de Il Nerone © Vincent Lappartient – Studio J’adore ce que vous faites !

Sous la direction de Vincent Dumestre à la tête de Le Poème harmonique, avec un ensemble chambriste de 10 instrumentistes ravis d’être réunis, très heureux au moment du rideau, applaudissant chaleureusement le plateau, il nous était donné d’entendre, plutôt de découvrir, la version donnée à Paris en 1647 de Il Nerone de Claudio Monteverdi créé à Venise en 1642 sous le titre de L’Incoronazione di Poppea. Loin du souvenir des fastes des représentations parisiennes avec Gwyneth Jones, Jon Vickers – permettant à Rolf Liberman d’écrire que Tristan et Isolde ont chanté le duo d’amour de Néron et Poppée - et l’inénarrable Michel Sénéchal, représentations dont les moins de 60 ans ne peuvent avoir connaissance. Loin du souvenir des deux immenses traînes rouges au moment du Pur ti miro. Plus péplum façon Cinecittà, tu meurs dans les soirées de rouge et d’or de Garnier.

Nerone / Poppea / Amore, Il Nerone © Vincent Lappartient – Studio J’adore ce que vous faites !

Alain Françon, qui signa il y a quelques temps une Seconde surprise de l’amour rigoureuse et précise à Berthier a choisi la simplicité, la lecture attentive du livret de Busenello, le laisser entendre la musique dont l’on ne peut espérer retrouver la forme d’origine de la partition. Un déplacement mesuré et minimaliste des chanteurs auxquels nul effet acrobatique n’est demandé. Nulle esbroufe, aucune machinerie voyant Mercurio / Yiorgo Ioannou – ou Amore – pétillante Kseniia Proshina toute de rose vêtue – descendre des cintres ou chantant sur des nuages.

Il Nerone © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2 mars 2022.

La sobriété scénique va à Il Nerone, deux colonnes carrées de chaque côté, un mur reprenant la fresque du triclinium de la Villa Livia, l’épouse d’Auguste visible au Palazzo Massimo ou le mur d’or très Domus Aurea, entouré de grands rideaux rouge. Sauf que ce mur d’or, au moment du couronnement de l’intrigante Poppea est couvert de taches dégoulinantes de sang, annonciatrices de ce qu’il adviendra, selon la légende, de la nouvelle impératrice. La roue de la Fortune passe très vite. Une méridienne, un ployant, le portrait de Poppea Sabina d’un maître anonyme de l'École de Fontainebleau visible sur la fiche d’une encyclopédie libre sur l’Internet. Rien d’autre. Un rideau or avant chaque changement de lieu dans cette scénographie de Jacques Gabel simplissime, en parfait dialogue avec la vision épurée d’Alain Françon d’un "théâtre des passions humaines" bien éloigné des lavabos-vomitoires récurrents d’un metteur en scène très tendance. 

Visuellement, l’on retiendra les fumées enveloppant le philosophe Seneca / Alejandro Baliñas Vieites à la voix sombre et puissante, déjà dans le monde des dieux avant qu'il ne se tranche les veines, le beau moment de l’endormissement de Poppea / Marine Chagon lorsqu’elle devient une autre Danaé couverte de la pluie dorée, semence de son impérial amant, le comique irrésistible mais retenu de la formidable Arnalta / Léo Fernique, les costumes agréables de Marie La Rocca avec les pantalons "feu de plancher" des deux soldats Leo Vermot Desroches et Thomas Ricart. Comme l’impression d’être non loin de la Piazza di Spagna avec Nerone / Fernando Escalona dans un costume or et noir fashionable Gianni [Versace] et la justesse Valentino des robes d’Octavia / Lucie Peyramaure, très digne dans son aria bouleversant de la répudiation dans les belles lumières de Jean-Pascal Pracht lui conférant toute la grandeur d’une épouse abandonnée au profit de la cruelle Poppea en permanence suivie de sa nourrrice Arnalta prenant de plus en plus d’assurance à mesure que sa maîtresse s’approche des marches du trône.

Les voix des chanteurs dont nombre sont en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris, institution créée en 2015 pour accompagner des jeunes artistes du monde entier ? À l’unisson de la direction enflammée et douce, vigoureuse et languissante de Vincent Dumestre, à l’écoute du plateau, suivi avec une très grande attention par Le Poème Harmonique. Des applaudissements à Louise Aryton et Fiona Poupard, les deux violons juste face à moi, étant placé au premier rang. L’on voyait la profonde communion entre le chef et ses musiciens comme je l’avais perçue lors de la Coronis donnée il y a à peine 15 jours à l’Opéra Comique (2). Le grand écart entre Madrid et Venise pour ses musiciens en quelques jours, bravissimo.

Octavia, Il Nerone © Vincent Lappartient – Studio J’adore ce que vous faites !

Poignant et émouvant lamento d’Ottone / Leopold Gilloots-Laforge lorsque, dindon de la farce, il se rend compte que Poppea a préféré l’oreiller du maître de Rome au sien. Contre-ténor dont j’ai préféré le timbre à celui de Fernando Escalona qui me paraissait n'être pas encore dans son interprétation de Nerone. Applaudissements nourris et mérités pour Marine Chagnon / Poppea, prête à tout pour s’asseoir près de César, elle sait y faire dans toute la progression de convaincre le fils d’Agrippine. Martina Russumano est une Drusilla acceptant avec résolution, pour sauver son amant, de mentir et mourir à sa place.

Un beau couronnement impérial ce soir, dans l’intimité de l’Athénée, dans l'osmose voix et musique, entre amour, gloire et passion. Et aussi sang et pouvoir. Depuis l'Empire des Césars, rien n'a changé.

 

(1) Un seul vainqueur de Turandot, l’impérial Gustavo Dudamel - (lecurieuxdesarts.fr)
(2) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/02/une-happy-hour-enchantee-a-l-opera-comique-avec-coronis-de-sebastian-duron.)

Il Nerone © Vincent Lappartient – Studio J’adore ce que vous faites !

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il Nerone – L’Incoronazione di Poppea, livret Giovanni Francesco Busenello (1598-1659)

Du 2 au 12 mars à l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet, du 20 au 26 mars à l’Opéra de Dijon, le 1er avril à la Maison de la culture d’Amiens

Direction musicale Vincent Dumestre pour Le Poème Harmonique

Mise en scène Alain Françon

Scénographie Jacques Gabel - Costumes Marie La Rocca - Lumières Jean-Pascal Pracht

 

Poppea Marine Chagnon* , mezzo-soprano

Nerone Fernando Escalona*, contre-ténor

Octavia Lucie Peyramaure, soprano

Ottone Leopold Gilloots-Laforge, contre-ténor

Seneca Alejandro Baliñas Vieites*, basse

Fortuna / Drusilla Martina Russomano*, soprano

Amore / Valetto Kseniia Proshina*, soprano

Virtu / Nutrice Lise Nougier*, mezzo-soprano

Arnalta Léo Fernique, contre-ténor

Mercurio / Famigliare di Seneca 3 / Littore/ Consoli / Tribuni 2 Yiorgo Ioannou*, baryton

Lucano / Soldato 1 / Famigliare di Seneca 1, / Leo Vermot Desroches, ténor

Soldato 2 / Famigliare di Seneca 2 / Liberto / Tribuni Thomas Ricart, ténor

* Artistes en résidence à l'Académie de l'Opéra national de Paris

Production de l’Académie de l’Opéra national de Paris avec les artistes en résidence à l’Académie – Coproduction de l’Opéra de Dijon – Coréalisation de l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet.

 

 

Tag(s) : #Italie, #Opéra et Musique, #Venise, #Théâtre
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