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Publié par Marie-Christine Sentenac

Paul Cézanne (1839-1906), Les grands arbres. Pinceau et aquarelle sur graphite. 47 x 58 cm. © Collection Prat.

 

Mars 1974, un jeune homme lève la main pour la première fois en salle de ventes afin d'acquérir une feuille de Delacroix. C'est ainsi qu'a commencé, avec la passion extrême qui habite tout jeune amateur éclairé - il avait trente ans -, une des collections les plus prestigieuses au monde de dessins français. Il ne reste plus que 230 chefs-d'œuvre environ des 900 dessins qu'il a collectés en à peine dix ans. C'est dire avec quel soin extrême Louis-Antoine Prat - également Président de la Société des amis du Louvre - gère, avec l'aide de son épouse Véronique, un ensemble pertinent d'œuvres françaises des XVII, XVIII et XIXe siècles.

Il confesse :"dans ma jeunesse, j'ai fait l'erreur d'accumuler, aujourd'hui, je choisis". L'activité, puisque c'est bien d'un travail à plein temps qu'il s'agit et non d'un passe-temps distrayant si l'on veut ne pas être "en dehors du coup" comme le souligne cet ex-amateur compulsif, évolue avec ce qu'il est convenu d'appeler "le marché de l'art". Son œil s'affine avec le temps et la sélection se fait plus subtile et forme un tout cohérent. Ne subsistent que les pièces exceptionnelles par leur composition, leur sujet ou leur qualité technique.

En huit sections, depuis les Français en Italie au XVIIe siècle, jusqu'à La Modernité, ce sont cent dix belles feuilles qui sont exposées à la Fondation Bemberg, selon un parcours chronologique. Elles furent présentées au musée Correr à Venise, au printemps 2017.

 

Simon Vouet (1590-1649), Repos pendant la fuite en Égypte. Pierre noire et rehauts de blanc sur papier beige. 21,5 x 23,6 cm. © Collection Prat.

Ces dessins, qu'ils soient une esquisse préparatoire comme La cardeuse de laine, étude pour un tableau présenté au Salon de 1863 par Jean Francois Millet, une étude de détail qui resurgira des années plus tard dans un tableau, telle cette étonnante Feuille d'études d'animaux, de figures et de bâtiments de Nicolas Poussin (1640) dont on retrouve un détail architectural dans Repos pendant la fuite en Égypte du Musée de l'Hermitage (1655 - 1657) peinture réalisée près de 20 ans plus tard, ou plus rarement une œuvre en soi comme la plus ancienne feuille de la collection Prat, Le Colisée de François Stellaert dit Stella (1587),  tous ces dessins représentent la quintessence de trois siècles de la belle feuille en en France.

Panorama des différents courants et techniques (encre, fusain, crayon, sanguine, aquarelle) qui se sont côtoyés, la visite débute par la salle consacrée aux Français en Italie. Un exceptionnel dessin La Madeleine en prière dans le désert de Le Lorrain, ayant appartenu à Christine de Suède est malheureusement accroché trop haut pour qu'on puisse l'admirer comme il le mérite. Leur font face Les Parisiens et provinciaux du siècle d'or avec Simon Vouet, Gustave Le Sueur et aussi le toulousain Antoine Rivals.

 

François Boucher (1703-1770), Satyre soulevant une draperie, un genou à terre, vu de trois quarts gauche. Sanguine et rehauts de blanc sur papier crème. 26,5 x 26,9 cm. © Collection Prat.

 

Le Classicisme est représenté par Nicolas Mignard, Antoine Coypel ou Charles de la Fosse qui feront triompher la couleur sur la ligne pure défendue par Le Brun, Premier peintre du roi. La Tête de Christ vue de trois quarts à gauche de Charles de La Fosse est une étude aux trois crayons, d'un tenant du parti de la couleur qui gagnera la querelle stylistique opposant, à la fin du XVIIe siècle, les Poussinistes attachés à l'art de la ligne aux Rubénistes épris de la notion de couleur.

Vient ensuite Antoine Watteau et La Rocaille. La légèreté d’Antoine Watteau ou de François Boucher s'oppose aux sujets choisis par Jean Restout Le Christ et Les Pèlerins d’Emmaüs. Après 1740, une réaction néoclassique revient au réalisme, avec Jean-Baptiste Greuze, François-André Vincent ou Charles-Joseph Natoire, le directeur de l'Académie de France à Rome qui incitera ses élèves à dessiner sur le motif.

 

François-André Vincent (1746-1816), La Leçon d’Agriculture. Plume et encre brune, lavis brun sur traits de sanguine. 35,5 x 38 cm. Dessin préparatoire pour la peinture allégorique, L’Agriculture, dit La Leçon d’Agriculture ou La Leçon Labourage (1797-1798) visible au musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Cette œuvre appartient à une série de quatre tableaux destinés à orner l’hôtel particulier de M. Boyer-Fonfrède sur le thème de l’Éducation, suivant les idées de Jean-Jacques Rousseau. Cette toile illustre le grand précepte rousseauiste dans l’Émile : les arts et les sciences doivent s’apprendre par la pratique © Collection Prat.

 

Puis le Néoclassisisme de Jacques-Louis David, Pierre-Paul Prud'hon auquel tout un mur est consacré. La Fortune de ce dernier appartient à la donation Prat au Louvre. Dans la section Romantiques Paysagistes Dessinateurs Littéraires, il est plaisant de voir que les œuvres de Delacroix sont exposées face à celles d'Ingres - alors que l'on connaît le peu d'estime du premier à l'égard du second -. Ceci permet de percevoir le fossé qui les séparait malgré l'immense talent de chacun d'eux. Victor Hugo (un géant du dessin d'après Louis-Antoine Prat) et Charles Baudelaire côtoient Antoine-Jean Gros et Théodore Géricault. La visite se termine par la Modernité où se confrontent Paul Cézanne, Odilon Redon, Auguste Rodin, Édouard Manet, Henri de Toulouse-Lautrec, Georges Seurat. Et, Fillette debout de Edgar Degas, un des dessin préférés de ce "connoisseur invétéré".

Le splendide hôtel d'Assezat abrite la collection Bemberg, du nom de ce mécène qui a fait don à la ville de Toulouse pour une durée de 99 ans de trésors incomparables disposés au premier étage comme dans une demeure, et de plus de trente toiles de Pierre Bonnard au second étage .

 

Des œuvres de sa collection dont certaines enrichiront le musée du Louvre, Louis-Antoine Prat dit : "On ne possède que ce que l'on partage, qu'il s'agisse d'objets ou de savoir". Belle leçon de modestie !

 

Marie-Christine Sentenac

 

 

 

Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823), La Fortune. Pierre noire et craie blanche sur papier bleu. 35 x 22 cm. © Collection Prat. 

De Poussin à Cézanne. Chefs-d’œuvre du dessin français de la Collection Prat

23 juin - 1er octobre 2017 - Fondation Bemberg

Hôtel d’Assézat - Place d’Assézat - 31000 Toulouse

 

Toulouse  www.fondation-bemberg.fr/fr/home.html

 

Venise correr.visitmuve.it/it/mostre/archivio-mostre/mostra-collezione-prat/2017/02/18396/da-poussin-a-cezanne-disegni-dalla-collezione-prat/

 

Co-produite avec le musée Correr à Venise - Fondazione Musei Civici di Venezia, cette exposition fut présentée du 18 mars au 4 juin 2017 à Venise sous le titre Da Poussin à Cézanne. Capolavori del disegno francese dalla Collezione Prat. Avec le support de l'Alliance française à Venise.  Commissariat Pierre Rosenberg.

Catalogue. 285 pages. 107 illustrations. Éditions Magonza, coréalisé par le musée Correr et la fondation Bemberg.

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