Schiavone chi ? Venise soulève le voile sur Andrea Meldola dit Schiavone entre Parmigianino, Tintoret et Titien. Splendeurs de la Renaissance à Venise
Andrea Meldola detto Schiavone. Nozze tra Cupido e Psiche, 1550 ca. Tavola incollata su masonite, 130,8 x 156,2 cm.. New York, The Metropolitan Museum of Art © 2015. Image copyright The Metropolitan Museum of Art/Art Resource/Scala, Firenze
Gilles Kraemer
(déplacement et séjour à Venise à titre personnel)
Schiavone chi ? Étrange interrogation des commissaires Enrico Maria Dal Pozzolo & Lionello Puppi, dans l'introduction du catalogue de l'exposition que le Musée Correr consacre à Andrea Meldola, surnommé Schiavone pour ses origines dalmates (Zara, vers 1510 - 1565 Venise), célébré de son vivant et ami de l'Arétin. Étonnante façon, légèrement provocatrice, de présenter à Venise cette première exposition monographique consacrée à cet artiste du siècle d'or de la peinture de la Sérénissime, exposition convoquant aussi dans son propos des œuvres de quelques-uns de ses contemporains vénitiens : Tiziano (1488 - 1576), Tintoretto (1519 - 1594) ou le parmesan Parmigianino (1503 - 1540). Et d'autres.
L'on ne pourra plus dire : Chi è Schiavone ? en sortant de cette exposition très scientifique, positionnant cet artiste parmi les grands vénitiens du Cinquecento.
Andrea Meldola detto Schiavone. Giuditta. Huile sur toile, 97,5 x 75,5 cm.. Collection privée.
Réponse en 14 salles et 141 oeuvres dont 86 du Dalmate. Peintures, dessins, sculptures, gravures, deux majoliques vénitiennes, médailles et un fragment d'un tissu - carton de Schiavone représentant le profil du Doge Antonio Grimani (1554) -. Inutile de souligner, comme d'habitude, l'accrochage parfait au musée Correr, aujourd'hui sur des murs tendus de violet et de rouge.
Oublions vite la configuration de l'avant - dernière salle, pour rester sur l'éblouissement de la dernière salle, celle des dessins et des eaux-fortes, un immense moment de ravissement dans la contemplation de ces belles feuilles, comme l'acmé d'un parcours d'une grande lisibilité de Schiavone. Ses Noces de Cupidon et de Psyché (1540 - 1545 ? / 1549 ?) donnent une image très forte, puissante, magistrale, enlevée avec brio, dans une furia très maîtrisée du mouvement des personnages. Surtout lorsque cette toile, prêt du Metropolitan Museum of Art, est accrochée en dialogue à côté du dessin très dense et fouillé de la même institution new yorkaise : Mercure et Cupidon présentent Psyché à l'assemblée des dieux. Autre belle comparaison, dans la même salle, celle du portrait d'une puissante matrone non identifiée, un peu revêche et sûre d'elle par Paris Bordon (vers 1540 - 1555) et l'héroine biblique Juliette, ayant accompli son acte mortel, très calme, de Schiavone (vers 1543 - 1545). Leurs ressemblances ? Le collier de perles, une attitude très déterminée, la robe de velours rouge portée par de nombreuses dames vénitiennes de cette époque.
Onze vues de l'exposition Splendori del Rinascimento a Venezia. Schiavone tra Parmigianino, Tintoretto e Tiziano, Musée Correr, Venise © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2016.
Meldola arrive à Venise dans les années 1535 après s'être rendu, vraisemblablement à Rome, Florence et Bologne, la ville où habita un temps Parmigianino. Comparaison côte à côte de La Vierge et l'enfant, saint Jean et saint Zaccharia de Mazzola dit Parmigianino (vers 1533) venue des Offices et d'une Sainte Conversation (avec l'ajout de deux servantes et d'un mouton) de Meldola (vers 1541 ou 1550). D'un côté prédominance de la couleur, de l'autre celle du trait et de la sinuosité et influence indiscutable du parmesan sur le dalmate largement mise en évidence par la similitude de Zaccharie au premier plan, les deux enfants tendrement enlacés, la composition toute en légèreté.
Giorgio Vasari, l'auteur des Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, lui commande une Bataille entre Charles Quint et Barberousse (aujourd'hui perdue) pour Ottaviano Médicis. En 1547, il réalise l'eau-forte et pointe sèche Le Rapt d'Hélène, unique oeuvre signée et datée, destinée à Henri II de France. En 1553 il avait terminé les fresques monochromes rouge de la chapelle des Grimani de l'église San Sebastiano. En 1556, il participe à la décoration du majestueux et immense plafond de la Salle d'or de la Biblioteca Marciana avec trois tondi et deux portraits de philosophes. Le 22 mai 1563, il rédige son testament et décède le 1er décembre 1563.
Peu d'informations connues sur ce peintre dont cette exposition, comme le souligne Francis L. Richardson, président honoraire du Comité scientifique, "informera et amplifiera notre compréhension de cet artiste de grand talent". Grand talent dans son Caïen et Abel (après 1538 ? / 1542 - 1545?) en comparaison du même sujet biblique sous le pinceau de Jacopo Tintoretto. Composition en hauteur pour Meldola, dans un grand paysage, belle étude puissante des dos musculeux des deux fils d'Adam - comment ne songerait-on pas au Torse du Belvédère -, le frère prenant son élan pour frapper Abel déjà au sol. Composition horizontale chez Robusti, les deux frères émergeant aussi de la clarté (et non d'un fond noir comme dans la photographie du catalogue) au moment où Caïen assène le coup mortel. Mais quelle étrangeté lorsque l'on regarde, dans la même salle, Conversion de saint Paul (après 1538) de Schiavone; si la composition toute en cercles procure sa vivacité à la narration du temps où Paul tombe de son cheval, que les personnages sont peu réalistes ! Autant se complaire, dans la même salle, à regarder la Composition du Christ mort (après 1541) de Francesco Salviati et la Tentation de saint Jérôme de Giorgio Vasari. Ou, dans une autre salle, dans une conversation à vingt années de différence, de Madone à l'enfant et saint Jean et une sainte (vers 1530) de Tiziano et la Sainte Famille avec sainte Catherine et saint Jean (vers 1552) de Schiavone, identique composition dans un même paysage si ce n'est l'adjonction chez le dalmate de Joseph.
Schiavone s'est totalement libéré du maniérisme et laisse la poésie envahir sa peinture.
Andrea Meldola detto Schiavone Cerere (Medea?) su un carro trainata dai Draghi. Penna e inchiostro bruno, acquerello bruno, biacca, su traccia a matita nera, su carta preparata marrone, 37 x 26,1 cm.. Paris, Musée du Louvre, département des Arts graphiques © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage
Trente gravures de Schiavone dont deux bois gravés - l'homme politique grec Cléobule et Mariage mystique de sainte Catherine - est un plaisir à goûter avec excès tellement la gravure est parente pauvre dans les expositions ! Chiara Callegari, dans son texte consacré à Andrea Schiavone et la gravure du préjugé à la modernité, insiste sur la passion de Meldola pour l'incision. Surtout si s'offre la comparaison des états de Christ guérissant le paralysé (eau-forte et pointe sèche, 3ème état présenté en deux tirages dont l'un sur un papier préparé), deux versions de Douleur sur le Christ mort (1er et 4ème état pour chacune de ces eaux-fortes et pointes sèches) et Jésus enfant au berceau entouré de saints (1er et 4ème état avc rehauts d'aquarelle sur cette eau-forte et pointe sèche). Et lorsque s'y ajoutent La Circoncision et la Pentecôte, avec rehauts de céruse sur papier préparé jaune - l'on dirait presque un dessin dans ces ajouts de blanc -, le bonheur est complet pour l'amateur d'estampes.
Une salle, consacrée à la Douleur, celle du Christ au moment de son ensevelissement, propose l'opposition de toiles, deux Pietà en une composition identique, à quatre versions gravées en hauteur de la Douleur sur le Christ mort (prêts du British Museum et deux collections privées), à chaque fois une étude du corps nu du Christ mort et des hommes et saintes femmes l'entourant, dans des dispositions différentes.
Des 21 dessins (son corpus serait d'une soixante-dizaine selon la critique la plus récente), tous sont à retenir, un art où excelle Schiavone. Dans ses dessins de jeunesse avec des scènes religieuses - Étude pour des anges et des figures -, la Bible - Judith - ou la mythologie - Cérès (ou Médée) sur son char tiré par des dragons -. Dans ses dessins de la maturité avec L'évanouissement de la Vierge (1550) venue de l'Albertina à Vienne ou La mise au tombeau du Christ, toute en souplesse.
Incontournable exposition de cet automne 2015 - printemps 2016.
Andrea Meldola detto Schiavone. Compianto su Cristo morto. Penna e inchiostro bruno, pennello e acquerelli verde, marrone chiaro e scuro, lumeggiato a biacca, su tracce amatita nera, tracce di acquerello rosso, giallo, blu, su carta marrone chiaro. 200 x 272 mm.. Vienne, Albertina © Albertina, Vienne.
Splendori del Rinascimento a Venezia. Schiavone tra Parmigianino, Tintoretto e Tiziano - Splendeurs de la Renaissance à Venise. Schiavone entre Parmigianino, Tintoret et Titien
28 novembre 2015 - 10 avril 2016
Musée Correr, place Saint Marc - Venise http://correr.visitmuve.it/
Commissariat : Enrico Dal Pozzolo & Lionello Puppi. Mise en espace de Daniela Ferretti (directeur du Musée Fortuny), assistée de Francesca Boni et Georg Malfertheiner
Catalogue indispensable et à conserver. 432 pages, 230 illustrations. Éditions 24 ORE Cultura. Prix 35 euros. Notices très approfondies des œuvres présentées ouvrant plusieurs datations, interprétations. Bibliographie impressionnante de 2 000 titres, de 1538 à 2015. Un bémol : le rendu couleurs de certaines toiles comme les numéros III.3 (La Vierge, Parmigianino) ou VII.4 (Les Noces, Schiavone), deux œuvres maîtresses de l'exposition.
Poursuivez, à Venise, la recherche d'autres œuvres de Schiavone : Salle d'or de la Libreria Sansoviniana (ou Libreria Marciana) dans le parcours du Correr, au musée de Saint Marc, dans les églises de San Sebastiano, des Carmini et de San Giacomo dell'Orio ou à la Pinacothèque Martini au musée de la Ca' Rezzonico.
Autre exposition à voir à Venise : Henriette Fortuny, la muse de Mariano au Musée Fortuny http://www.lecurieuxdesarts.fr/2016/02/le-plisse-fortuny-l-histoire-d-henriette-muse-de-mariano-fortuny-ritratto-di-una-musa.html
Ringraziamenti a l'Ufficio stampa della Fondazione Musei Civici di Venezia par la sua accoglienza.
Andrea Meldola dit Schiavone, Le triomphe militaire; Le sacerdoce; Le gouvernement des empires et des royaumes, 1556 - 1557. Huile, diamètre environ 180 cm.. Venise, Libreria Sansoviniana © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2016.