Entretien hors normes avec Suzanne Tarasiève, galeriste, Paris
Gilles Kraemer.
Dove sono i bei momenti / Di dolcezza, e di piacer ?
Juergen Teller, Suzanne in Hydra n° 12, Vogue Italia, Greece, 2017. Giclee print. 177.8 × 127 cm.. Edition of 5 © Juergen Teller, All rights Reserved. Courtesy Galerie Suzanne Tarasieve.
Nom : Tarasiève. Prénom : Suzanne. Profession : galeriste, art contemporain, Paris. Mais, elle est plus connue par son prénom. Suzanne, les collectionneurs, les marchands, les amateurs, les directeurs de musées et d’institutions privées savent qui elle est, de nom, ou connaissent sa galerie. Nombreux furent ses invités à ses dîners du jeudi, ceux des pré-vernissages à Pastourelle ou au Loft19. Sont devenus ses amis. Lorsque l’on est dans le cercle de Suzanne, c’est comme entrer dans une famille. La famille de Tarasiève, celle de ses artistes, celle de ses amis. Ils l’ont rencontrée à la Biennale de Venise, à Londres ou en Inde. Aux États-Unis, à Hydra à l’été 2017 pour un shooting photo totalement imprévu avec Juergen Teller pour Vogue Italie. En Allemagne ou au musée Jorn à Silkeborg au Danemark pour l’exposition Markus Lüpertz, car ses artistes elle les défend, quittant 48 heures Paris pour être à leurs côtés lors de leur vernissage.
Markus Lüpertz & Suzanne Tarasiève, février 2020. Vernissage de la rétrospective Lüpertz au Museum Jorn, Silkebourg, Danemark. Courtesy Suzanne Tarasieve.
Comment vit-elle cette longue parenthèse commencée samedi 14 mars et que l’on souhaiterait refermer le plus vite ? Elle, que notre consœur Stéphanie Pioda qualifia d’un magistral " la galeriste rock’n roll ". (1)
Il est vrai qu’avec son boa rose, son collier noir fétiche, ses mitaines de dentelle noire ou en chevreau violet, sa robe longue violette, ses chaussures impression léopard à talons compensés, ses lunettes de soleil plantées dans son chignon " Lautrec ", ses jupes ballon, toujours son téléphone à la main, elle est furieusement rock’n roll. Totalement atypique dans " le milieu " des galeristes. Ah, le téléphone de Suzanne, l’on pourrait en raconter des histoires sur son mobile comme greffé à sa main. Au vernissage Éva Jospin, à la boutique Hermès, lors de la 56e Biennale de l’art de Venise en 2015, émoi trente minutes plus tard, après la fin du vernissage, alors que nous étions dans un restaurant près de l’Accademia. Où est mon téléphone ? J’ai perdu mes lunettes ! Et de vider son énorme sac sur la table. Appel à la direction de la maison H. " Nessun problema signora, abbiamo tutto ritrovato ". So chic d’égarer son téléphone et ses lunettes chez Hermès. Pas celui du 24, rue du Faubourg mais celui de Venise. Tellement Suzanne !
Jack Sear & Suzanne Tarasiève © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, juillet 2018, Collection Lambert, Avignon
Je me souviens du vernissage Ellsworth Kelly, en juillet 2018 à la Collection Lambert, lors du Festival d’Avignon. Au bout d’une minute, Jack Sear, qui fut le compagnon d’Ellsworth Kelly, tombait sous son charme alors que le nom de cette galeriste lui était totalement inconnu une seconde avant. Personne ne résiste à Suzanne, à ses 158 centimètres, " avec talon " insiste-t-elle.
Pour l’exposition Leg, snails and peaches de Juergen Teller en janvier 2018, rue Pastourelle, Juergen n'hésita pas à faire venir un cheval blanc dans la galerie. Vous retrouverez cette photographie sur la 4ème de couverture du catalogue de cette exposition. Sacrée galeriste ! C’est pour ceci qu’on l’aime Suzanne.
Insoumises expressions. Georg Baselitz, Jöeg Immendorff, Benjamin Katz, Markus Lüpertz, A.R. Penck, Sigmar Polke © Le Curieux des arts Antoine Prodhomme, 11 octobre 2018, rue Pastourelle, Paris. Avec cette exposition, Suzanne Tarasiève nous faisait partager sa passion pour ces artistes allemands.
Elle ouvre sa première galerie le 13 mai 1978 à Barbizon, en 1988, une seconde dans le même village. Elle y exposera César, Robert Combas, Jean-Pierre Pincemin, Georg Baselitz, Markus Lüpertz… . Puis elle s'installe à Paris, rue Chevaleret en 1983. Création du Loft 19 à Belleville en 2008 et en 2011 ouverture de la rue Pastourelle. En juin 2018, elle fête ses 40 ans de galeriste. (2)
Suzanne Tarasiève devant une photographie de Juergen Teller, Agnès Varda n°1, Paris, 2019 © Le Curieux des arts Antoine Prodhomme, novembre 209, Grand Palais Paris Photo. Remerciements © Juergen Teller, All rights Reserved. Courtesy Galerie Suzanne Tarasiève.
Suzanne Tarasiève © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, juillet 2018
Presque deux mois de confinement. Le paradoxe de l’Internet établit une relation obligatoire avec le public pour pallier cette distanciation imposée. Réinventer le métier de galeriste. L’expérience des œuvres. Autant de questions à lui poser.
Internet ? " Internet permet de rester en contact, maintient le contact, l’éveil. Outil important à notre époque, pour attendre la réouverture des galeries, rester en condition mais, la sensation face à l’œuvre n’est pas la même. Nous avons besoin de voir, d’avoir ce contact, d’autant plus avec une sculpture où le toucher est si important. Rien ne remplace ce contact physique, le côté charnel ".
Gil Heitor Cortesão, Deep End, 2019, huile sur plexiglas, 100 x 220 cm, Courtesy artiste & Galerie Suzanne Tarasieve, Paris.
Votre relation avec les œuvres ? " Comme pour les livres, il est difficilement possible d’avoir cette relation avec Internet qui ne révèle qu’une image. Lorsque j’ai vu pour la première fois les " Nymphéas " de Claude Monet, j’ai ressenti le syndrome de Stendhal. Peut-on l’avoir face à une image ? Non.
Je donnerai l’exemple de l’artiste portugais Gil Heitor Cortesão [né en 1967 à Lisbonne] que je présente à Paris Gallery Weekend début juillet. Sa peinture, selon la technique dite du fixé sur verre, doit être vue. C’est totalement différent de ce que rend la vidéo. Rien ne remplace le contact, la réalité. Le vrai contact c’est... celui du direct. ".
Après ? " Moins de foires certainement, nous serons bien loin de cette spirale. Nous sommes devant cette chose [Covid-19] et… on ne sait pas. C’est perturbant. Devra-t-on recommencer à zéro ? ".
Rock’n roll Suzanne ? Pas du tout. Qu’aurait-elle aimé être si elle n’avait pas été galeriste ? " Meneuse de revue " avoue-t-elle. Je l’imagine face à Toulouse-Lautrec, elle lui en aurait donné du fil à retordre à monsieur le comte !
Vous avez-dit rock’n roll ?
Exposition Anna Tuori, Galerie Suzanne Tarasiève © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, dimanche 24 mai 2020.
Exposition Anna Tuori, Galerie Suzanne Tarasiève © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, dimanche 24 mai 2020.
Dès le 12 mai, sur rendez-vous. L’exposition de l’artiste finlandaise Anna Tuori, Never Seen a Bag Exploding, vernie samedi 14 mars, fermée le soir même, est prolongée jusqu’en juin. Catalogue.
Galerie Suzanne Tarasiève. 7, rue Pastourelle, Paris. Téléphoner avant.
https://www.suzanne-tarasieve.com
Alice Vaganay, Veovansy Veopraseut, Suzanne et Julien Bouharis, novembre 2019, Paris Photo. Courtesy Suzanne Tarasiève.
(1) Stéphanie Pioda, Vous avez dit rock’n roll ? La Gazette Drouot. 21 novembre 2019. https://www.gazette-drouot.com/article/vous-avez-dit-rock-n-roll%25C2%25A0%253F/11395
(2) Le 28 juin 2018, Suzanne Tarasiève fête les 40 ans de sa galerie, au Loft 19, son espace du 19ème arrondissement https://saywho.fr/evenements/anniversaire-suzanne-tarasieve/
Suzanne Tarasiève - Vocation galeriste. Réalisé par Béatrice Andrieux et Rima Samman. Filigranes film. Un plan séquence stupéfiant de cet entretien avec Suzanne Tarasieve interviewée dans l'installation Le club des cornichons (2014) du groupe anglais Le Gun https://www.youtube.com/watch?v=-rReaj3bnfk&feature=youtu.be
Avec Suzanne Tarasiève à la Collection Lambert, juillet 2018 © DR.