Louis Gauffier. Enfin en pleine lumière au musée Fabre
Gilles Kraemer (envoyé à Montpellier)
Enfin. Louis Gauffier sort de sa semi-pénombre, retrouve la lumière de Rome, de Florence, des paysages italiens dans cette rétrospective que le musée Fabre lui consacre avec éclat.
Louis Gauffier, La Générosité des femmes romaines, 1790 (détail). Huile sur toile. 82 x 113 cm.. Poitiers, musée Sainte-Croix. Dépôt du musée du Louvre en 1949 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Montpellier, musée Fabre, exposition Louis Gauffier. Le sujet provient de l'histoire de la République romaine et se déroule en 391 av. J.-C., au lendemain de la dictature de Camille et de la prise de la cité étrusque Veiès.
Pourquoi de cette exposition, ici, à Montpellier ? La réponse est simple précise Michel Hilaire, le directeur de cette magnifique institution. Après l’exposition en 2007 François-Xavier Fabre, de Florence à Montpellier, [au musée éponyme puis à la Galleria d’Arte Moderna à Turin], il était normal que Montpellier consacre une exposition à Louis Gauffier, dans le compagnonnage artistique que Fabre entretint avec lui. En effet, à la mort de Louis, François-Xavier recueille un ensemble de dessins, esquisses, études et peintures issu de l’atelier de son ami qu’il offrira à sa ville natale, contribuant à la perpétuation de la mémoire de l’artiste. Mouvement suivi de legs et d’achats, depuis le XIXème jusqu’à aujourd’hui parmi lesquels, souligne Michel Hilaire, l’une des quatre vues italiennes de Vallombrosa : Vue de Vallombrosa, abbaye des Apennins (1797) acquise en 2008 [Sotheby’s New York pour 601 000 $ frais compris] et Vue sur la vallée de l’Arno à Florence (1795) acquise en 2016. (1)
En 135 dessins et peintures de Louis et de ses contemporains, peintres d’histoire et paysagistes, il resurgit, permettant pour la première fois de mieux cerner la personnalité complexe, attachante et visionnaire de cet artiste, dont le destin s’est joué entre la France et l’Italie, complète Michel Hilaire. Né en 1762 à Poitiers et non à Rochefort - comme le laissa supposer longtemps son Retour du fils prodigue (1782) conservé au musée d’Art et d’Histoire de cette cité maritime - il meurt à Florence en octobre 1801, précédé de son épouse Pauline décédée à 29 ans, laissant Faustine et Louis orphelins, âgés respectivement de 9 et 10 ans.
à gauche Louis Gauffier, La Cananéenne aux pieds du Christ, 1784. Huile sur toile. 110 x 140 cm.. Paris, Beaux-Arts de Paris, dépôt du musée du Louvre & à droite Jean-Germain Drouais, La Cananéenne aux pieds du Christ, 1784. Huile sur toile. 114 x 146 cm.. Paris, musée du Louvre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, exposition Louis Gauffier, 2022.
C’est à un voyage dans les dernières années de la royauté, les années romaines, la Révolution française, les années florentines, le Directoire en Italie, dans sa très longue présence élective en terre italienne, dans sa prégnance sensible du paysage que nous entraîne cette exposition dans le parcours chrono-thématique de neuf sections. Une carrière perturbée par les événements politiques puisque préférant quitter la France dans les prémices de la Révolution, il résidera à Rome qu’il quittera en 1793, suite aux émeutes anti-françaises, pour Florence où il devient professeur et portraitiste attitré des voyageurs pratiquant le Grand Tour de l’Italie, puis de ses compatriotes occupant Toscane.
Il suit le cursus de tout peintre de l’Académie royale de peinture et de sculpture de cette époque : concourir au grand prix de Rome dans l’espoir d’être pensionné du roi pour quatre années, au palazzo Mancini, siège de l’Académie de France puis, plus tard, être présent au Salon et bénéficier de commandes de l’État et de particuliers. Sujet proposé, celui d’un épisode des Evangiles, La Cananéenne aux pieds du Christ, pour l’édition de 1784 du concours. Troisième tentative pour Louis admis en même temps que Jean Germain Drouais (1763-1788) élève de David ; l’esquisse et la toile définitive de chacun d’eux sont présentées.
Louis Gauffier, Une ville imaginaire, vers 1785-1789. Plume, encre brune, lavis brun sur traits au crayon graphite sur papier vergé, 33,7 x 47,3 cm.. Montpellier, musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / photographie Frédéric Jaulmes - Reproduction interdite sans autorisation. L'artiste se livre à une recomposition idéale de Rome, privilégiant une vision à hauteur des toits.
Départ pour Rome, cet immense laboratoire artistique en plein air, puisqu’aller à Rome, c’est découvrir le beau, l’antique. L’œil ne voit plus comme avant, il ne voit que la radicalité de l’antique insiste Pierre Stépanoff, le co-commissaire scientifique. S’exercer sur les monuments de l’Urbs, les sculptures, dessiner insatiablement les palais, les ruines, les églises, parcourir la campagne du Latium, réduire la cité à un jeu de géométries, de volumes, de cubes comme sa Vue imaginaire de Rome ou Vue de la chapelle Sixtine du montpelliérain Jérôme René Demoulin. Emmagasiner des centaines de "belles feuilles" qui nourriront ses peintures, les années romaines terminées.
Louis Gauffier, Le Sacrifice de Manué, 1785-1786. Poitiers, musée Sainte-Croix // Jacob et les filles de Laban, 178-1787. Paris, musée du Louvre // Octave et Cléopâtre, 1787-1788. Edimbourg, National Galleries of Scotland © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, exposition Louis Gauffier, 2022.
Premiers succès à Rome pour ses peintures d’histoire, dans le courant néoclassique, avec Le Sacrifice de Manué, Octave et Cléopâtre et Jacob et les filles de Laban, montrées à côté de Femmes romaines suppliant la famille de Coriolan et L’Apparition des anges à Abraham qu'acheta en 1801 Joachim Murat.
Louis Gauffier, La Générosité des femmes romaines, 1790. Huile sur toile. 82 x 113 cm.. Poitiers, musée Sainte-Croix. Dépôt du musée du Louvre en 1949 © Le Curieux des arts Gilles Kramer . Le sujet provient de l'histoire de la République romaine et se déroule en 391 av. J.-C., au lendemain de la dictature de Camille et de la prise de la cité étrusque Veiès.
Retour à Paris en avril 1789 mais départ pour Rome en décembre de la même année. Manifestement l’air italien, plutôt que celui de la Révolution, convenait mieux à Louis qui ne reviendra plus jamais en France. Observateur de la vie politique de sa patrie, l’épisode de septembre 1789, celui des femmes peintres ou épouses de peintres offrant leurs bijoux à l’Assemblée nationale, lui inspirera une ré-interprétation à l’antique avec La Générosité des femmes romaines (1790), résurgence de ce geste civique auquel il fait participer sa jeune épouse Pauline portraiturée dans cette composition sentimentale.
Louis Gauffier, Le Repos de la Sainte Famille en Egypte, Poitiers, musée Sainte-Croix // Ulysse et Nausicaa, Poitiers, musée Sainte-Croix // Achille reconnu par Ulysse à la cour de Lycomède, Stockholm, Nationalmuseum © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, exposition Louis Gauffier, 2022. Reconstitution de la Salle égyptienne.
A Rome, il rencontre un commanditaire important, l’écossais anticomane Thomas Hope (1769-1831) pratiquant avec brio le dilettantisme permis par sa fortune, allié à son goût de connoisseur, acheteur compulsif d’antiques et d’œuvres d’art pendant les 10 années que durera son voyage à travers l’Europe et la Méditerranée. Il commande au français six toiles dont deux sont présentées à Fabre dans la reconstitution pertinente d’une pièce de la maison de Hope : "l’Egyptian room", sa demeure-musée londonienne de Duchess Street dont l’entrée était payante.
Louis Gauffier, Le Repos de la Sainte Famille en Egypte, 1792. Huile sur toile. 80 x 115 cm.. Poitiers, musée Sainte-Croix © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, exposition Louis Gauffier, 2022. Reconstitution de la Salle égyptienne.
Le goût pour la ligne, le sentiment de la nature, l’élégance de la pose et l’effet de draperie passionnent le peintre, éclatant somptueusement dans Le Repos de la Sainte Famille en Égypte (1792), une maestria dans la parfaite connaissance architecturale du pays du Nil dans sa reconstitution d’une ambiance égyptienne. La présence de nombreux obélisques à Rome ne pouvait qu’être source d’inspiration. (2)
Louis Gauffier, Vue de Vallombrosa, abbaye des Appenins, 1797. Huile sur toile. 84 x 116 cm.. Montpellier, musée Fabre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Montpellier, musée Fabre.
Louis Gauffier, Portrait de jeune homme avec son chien, 1796. Huile sur toile. 67 x 51 cm.. Collection particulière & Portrait de Thomas Penrose, 1798. Huile sur toile. 69 x 53 cm.. Minneapolis, Minneapolis Institute of Art © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, exposition Louis Gauffier, 2022.
Louis Gauffier, Étude d'arbre au bord du Tibre, vers 1785-1789. Huile sur toile. 38,5 x 26,5 cm.. Montpellier, musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / photographie Frédéric Jaulmes - Reproduction interdite sans autorisation. Mise en page savamment étudiée, luminosité ardente de la nature au printemps.
Gauffier s’inscrit dans le courant pleinairiste, dans cette tradition depuis Claude Lorrain et Poussin de l’étude de la campagne romaine. La salle consacrée à la peinture de plein air compare ses études à celles de Jean Joseph Xavier Bidauld, Jacques Henri Sablet, Fabre, des études magnifiques d’arbres. Vue sur la vallée de l’Arno à Florence (1795), dans sa géométrisation de l’espace, son jeu dans les nuages, la douceur de sa lumière annonce les quatre tableaux de l’abbaye de Vallombrosa (1797), dans la captation de différents aperçus du lieu. Réunis ici presque un demi-siècle après leur dispersion en 1974 lors d’une vente chez Christie’s, c’est avec eux que cette exposition se termine après l’évocation de son séjour florentin, portraitiste des voyageurs du Grand Tour – mystérieux Portait d’un jeune homme avec son chien – puis des officiers français occupant la ville des Médicis.
(1) Louis Gauffier, Portrait de la famille Gosselin de Sainct-Même, 1797 ou 1798. Huile sur toile. 69 x 99 cm., présentée à Montpellier, appartenant à la londonienne Matthiesen Gallery. Cette peinture fut adjugée 660 000 €, 818 000 € avec les frais, le 4 octobre 2020 par l’étude Rouillac, record mondial pour cet artiste.
(2) L’héritage de Rome, et sa particularité de posséder le plus grand nombre d’obélisques au monde : huit de l’Égypte antique, cinq de l’époque romaine et d’autres modernes, est encore vivace dans l’esprit des pensionnaires de la Villa Médicis. Le projet du plasticien Iván Argote (1983), pensionnaire 2021-2022, s’articule dans un film documentaire autour de ces monolithes.
Pauline Gauffier, née Châtillon, L'Oiseau volé, ca 1790-1800. Huile sur toile. 62 x 84,5 cm.. Montpellier, musée Fabre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, exposition Louis Gauffier, 2022.
Louis Gauffier, Le Sacrifice de Manué dit aussi La Prédiction de la naissance de Samson, 1785-1786 (détail). Poitiers, musée Sainte-Croix © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, musée Fabre, exposition Louis Gauffier, 2022.
Le voyage en Italie de Louis Gauffier
7 mai – 4 septembre 2022
Musée Fabre – Montpellier
Puis, en partie, au musée Sainte-Croix de Poitiers, du 14 octobre 2022 au 12 février 2023 : Un voyage en Italie. Louis Gauffier (Poitiers 1762 – Florence 1801)
Exposition reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture
Commissariat général Michel Hilaire, conservateur général du patrimoine, directeur du musée Fabre. Commissariat scientifique Michel Hilaire et Pierre Stépanoff, conservateur du patrimoine, responsable des peintures et des sculptures de la Renaissance au milieu du XIXe siècle et du service de documentation, musée Fabre.
Le remarquable catalogue est le premier ouvrage monographique consacré à cet artiste. 408 pages. Textes relatifs à Gauffier et la peinture d’histoire / Le portrait selon Gauffier / Gauffier et la nature / Gauffier dans les collections des premières décennies du XIXe siècle / Les dernières années florentines et le devenir de ses œuvres. Chronologie, bibliographie, index des noms des personnes. Éditions Snoeck. Seulement 39 €, à conserver impérativement.
Aller-retour depuis Paris possible dans la journée.
Internet https://museefabre.montpellier3m.fr/