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Publié par Gilles Kraemer

L'Orient des mirages de Benjamin-Constant

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

Jean-Joseph Benjamin Constant dit Benjamin-Constant (1845-1902) ce nom ne vous évoque rien ! Peut-être « un orientaliste des Batignolles » si l'on reprend la railleuse expression de Joris-Karl Huysmans à son égard ! Première rétrospective de cet artiste français et (re)découverte de l'œuvre de ce peintre de l'orientalisme de la Troisième république, bien en cour dans les arcanes du pouvoir parisien par son mariage avec la fille d'Emmanuel Arago, ministre de l'Intérieur. Pour cette remise en lumière de ce peintre, bien oublié, les musées des Augustins de Toulouse et des Beaux-Arts de Montréal se sont associés.

Pourquoi Toulouse et Montréal ? Rien de plus naturel. Né à Paris, orphelin de mère, Benjamin-Constant passera son enfance à Toulouse, à partir de deux ans, élevé par ses tantes comme le rappelle Axel Hémery, l'un des commissaires de cette exposition - Toulouse conserve treize œuvres de cet artiste -, Nathalie Bondil soulignant que le musée de Montréal possède quatre toiles dont deux acquises du vivant de l'artiste. Étonnant pensera-t-on que cette présence sur des cimaises nord-américaines ! Nullement, poursuit Nathalie Bondil puisque sur les soixante-dix toiles présentées à Toulouse, la moité provient d'Amérique du Nord, reflétant la personnalité de Benjamin-Constant qui avait très vite compris la nécessité de « s'établir à l'internationale, dans une stratégie de carrière ». Traversant par six fois l'Atlantique entre 1888 et 1895, il se rendait dans le nouveau monde, à la rencontre de ses clients Étasuniens et Canadiens pour faire leurs portraits. 

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014  /// Présentation du tableau restauré de Benjamin-Constant Le Jour des funérailles. Scène du Maroc (1889) © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, musée des beaux-arts de la ville de Paris, 3 juillet 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014  /// Présentation du tableau restauré de Benjamin-Constant Le Jour des funérailles. Scène du Maroc (1889) © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, musée des beaux-arts de la ville de Paris, 3 juillet 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014  /// Présentation du tableau restauré de Benjamin-Constant Le Jour des funérailles. Scène du Maroc (1889) © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, musée des beaux-arts de la ville de Paris, 3 juillet 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014  /// Présentation du tableau restauré de Benjamin-Constant Le Jour des funérailles. Scène du Maroc (1889) © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, musée des beaux-arts de la ville de Paris, 3 juillet 2014

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014 /// Présentation du tableau restauré de Benjamin-Constant Le Jour des funérailles. Scène du Maroc (1889) © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, musée des beaux-arts de la ville de Paris, 3 juillet 2014

Pensant retarder cette échéance d'un long exil dans les mémoires, sa veuve Catherine avait offert au musée du Petit Palais de Paris, après le décès de son époux le monumental Le Jour des funérailles - Scène du Maroc (1889). Pas d'éternité institutionnelle pour cette toile où se retrouve toutes les obsessions de l'Orient et qui n'avait pas rencontré le succès lorsqu'elle fut présentée au Salon. Elle sera vite décrochée, roulée et conservée dans les réserves de l'institution parisienne. Sortie de son purgatoire à l'occasion de cette exposition, elle vient d'être restaurée spécifiquement comme de nombreuses toiles présentées ici le furent. Elle retrouvera les cimaises du Petit Palais après son exposition toulousaine puis montréalaise. Il aura donc fallu plus d'un siècle pour que Benjamin-Constant ressurgisse et, l'un des aspects notables de cette exposition est sa reconnaissance par la présentation de ses grands formats du Salon, vite oubliés car mis dans les réserves ou inaccessibles puisque roulés.

L'on pourrait comparer cette relecture par l'histoire de l'art à celle de Jean-Paul Laurens ou Jean-Léon Gérôme par le musée d'Orsay en 1997 et 2010 ou celle d'Édouard Debat-Ponsan actuellement au musée des Beaux-Arts de Tours. A quand une exposition consacrée à Léon Bonnat, le grand portraitiste de la Troisième république ? En tout cas, elle ne pourra se tenir dans le musée bayonnais portant son nom puisque fermé depuis avril 2011 pour des travaux d'aménagement pas encore commencés et dont la date d'achèvement n'est pas fixée !

 

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

Cette exposition est hors norme, physiquement, par les grandes dimensions de certains tableaux, toiles qui reflètent « la vie attachante de Benjamin-Constant, celle d'un artiste oublié et objet de désaffection » comme le soulignent de concert les deux commissaires. C'est aussi l'occasion de découvrir des œuvres plus petites et délicates - l'intense Tête de Maure (vue dans le commerce parisien à la galerie Terrades en novembre 2012) dans cette mise en scène du turban, un portrait manifestement peint en l'atelier - dans cette exposition toulousaine thématique.

Il s'inscrit à l'école des beaux-arts de Toulouse dans l'atelier de Jules Garipuy, un disciple de Delacroix, puis dans l'atelier parisien d'Alexandre Cabanel. Échec par deux fois au Prix de Rome qui lui aurait permis d'acquérir très vite la renommée. Ce sera en 1870 la découverte fulgurante du Maroc avec un premier séjour à Tanger de 15 jours, suivi d'un séjour de 18 mois dans la même ville entre 1871 et 1873 puis en 1883. L'exposition ne pouvait que se placer sous la présence de Delacroix et des Comédiens ou bouffons arabes (1848) venus du musée des Beaux-Arts de Tours.

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

L'Orient est le lieu de la vision phantasmée de la femme, le monde intime des odalisques, de la cour fermée du palais du sultan, des grandes terrasses blanches de Tanger, la ville marocaine ouverte aux étrangers, lieux de sociabilité des femmes à l'abri du regard des hommes tels Le Soir sur les terrasses venu de Montréal ou La Danse du foulard avec dans le lointain le rocher de Gibraltar en une lumière crue et intense. Contrairement aux grands formats de cette exposition Intérieur de harem au Maroc, exposé au Salon de 1878, est visible en permanence au palais des Beaux-Arts de Lille pour lequel il fut acquis ; l'on y perçoit toute l'ambivalence de ce peintre audacieux mais qui ne va pas jusqu'à la modernité, qui se tourne vers Delacroix dans une composition proche de Noce juive au Maroc, y apportant des effets étranges par la note verte de la porte ou le rai de lumière cassé tout à fait artificiel.

Les Chérifas (1884) de Carcassonne, avec un traitement très proche de Rembrandt, un autre de ses peintres admirés, par cette accumulation des ors, des sangs de bœuf, des marrons, est dans un phantasme assumé du harem. Cette vision sera mise en rappel au musée de Montréal lors de l'exposition de février 2015, dans un dialogue contemporain avec les photographies de l'artiste marocaine Majida Khattari.

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

L'Orient c'est aussi celui du théâtre de la cruauté avec Prisonniers marocains (1875), le règne du pouvoir avec Le roi du Maroc allant recevoir un ambassadeur européen (vers 1885) réminiscence du voyage de l'artiste dans ce pays et comme un souvenir du tableau de Delacroix du musée de Toulouse Moulay Abd-Er Rahman, sultan du Maroc, sortant de son palais de Meknès. Et l'évocation plus lointaine géographiquement de l'Empire byzantin représentée à Toulouse par une seule œuvre : l'esquisse de La Conspiration (vers 1886).

Dans un goût du moment suspendu, Le Lendemain d'une victoire à l'Alhambra (1882) exalte cette peinture d'histoire avec une grande vacuité d'un récit s'imposant par son format très spectaculaire. Autre résurrection de cette exposition Les Derniers Rebelles, scène d'histoire marocaine (1880), à l'encadrement somptueux, sorti des réserves du musée des Beaux-Arts de Besançon, est un grand tableau d'histoire avec des mouvements de troupes, la vision traditionnelle du sultan protégé par une ombrelle, une esquisse informelle des arrières-plans et la force de ses couleurs. Ce tableau fascinant et important pour Benjamin-Constant, exposé au Salon, fut présenté ensuite au musée du Luxembourg, le saint des saints, « le centre Georges Pompidou de l'époque », la consécration  de la carrière de Benjamin-Constant.

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014
Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

Exposition Benjamin-Constant. Merveilles et mirages de l'orientalisme. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

Si les portraits du Pape Léon XIII, de La Reine Victoria ou de L'Impératrice Alexandra Fedorovna ne sont pas exposés, le portraitiste mondain, de l'aristocratie et des souverains qu'il fut, - recevant dans son atelier de la rue Pigalle, espace également d'exposition et de vente. le dimanche matin - est représenté par Mme Serge von Derwies et la cantatrice Emma Calvé dont l'on dit qu'elle inspira le personnage de la Castafiore à Hergé ! Deux toiles bien convenues, pâtissantes face au portrait étonnant et inclassable de L'Albinos (l'on ne sait rien de cet homme), de celui de ses deux fils et d'André qui lui permettra, enfin, de remporter la médaille d'or du Salon en 1896.

« L'histoire est une résurrection de la vie intégrale... » disait Jules Michelet. Appliquons cette phrase à Benjamin-Constant.

 

Gilles Kraemer

Benjamin-Constant Merveilles et mirages de l'orientalisme

4 octobre 2014 – 4 janvier 2015

Musée des Augustins

21, rue de Metz – 31 000 Toulouse

Internet : www.augustins.org

et

31 janvier – 31 mai 2015

Musée des beaux-arts

1380 rue Sherbrooke ouest - Montréal

Internet : www.mbam.qc.ca

 

Commissariat de Nathalie Bondil et Axel Hémery, assistés de Samuel Montiège.

Un vrai catalogue et non un ouvrage pour se souvenir des oeuvres vues. Catalogue de référence - 400 pages et 600 illustrations - sous la direction de Nathalie Bondil. Textes sur la tentation de la peinture d'histoire, sur les Orients vécus et rêvés, de l'Espagne au Maroc, sur la vie d'artiste (enfin, pas celle à la façon de La Bohème mais dans le cercle des mondanités et de la gloire). Annexes avec chronologie, sélection de portraits européens et nord-américains, liste sélective de ses élèves à l'académie Julian, oeuvres exposées aux cercles, au salon de Lyon et à la Société des peintres orientalistes français, expositions auxquelles il a participé, bibliographie, index des noms propres. Éditions Musée des beaux-arts de Montréal et éditions Hazan, Paris, en français et en anglais. Seulement 49 euros.

Poursuivez l'exposition dans l'immense salon rouge du musée des Augustins présentant Entrée de Mehmet II à Constantinople le 29 mai 1453, huile sur toile, 7 x 5 mètres de Benjamin-Constant, acquise au Salon de 1876 par l'État au profit de sa ville de formation.

Puis, à pied, en 10 minutes de marche, rendez-vous dans la Salle des Illustres du Capitole pour L'Entrée d'Urbain II à Toulouse.

Entrée du sultan Mehmet II à Constantinople ne pouvant voyager en raison de la monumentalité de son format, le musée des Augustins prête à son partenaire montréalais cinq œuvres de Benjamin-Constant, Debat-Ponsan, Laurens et Rixens uniquement présentées au Canada. L'institution de Montréal croisera cet orientalisme avec des œuvres de trois artistes contemporaines marocaines : Lalla Essaydi, Majida Khattari et Yasmina Bouziane.

Première co-production du Musée des Augustins de Toulouse et du Musée des beaux-arts de Montréal, sous les auspices de FRAME (French Regional American Museum Exchange), cette exposition a reçu en France le label Exposition d'intérêt national du ministère de la Culture et de la Communication.

 

 

L'Orient des mirages de Benjamin-Constant

Benjamin-Constant, Entrée du sultan Mehmet II à Constantinople le 29 mai 1453, 1876, huile sur toile, 697 x 536 cm. Musée des Augustins, Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

L'Orient des mirages de Benjamin-Constant

Benjamin-Constant, L'Entrée d'Urbain II à Toulouse, 1900, huile sur toile, 920 x 670 cm. Panneau de la salle des Illustres au Capitole de Toulouse © Le curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2014

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