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Ludovic Boulard Le Fur (né en 1981), Bananeries, French cancan des Balkans face au minotaure, 2017. Huile sur papier. Courtesy l'artiste.

Ils sont jeunes, trentenaires, si l’on excepte le collectif Has been, hélas composé de Raphaël Rossi né en 1988, Camille Besson et Maxime Testu nés en 1990 ainsi que de Victor Vaysse d’un an leur cadet. Ludovic Boulard le Fur est l’aîné de la sélection du vingtième Prix de la Fondation d’entreprise Ricard. Créé en 1999, le Prix se situe dans la droite ligne du mécénat lancé par Paul Ricard (1909-1997), créateur de l’entreprise et lui-même artiste à ses heures perdues. En 1960, ce dernier, ami de Salvador Dali, avait d’ailleurs lancé un prix de sculpture et de peinture. Six ans plus tard, naissait la Fondation pionnière en matière de mécénat d’entreprise. L’art contemporain demeure à cinquante ans de distance la vocation première de cette famille d’entrepreneurs. Témoin le Prix de la Fondation qui, depuis vingt ans, se matérialise par l’achat d’une œuvre offerte au Centre Pompidou, acquisition accompagnée de surcroît d’une aide apportée à un projet hors de France. A en juger par les lauréats, entre autres Didier Marcel, Isabelle Cornaro ou Lili Reynaud-Dewar, la Fondation aura contribué avec clairvoyance au rayonnement de la scène artistique française.

De l’art d’être curateur

Mise à part Meriem Bennani née au Maroc, Victor Yudaev originaire de Moscou et Liv Schulman qui a grandi à Buenos Aires, tous ont vécu en France où ils ont été formés. Les similitudes s’arrêtent là où commence la diversité des travaux et des personnalités que le commissaire Neïl Beloufa également artiste s’est attaché à fédérer. Avec lui, l’exposition devient œuvre en soi. Ce fils d’un cinéaste algérien âgé de 33 ans, vidéaste lui-même, avait déjà transformé son atelier de Villejuif en lieu d’exposition. Il a depuis signé le commissariat de plusieurs manifestations notamment au Palais Tokyo. La Fondation Ricard lui demeure décidément fidèle. En 2006, Neïl Beloufa avait été sélectionné pour le Prix de la Fondation, huit ans plus tard, elle lui consacre une rétrospective En torrent et second jour en 2014. C’est à son regard que l’on a aujourd’hui confié la sélection du Prix.

Être curateur est le nouveau job tendance, qui permet à un artiste de ne jamais être mieux servi que par soi-même. Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu et Victor Vaysse de l'atelier Le Marquis en font la démonstration en devenant commissaires de leurs propres expositions. Quant à South Way Studio, le nom se réfère à un espace dont Emmanuelle Luciani et Charlotte Cosson assument le commissariat tout en dirigeant la revue Code South Way. Conforme aux convictions revendiquées par Neïl Beloufa, on pratique le "décloisonnement". Plus de frontières étanches en effet entre artiste et curateur, l’exposition devient le nouvel espace de création de l’art contemporain.

Des objets inanimés à la cinéphilie

On se souvient de l’installation Liste à puces présentée au Palais Tokyo à l’occasion de l’exposition personnelle d’Anne Le Troter, lauréate en 2016 du Salon de Montrouge. Dans un espace glacé aux murs aveugles, elle évoquait les fauteuils, répondeurs et autres accessoires des instituts de sondage. Par ces objets froids et ordinaires, elle abordait la matière première de son œuvre, le langage de nos sociétés contemporaines et leur inhumanité. 

 

Liv Schulman (née en 1985), Control a TV Show. ControlSe2E4 Still de Control Temporada 2 Episodio 4 La Resistencia Pirata. Video HD 6.45 mn.. Courtesy l'artiste.

Pas plus de volonté de séduction dans l’univers de Liv Schulman, inspiré par les sitcoms. Elle conçoit ses vidéos comme des séries dont les sous-titres citent des producteurs fameux tel Netflix. A l’encontre de l’engouement populaire pour ces productions télévisées, Liv Schulman surligne la banalité des lieux. La laideur ordinaire ne signale aucune localisation. Elle dresse le portrait d’une ville, fruit du réel autant que de l’imaginaire scénarisé. On pourrait être partout même s’il s’agit de Tel Aviv, Rennes où l’artiste a été en résidence ou Noisy où elle vit. Dans ces banlieues où tout indique, le chômage et l’absence d’idéal, toutes les situations peuvent être « merdiques » du propre aveu de la vidéaste. Le détective falot se devine à son seul trench-coat, avec un refus assumé de toute sublimation. Liv Schulman est d’un réalisme à toute épreuve que sauve le comique de situation né de l’absurdité des dialogues et des scénarios.

Lucile Littot, J'ai tout vu, j'ai tout su et j'ai tout oublié. Song N.3. Hôtel California. 2017. Courtesy l'artiste.

Même veine cinéphile dans J’ai tout vu, j’ai tout su et j’ai tout oublié Song n°3 hôtel California de Lucile Littot. Quand on demande les films qui l’ont fait pleurer, elle répond: « Il y en a tant ». C’est à sa passion du cinéma que renvoient ses décors déjantés où s’entremêlent dans le désordre chandelier, tête de lit Louis XV peinturlurée, bougies torsadée et boules à facettes. Ses œuvres sont des synopsis de lendemain de fête autant que des explosions de peinture d’un baroque trash.

Ludovic Boulard le Fur, l’ovni de l’espace Ricard

Ludovic Boulard Le Fur, Oiseau royal. Courtesy l'artiste.

Ludovic Boulard le Fur, vernissage du Le Vingtième Prix de la Fondation d’entreprise Ricard, Paris, 10 septembre 2018 © photographie Geneviève Nevejan.

Dans ce maelstrom d’installations qui portent l’estampille de l’art contemporain, cet ancien élève des Beaux-Arts de Paris, camarade d’école de Neïl Beloufa fait figure d’outsider, terme qui en la circonstance pourrait aussi renvoyer à l’art brut. Il s’individualise en s’exprimant exclusivement au travers de la peinture, ce médium révélateur d’une "plénitude" selon ses propres mots, mais aussi d’une véritable mythologie. Cette technique ferait apparaître "d’invisibles créatures, comme si, dit-il, elles existaient déjà". Il recourt à la manière des surréalistes à une sorte d’automatisme en débutant par le contour à l’intérieur duquel se dessinent des yeux, des visages et enfin des silhouettes anthropomorphes. Il y a du primitivisme dans le fonds qui anime son art. Ses figures sont de celles qui pourraient surgir de quelque grotte, ou au hasard de formes rocheuses. Ludovic Boulard Le Fur renoue avec la nature et un monde oublié, hanté par d’étranges créatures situées au croisement de la préhistoire de la BD, dans cet univers de l’enfance peuplé de rêves et de monstres magnifiques. Ici le cauchemar est proche du rêve, d’un rêve qui a déserté l’art contemporain. Hélas !

Geneviève Nevejan

Le Vingtième Prix de la Fondation d’entreprise Ricard

11 septembre - 27 octobre 2018

Fondation d’entreprise Ricard, 12 rue Boissy d’Anglas - 75008 Paris

Internet www.fondation-entreprise-ricard.com/

A LIRE 20 ans d’art en France. Une histoire sinon rien. Cet ouvrage présente 20 ans de création contemporaine en France, soutenue par la Fondation d'entreprise Ricard. Ouvrage collectif sous la direction de Michel Gauthier, critique d'art, conservateur au service des collections du Centre Pompidou et professeur associé à l'Université de ParisSorbonne et de Marjolaine Lévy, historienne de l'art et commissaire d'exposition, enseignant l'histoire de l'art et du design graphique à l'EESAB - École européenne supérieure d'art de Bretagne (Rennes). 800 illustrations. 296 pages. Éditions Flammarion. Parution 7 novembre 2018. Prix 49 €.

Lucile Littot "Bons baisers de la French Riviera". Galerie Édouard-Manet, Gennevilliers. Du 27 septembre au 1er décembre. Commissaire: Lionel Balouin.

Tag(s) : #Expositions Paris, #Livres
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