Joseph Vitta. Passion de collection / Évian
Félix Bracquemond, La Fuite, 1910. Émaux translucides cloisonnés d'or sur une plaque de cuivre, 32,5 x 23,5 cm © galerie Michel Giraud
Qui était le collectionneur et homme d'affaires Joseph Vitta (22 déc. 1860 - 1942), le baron Joseph Vitta puisque son grand-père Giuseppe, d'origine piémontaise, fut anobli en 1855, par Victor-Emmanuel II ? Réponse au Palais Lumière d'Évian qui lui consacre une exposition.
Entrée de l'exposition Joseph Vitta. Passion de collection. Palais Lumière, Évian. Sur la droite, deux œuvres de Jules Chéret : Portrait du baron Vitta et Portrait de la baronne Vitta en buste, Nice, Musée des Beaux-Arts © Photographie Gilles Kraemer, présentation presse 14 février 2014
Personnage bien oublié aujourd'hui, passionné des arts, sa personnalité était déjà évoquée en filigrane, à travers des œuvres qui lui appartinrent, dans deux expositions précédentes à Évian : Jules Chéret. L'esprit et la grâce en 2008 (des oeuvres venaient de Nice, offertes par le baron au musée des Beaux-Arts de cette ville en 1925, 1927 et 1932), Rodin. Les arts décoratifs en 2009. L'importance de la villa La Sapinière, à Évian sur les rives du Léman, édifiée pour la famille Vitta par Jean-Camille Formigé à la fin du XIXe siècle, pour laquelle des artistes intervinrent tant pour la décoration intérieure qu'extérieure (Félix Bracquemond, Jules Chéret, Alexandre Charpentier, Albert Besnard, Auguste Rodin et Alexandre Falguière) y était également soulignée.
Qui était donc ce baron, collectionneur comme son père Jonas et son oncle Emilio ? Cultivant la discrétion, il fut conservateur de l'atelier Delacroix et contribua par des dons importants et réguliers à l'enrichissement d'institutions muséales. « L'exposition au palais Lumière à Evian et le catalogue qui l'accompagne se veulent un hommage au collectionneur, au commanditaire, au donateur, au mécène et à l'homme cultivé et généreux » comme le soulignent William Saadé et Mathurin Maison dans leur étude Joseph Vitta. Une vie au service de l'art.
D'une « modernité mesurée », tel nous le présente François Blanchetière, Vitta n'est pas un homme de l'avant-garde et ne portera pas ses regards vers le fauvisme ou le cubisme, le futurisme ou l'expressionnisme. Il achète dès les années 1890 et cesse de collectionner vers 1910, disperse sa collection en trois ventes publiques en 1924, 1926 (y figure Pertuizet, le chasseur de lions, dessin d'Edouard Manet) et 1935, mettant fin à cette passion-météore, « ce désir compulsif pour les oeuvres d'art » comme le note William Saadé. Il décède au Breuil, dans l'Allier, le 29 décembre 1942.
Vue de l'exposition Joseph Vitta. Passion de collection. Palais Lumière, Évian. Au premier plan Buste d'Antonin le Pieux, milieu du IIe siècle ; au fond Buste d'une jeune femme représentée en Isis, seconde moitié du IIe siècle-début du IIIe siècle, Casale Monferrato, Musée civique et Gypsothèque Bistolfi © Photographie Gilles Kraemer, présentation presse 14 février 2014
Donateur très important de Chéret auprès de Nice (le film projeté à l'exposition Mémoire des maisons mortes, de Paul Gilson, musique d'André Jolivet, tourné en 1943, représente Joseph Vitta et Jules Chéret, échappés de leurs portraits et se promenant dans le musée des Beaux-Arts de Nice), il offre des oeuvres à la ville italienne de Casale Monferrato d’où était originaire sa famille, au musée des Beaux-Arts de Lyon, au château de Malmaison, au musée Delacroix et au Louvre. Lorsqu'en 1921, il vend 800 000 francs à cette institution parisienne La Mort de Sardanapale d’Eugène Delacroix - qu'il avait acquise 80 000 francs - , il participe, à hauteur de 100 000 francs, à la souscription de ce tableau et y ajoute un lot d’études préparatoires de Delacroix et d'Ingres .
Car, en plus de cet immense tableau du chef de file de l'école romantique, il possédait du chef de file de l'école néo-classique Jean Auguste Dominique Ingres, une belle Étude de mains de L'Apothéose d'Homère, vers 1827, et le grand dessin préparatoire d'une gravure qui ne vit jamais le jour Homère déifié (dit aussi L'Apothéose d'Homère), vers 1840. Aucune contradiction chez lui à collectionner ces deux maîtres dont La Mort et L'Apothéose furent exposées au Salon de 1827.
Ingres, Delacroix mais aussi Jules Chéret, largement présent dans cette exposition (Portraits du baron et de la baronne) par des tableaux et surtout des études pour la décoration de la villa La Sapinière, Chéret y peignant les murs, le plafond et les portes de la salle de billard (1). Pour le vestibule de cette villa, Rodin sculpta deux bas-reliefs et deux jardinières, sculptures très proches, dans le traitement de l'enveloppement des formes et des creux très forts, d'un autre bas-relief L'Automne qui orna l'appartement parisien du baron, aujourd'hui détruit, au 51 de l'avenue des Champs Élysées.
Auguste Rodin, L'Automne, 1901-1905, pierre de l'Estaillade, H. 82 ; L. 234 ; P. 45 cm, Paris, Musée Rodin © Photographie Gilles Kraemer, présentation presse 14 février 2014
Jules Chéret, L'Orchestre (sans la frise de masques), deuxième étude d'un panneau pour la salle de billard, 1893-1894, huile sur toile, H. 170 ; L. 310 cm, Nice, Musée des Beaux-Arts © Photographie Gilles Kraemer, présentation presse 14 février 2014
Cette belle exposition – scénographie très aérée de Frédéric Beauclair malgré l'ingratitude des salles en sous-sol, pas assez de recul pour le portrait de Sir John Edmund Commerell, 1882, par Albert Besnard) – montre quelques pièces de la collection des arts asiatiques du baron qu'il offrit au musée des Beaux-Arts de Nice, dont le grand et exceptionnel rouleau (d'une longueur de 16 mètres) de Xu Yang illustrant Le voyage d'inspection de l'Empereur Qianlong dans le sud de la Chine, vers 1776, « voyage à forte charge symbolique destiné à affirmer le pouvoir de l'empereur et sa fonction suprême », une autre des pièces maîtresses de la collection du baron.
Deux vues de la salle des œuvres asiatiques, exposition Joseph Vitta. Passion de collection. Palais Lumière, Évian © Photographie Gilles Kraemer, présentation presse 14 février 2014
Mon coup de cœur : La Fuite, évoquant Ève chassée du paradis, émaux translucides cloisonnés d'or sur un plaque de cuivre par Alexandre Riquet d'après un dessin de Félix Bracquemond ; elle fut présentée à la XXVI Biennale des antiquaires, en 2012, à la galerie Michel Giraud.
Joseph Vitta. Passion de collection
15 février – 1er juin 2014
Palais Lumière - quai Albert-Besson – 74500 Évian
Internet : www.ville-evian.fr
Commissariat de William Saadé & François Blanchetière
Catalogue. Essais sur Joseph Vitta, collectionneur de Delacroix, Bracquemond, Chéret et Rodin. Éditions Somogy éditions d'art. 272 pages. 145 illustrations. Prix 35 euros.
(1) Durant cette exposition, la villa La Sapinière est exceptionnellement ouverte. Visite commentée le vendredi de 9h à 12h et le mercredi de 16h à 17h. Sur réservation (04 50 83 10 19).