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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (représentation du 15 février 2022)

Coronis, David Cami de Baix, danseur-acrobate © Stefan Brion.

Il y a quelques jours Hamlet à l’Opéra Comique dont j’écrivais qu’il fallait y être absolument. (1) Aujourd’hui, pareil sentiment pour Coronis de Sebastián Durón, dirigé par Vincent Dumestre, chef que nous retrouverons dans quelques jours à l’Athénée pour Il Nerone de Monterverdi dans la version parisienne de 1647. Nous sommes bien loin de la programmation terne du grand vaisseau de la Bastille… (2)

Thraciens, Dieux, bergers,  Coronis, Iris, circassiens, chœur, Triton, devin, ils sont tous réunis © Stefan Brion

Amours des dieux olympiens revisitées à l’aune des alliances dynastiques de l’Europe, Coronis, représenté devant le jeune roi d’Espagne Philippe V (1700-1742), ne fut redonné à son compositeur, Sebastián Durón, qu’en 2009 ! Cet opéra renvoie dans son allégorie politique à Charles II de la branche aînée de la maison Habsbourg / Neptune auquel succède Philippe de Bourbon-Anjou, petit-fils de Louis XIV / Apollon s’unissant, dans la conclusion compréhensible de tous les courtisans, à la nymphe Coronis, corona, la couronne espagnole. Mettant fin ainsi aux conflits dynastiques mais par anticipation puisque la guerre de Succession d’Espagne ne cessera qu’en 1715. Partagée entre deux dieux et Triton, soupirant inattendu mais finalement tellement attendrissant malgré sa brutalité première, la nymphe Coronis, prêtresse de Diane, sommée par la messagère Iris / Eugénie Lefebvre de choisir, s’unira au Soleil.

Coronis, Cyril Auvity (Protée) & Elodie Chan (danseuse-acrobate) © Stefan Brion 

 Coronis, Opéra-Comique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 15 février 2022.        

Sur des sonorités espagnoles, puisqu’il s’agit d’une zarzuela, sur des lamenti sublimes, tirant aux larmes et tellement italiens – il fallait plaire à Marie-Louise Gabrielle de Savoie, épouse de Philippe -, Omar Porras a bâti une mise en scène et une chorégraphie des plus pertinentes et imaginatives. Pour cet opéra mêlant héroïsme, divinités, bergers, Thraciens, acrobates circassiens, des sentiments nobles et communs, il fallait frapper les spectateurs par le spectaculaire baroque de la machinerie et du visuel, ne cesser de convoquer son attention. Suspendre Neptune dans les airs, faire éclater des multitudes de feux d’artifices rythmant les revirements, rendre la mer en furie parfaitement vivante dans l’ondulement d’un rideau de tulle. Les effets subtils et étonnants sont là. Le bel Apollon / Marielou Jacquard dans son costume et ses collants resplendissant d’or, renvoyant au Ballet royal de la Nuit de février 1653 dansé par le jeune Louis, surgit d’une façon si incongrue et risible d’un coffre alors que l’on s’attendrait à le voir descendre de son char céleste, Neptune / Caroline Meng, couronne de roseaux, barbe et sourcils bien verts allant jusqu’à évoquer La mascarade des quatre parties du monde (1751) de Jean Barbault suspendu dans la scène de l’adoration, la rousse Coronis / Marie Perbost dans sa robe de tulle sexy et son long gant rouge peint sur son bras droit - tous ces costumes de Bruno Fatalot sont excellement choisis -, Triton / Isabelle Druet prenant un bain de pieds crochus et de cessant de mouiller de ses pleurs ses mouchoirs de batiste je répète en pleurant mon tendre amour puis blessé mortellement par Apollon, son sang figuré par un long ruban de faveur, la veste de Ménandre / Anthea Pichanick véritablement enflammée - quel est le truc ? - tout concourt à l’émotion ou à la stupeur du spectateur. Léger bémol cependant de n’avoir pas fait surgir Iris des ceintres et que la grotte de Protée / Cyril Auvety ne se soit pas effondrée pour suggérer plus d’effroi et d’horreur chez les mortels.

Coronis, Opéra-Comique, Vincent Dumestre au salut final © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 15 février 2022.

Vincent Dumestre, déchiffreur des répertoires des XVIIe XVIIIe à la tête de l’orchestre Le Poème Harmonique qu’il a fondé en 1998, est magistral, d’une grande élégance dans sa direction, soutenant d’une constante attention chacun de ses dix-neuf musiciens. Sa communion est palpable et visible avec chacun d’eux. Coup de chapeau naturellement aux guitaristes Étienne Galletier et Victorien Disse et à Père Olivé à la percussion et castagnettes.

Plateau à l’unisson avec six danseurs et acrobates et neuf chanteurs dont sept femmes, la particularité de l’opéra baroque espagnol étant l’interprétation par des voix féminines, les hommes ayant des rôles parlés. Ici, Protée et Marta / Stephan Olry, au contraire, chantent.

Coronis, Marielou Jacquard (Apolo) assis sur le coffre, Marie Perbost (Coronis) à l'extrême droite, Eugénie Lefebvre (Iris), Victoire Bunel (Sirène), Anthea Pichanick (Ménandro), Stephan Olry (Marta), Alice Botelho, David Cami de Baix, Caroline Le Roy, Ely Morcillo, Michaël Pallandre (danseurs et acrobates) © Stefan Brion  

 Coronis,  Caroline Meng (Neptuno), Marielou Jacquard (Apolo) surgissant de son coffre © Stefan Brion   

Coronis / Marie Perbost, révélation artiste lyrique des Victoires de la musique classique 2020, sensuelle, humaine, glacée des élans de Triton Horrible monstre / né dans l’écume de ces plages … puis Ah ! Pitié ! / Au secours ! … mais, l’on se demande si elle est vraiment consciente de tous les troubles qu’elle provoque chez les dieux. Isabelle Drust, émouvant Triton dès son premier regard vers Coronis Écoute mes tourments, / entends mes prières…, ne cessant de nous émouvoir Sort injuste, / accorde-moi au / moins de pouvoir achever de souffrir ! …. jusqu’à l’humanité de ses ultimes instants, frissons garantis c’est d’amour et de jalousie / que vous me voyez / me consumer… En Protée, Cyril Auvity, le devin essayant de raisonner les Thraciens jusqu’à son émouvante incantation Que la Thrace pleure, / dans sa disgrâce, / avec de tendres pleurs… . Duo parfait des divinités pleines de grandeur Marielou Jacquart et Caroline Meng, parfaitement complémentaires dans leur querelle amoureuse, contrebalancé par le duo très humoristique des mortels Anthea Pichanick et sa future épouse Victoire Bunel.

Coronis, Caroline Meng (Neptuno), Alice Botelho, David Cami de Baix, Elodie Chan, Caroline Le Roy, Ely Morcillo, Michaël Pallandre, Eugénie Lefebvre (Iris) © Stefan Brion

Seulement quatre représentations ! Quel dommage que toute cette équipe si unie se sépare le 17 au soir…

Que du plaisir. Mais surtout, ne pas lire la suite des Métamorphoses d’Ovide qui raconte qu’Esculape, dieu de la médecine, naquit du fruit des amours de Coronis et d’Apollon qui tua par vengeance son époux. Cela ne vous rappelle-t-il pas l’histoire, selon Suétone, de Poppée enceinte recevant de son impérial époux Néron, fou de rage, un coup de pied mortel dans le ventre ? Monterverdi imaginera une autre fin pour L’Incoronazione di Poppea.

 

(1) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/01/y-etre-absolument-hamlet-d-ambroise-thomas-a-l-opera-comique.html

(2) Il Nerone,  2, 4, 6, 8, 10 & 12 mars 2022, Athénée Théâtre Louis-Jouvet

 

Coronis, cinq minutes avant que l'opéra ne commence, David Cami de Baix, danseur-acrobate © Le Curieux des arts Gilles Kraemer. 15 février 2022

Opéra Comique - Paris - 14, 15, 16 & 17 février 2022

Sebastián Durón (1660-1716), Coronis. Créée à Madrid entre 1701 et 1706

Zarzuela en deux journées. Livret d’un poète anonyme d’après Les Métamorphoses d’Ovide

Direction musicale Vincent Dumestre à la tête de Le Poème Harmonique

Cheffe de chant Camille Delaforge

Mise en scène & chorégraphie Omar Porras

Décors Amélie Kiritzé-Topor - Costumes Ateliers MBV Bruno Fatalot - Lumières Mathias Roche

 

Coronis, nymphe et prêtresse de Diane - Marie Perbost, soprano

Triton, monstre marin, fils adoptif de Neptune - Isabelle Druet, mezzo-soprano (présente lors de la création à Caen en novembre 2019)

Protée, devin - Cyril Auvity, ténor

Ménandre - Anthea Pichanick, contralto

Sirène - Victoire Bunel, mezzo-soprano

Apollon, dieu de soleil - Marielou Jacquard, mezzo-soprano (création à Caen en novembre 2019)

Neptune, dieu de la mer - Caroline Meng, mezzo-soprano (création à Caen en novembre 2019)

Iris, messagère de Jupiter - Eugénie Lefebvre, soprano

Marta, paysan - Stephan Olry, ténor

Danseurs et acrobates - Alice Botelho, David Cami de Baix, Élodie Chan, Caroline Le Roy, Ely Morcillo & Michaël Pallandre

Production théâtre de Caen - Coproduction Opéra-Comique, Opéra de Limoges, Opéra de Rouen, Opéra de Lille, Le Poème Harmonique

 

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