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Publié par Gilles Kraemer

J'emprunte fort volontiers les subtils qualificatifs d'artisan-poète selon Jean Leymarie ou de sculpteur de meubles selon Daniel Marchesseau donnés à Diego Giacometti. Qui était-il, celui que la lumière d'Alberto son frère a trop longtemps placé dans l'ombre ?

Deux Grandes tables octogonales aux caryatides et atlantes avec un Ensemble de quatre tabourets en X, troisième version, vers 1983. Bronze patiné et cuir  © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2 mars 2017, exposition Les Giacometti d'Hubert de Givenchy, Christie's, Paris.                                                  

Dans la famille Giacometti, je demande le père Giovanni (1868-1933) peintre. La fille Ottilia (1904-1937). Les fils. Alberto, l'aîné, le sculpteur (1901-1966). Diego (Borgonovo 1902-1985 Paris) son cadet de 13 mois. Bruno, l'architecte (1907-2012) que tous ceux fréquentant les Giardini lors des biennales de Venise se devraient de connaître puisqu'il fut, en 1952, l'architecte du Pavillon suisse. Sans oublier Augusto, l'oncle, peintre, même si la fratrie était en froid avec lui.

Diego Giacometti, Paire d'arbres de vie ou Arbres à l'oiseau et à l'escargot, vers 1968. Bronze patiné © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2 mars 2017, exposition Les Giacometti d'Hubert de Givenchy, Christie's, Paris. 

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2 mars 2017, exposition Les Giacometti d'Hubert de Givenchy, Christie's, Paris.  

Qui était Diego, pétri de réserve et de pudeur ? Il aura fallu la vente - chez Christie's Paris en mars 2017 - de quelques uns de ses meubles conçus pour Hubert de Givenchy pour qu'il sorte du cercle des "connoisseurs" de son travail. Hubert de Givenchy, auquel cet ouvrage de Daniel Marchesseau abondamment illustré doit tant, fut séduit par son univers, "par ce mobilier traduisant l'exceptionnelle complicité entre ces deux géants du goût français pour un bestiaire familier le plus poétique. La subtilité dans l'épure évoque mystérieusement la rigueur du mobilier antique et la poésie du quotidien telle que la désire ce maestro de la haute couture". Conquis aussi, le furent les Gruber, Maeght, Cortot, Pierre Matisse ou Simone Veil, Pierre Berès ou Henri Samuel, Michel Butor, Marc Barbezat - la poétique Chambre à livres sous la présence d'oiseaux de l'éditeur courageux du sulfureux Jean Genet l'essayiste de L'Atelier d'Alberto Giacometti - ou Jean-Paul Binet qui lui commanda une sculpture pour présenter un œuf d'autruche. 

Au premier plan, Paire de fauteuils Tête de lionne. Exposition Le monde fantastique de Diego Giacometti, Sotheby's Paris, galerie Charpentier © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 26 janvier 2017.   

C'est cette discrétion subtile de l'œuvre sculpté de Diego que Daniel Marchesseau nous propose. Il ne s'agit nullement d'une réédition de l'ouvrage qu'il publia en 1986, le texte en est totalement différent et les photographies étaient en noir et blanc. Exégète de cet artiste, il fut en 1986 le commissaire de la rétrospective Diego Giacometti. Plâtres et bronzes que le musée des Arts décoratifs de Paris lui consacra. Cette exposition sera suivie d'une donation du fonds de son atelier - 500 pièces - par les membres de sa famille. Étonnant si vous regardez la scénographie des Arts déco et celle de Nathalie Crinière qui s'en inspira pour la vente Les Giacometti d'Hubert de Givenchy; la présentation des meubles de Diego ne souffre que d'une épure subtile. 

Les deux frères, Diego et Alberto vécurent ensemble pendant 40 ans, rue Hippolyte-Maindron, mitoyens d'atelier. L'œuvre d'Alberto n'aurait pu être sans Diego qui ne fut jamais son assistant mais son "autre paire de mains", dans cette complicité des relations fraternelles et fusionnelles entre eux deux, dans une intimité sans cesse partagée. Diego avait une révérence pour son aîné, le comprenant d'une façon intuitive. Nulle parole dans "ce couple" d'artistes.

Vue de l'exposition Diego Giacometti au musée Picasso © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 16 mai 2018, musée national Picasso-Paris, hôtel Salé.    

Dans l'ombre d'Alberto vivant, la mort de son frère permit "l'envol" de Diego dans une façon de surmonter cette irrémédiable absence. "De ce questionnement intime, de ces mois d'égarement et d'infinie tristesse, se relèvera toutefois un créateur à nul autre pareil". Il fallut attendre le début des années 1970, cinq ans après la disparition d'Alberto, alors qu'il avait 70 ans pour que Diego authentifie par son seul prénom ses créations. "Obéissant à une discrétion notoire".

Diego Giacometti, Lanterne © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2019, musée national Picasso-Paris, hôtel Salé, Paris.     

Allait s'amplifier une œuvre en transparence avec des sources égyptiennes et étrusques. De ces volumes naquirent la légèreté et la gracilité des tables, chaises, guéridons, fauteuils, lampes, bibliothèques, porte-manteaux, photophores, rampes d'escalier, chenets. Langage formel de la construction associée à la poétique de l'adjonction d'un monde végétal ou animal, comme la touche ultime d'intimité de chacune des œuvres nées de ses mains. Tout pour la séduction du regard après la première appréhension du volume. S'effacer au maximum et laisser "parler" le meuble de cet "as des patines" comme le surnommait affectueusement son frère.

Diego Giacometti, Lustre "à motifs de feuilles", 1983-1985. Résine blanche. 180 x 130 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2019, musée national Picasso-Paris, hôtel. 

Diego Giacometti, Plafonnier à huit branches © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2019, musée national Picasso-Paris, hôtel Salé. 

Octogénaire, il relève après quelques hésitations le défi proposé par Dominique Bozo : celui de meubler l'escalier et les salons d'apparat de l'hôtel Salé choisi pour abriter la dation successorale de Pablo Picasso. Lanterne en bronze pour l'escalier évoquant un cage à oiseaux, un lustre en tambour à motifs de feuilles et des plafonniers à quatre et huit branches naîtront, eux en résine blanche évocatrice du plâtre, une matière légère car les plafonds n'auraient pas résisté au métal. Deux grandes torchères Fleurs de lotus en bronze dans le salon Jupiter, banquettes et chaises sont également conçues. Diego n'assistera pas à l'inauguration du musée prévue en septembre 1985. Il décède le 15 juillet, victime d'une embolie. 

Gilles Kraemer 

Daniel Marchesseau, Diego Giacometti. Sculpteur de meubles. 224 pages. 150 reproductions. Novembre 2018. Éditions du Regard. Prix 49 €. 

Cette première de couverture reproduit un détail de la Table-carcasse au navigateur, vers 1969, qui appartint à Marc Barbezat. 

Pour mémoire. Daniel Marchesseau, Diego : de l'ombre à la lumière. Texte paru dans Diego Giacometti au musée Picasso, catalogue de l'exposition du musée Picasso, Paris, printemps à automne, 2018 & Daniel Marchesseau, Diego Giacometti. Préface de Jean Leymarie. Postface de Dominique Bozo. 1986. Éditions Hermann. 

Chez Hubert de Givenchy au château du Jonchet. Service presse Christie's Paris.  Diego Giacometti, Grande table octogonale aux cariatides et atlantes, vers 1983. Bronze patiné et pin naturel. H 81,5 x D 190,5 cm.. Signée DIEGO et monogrammée DG sur une traverse de l’entretoise.

www.christies.com/features/Giacometti-works-from-Givenchy-Chateau-8037-1.aspx

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