Dans les ors, les enluminures et les écrits. Le retour (temporaire) de la librairie royale de François Ier au château de Blois
La Fuite en Égypte, Grandes Heures d'Anne de Bretagne, enluminées à Tours vers 1508 par Jean Bourdichon pour la reine Anne de Bretagne. BnF, Ms lat. 9474 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse de l'exposition Trésors royaux. La bibliothèque de François 1er, château royal de Blois, juillet 2015
Si les qualificatifs sont parfois dithyrambiques dans l'art contemporain, il est un domaine, celui de la bibliophilie où tous ces excès et surenchères de langage n'ont pas cours, à quelques exceptions telle La Prose du Transibérien et de la petite Jehanne de France, dans les couleurs simultanées de Sonia Delaunay et une poésie de Blaise Cendrars, qualifiée très justement d'icône de la modernité,
N'ayons nullement peur de reprendre le qualificatif usité par Élisabeth Latrémolière et Maxence Hermant, les commissaires de la somptueuse exposition d'environ 130 ouvrages, tous prêtés par la Bibliothèque nationale de France, hormis le livre d'une collection privée étasunienne - Plutarque, De la fortune des Romains, vers 1450, relié par Jean Picard au F couronné, offert vraisemblablement par son traducteur Arnauld Chandon de Pamiers au roi -, lorsqu'ils convoquent Léonard de Vinci pour qualifier de "Joconde du livre" une des merveilles de la bibliophilie présentée à Blois : Les Grandes Heures d'Anne de Bretagne ! Une des pièces sélectionnées pour sa préciosité dans cette exposition, une des plus belles et des plus exceptionnelles consacrées au livre en cette année 2015, célébrant des 500 ans de l'accession au trône de François d'Angoulême et la bataille de Marignan. Dommage que les ouvrages pressentis des institutions new yorkaises : Metropolitan museum et Morgan Library n'aient pu être exposés. Question d'assurance, nous fut-il répondu.
Apprécions cet insigne Livre d'Heures - nous ne le reverrons qu'en 2018 à Boston - pour nous plonger dans ses 49 miniatures pleine page et ses 337 enluminures dans les marges, dues au peintre tourangeau Jean Bourdichon, pages "feuilletables" sur une borne numérique. Ouvrage si précieux qu'il était dans la chambre de Louis XIV à Versailles après avoir appartenu à Anne de Bretagne, sa fille Claude de France puis François 1er. Autre ouvrage, magnifique et considéré comme le plus enluminé au monde, clôturant ce merveilleux parcours : les Heures de Louis de Laval, enluminées à Bourges ou à Tours par Jean Colombe et le Maître du Missel de Yale (1401-1500), provenant de la saisie des biens des Bourbons, toutes les pages étant peintes de 157 miniatures pleine page et 1055 enluminures. Ouvrage "feuilletable" lui aussi.
Vues de l'exposition Trésors royaux. .La bibliothèque de François 1er, château royal de Blois © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse de l'exposition, juillet 2015
Dans une dimension chronologique, de la bibliothèque familiale à la constitution de la bibliothèque du roi par héritage ou saisie des livres de la famille des Bourbons après la trahison du connétable ou cadeau ou achat, de la bibliothèque royale installée à Blois à son déménagement à Fontainebleau en 1544, en un parcours émaillé des descriptions des contemporains de ces deux bibliothèques, en une scénographie aux trois couleurs jaune, rouge et bleu correspondantes à celles du roi, "le choix de cette exposition comme le souligne Maxence Hermant, fut de présenter l'histoire de la constitution de cette bibliothèque qui est multiple, partant du postulat que François Ier, qui est le gendre du roi précédent Louis XII héritera de la collection royale et de la collection familiale d'Angoulême, celle de ses parents Charles et de Louise de Savoie.". Elle est montrée sur les lieux mêmes que cette bibliothèque occupait en 1501 à Blois, à l'emplacement actuel de l'aile dite Gaston d'Orléans. Une reconstitution d'un cabinet de lecture permet de voir que les ouvrages étaient conservés à plat et non debout, et pour les plus précieux ou les plus petits dans des coffres.
Ouverture par cet héritage angoumoisin avec des ouvrages exécutés pour Louise tels le manuscrit de Généalogie de Bourbon (vers 1521-1522) ou Les Héroïdes d'Ovide (vers 1505-1515) enluminées par Jean Pichore. Ou pour Charles avec L'Imitation de Jésus-Christ (vers 1488-1496) peint par Robinet Testard qui représente le comte sous les traits d'un religieux en prières. Le célébrissime Livre des Merveilles de Marco Polo (vers 1410-1412) enluminé principalement par le Maître de la Mazarine et le Maître d'Egerton est une commande princière du duc de Bourgogne Jean sans Peur, offert à Jean de Berry puis passé entre les mains de Charles d'Angoulême. L'un des points importants précisé par Élisabeth Latrémolière est "la grande modernité de la démarche de Charles d'Angoulême achetant des ouvrages imprimés sur vélin auprès des presses parisiennes d'Antoine Vérard " tel Lancelot du lac.
La Corse, Description des costes de la mer mediteranée et océane, des ports et isles principales avec figures, vers 1504-1515. BnF, Ms fr. 2794 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse de l'exposition Trésors royaux. La bibliothèque de François 1er, château royal de Blois, juillet 2015
Louise de Savoie prend soin de ses deux enfants, Marguerite et surtout François qu'elle éduque au futur métier de roi de France. Un livre en latin contient trois tragédies d'Euripide ; l'a-t-il lu, lui qui connaît le latin comme tous les grands aristocrates de son temps mais ne le pratique pas, préférant le français ou l'italien ? On offre au jeune comte François des livres de morale destinés à son éducation telle une Histoire universelle (1509) de Paul Orose, auteur latin du Ve siècle, donnée par l'imprimeur Antoine Vérard ou des manuscrits de Poésies moralisatrices dont l'un fut dessiné par Jean Bourdichon et son atelier (vers 1500- 1510), contenant des textes sur le métier d'artisan et sur l'âge d'or. Un des ouvrages précieux de ce jeune prince est un grand recueil de cartes de géographies, Description des côtes, des îles et des ports de l'Océan atlantique et de la Mer Méditerranée (vers 1504-1515), présenté pour la première fois et ouvert à la page de la Corse ; comme le note Élisabeth Latrémolière " c'est dans cet ouvrage qu'il a appris car tout prince de la Renaissance pour régner et être puissant se devait de connaître de connaître la géographie.".
Vues de l'exposition Trésors royaux. .La bibliothèque de François 1er, château royal de Blois © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse de l'exposition, juillet 2015
Si cette exposition montre le contenu, elle présente des rarissimes reliures. Le temps est celui de la bibliothèque de prestige et d'apparat visitée par les hôtes et ambassadeurs et affichant le luxe de son possesseur au même titre que tableaux, tapisseries ou orfèvrerie. Et, que de plus beaux que des ouvrages aux tranches peintes, car les ouvrages n'étaient pas présentés à l'époque par leurs dos mais par la tranche, aux reliures de soie ou de satin - il en existe très peu car dès le XVIIe siècle, elle sont retirées au profit de reliures en cuir - dont une rarissime reliure de velours de soie noire brodée représentant un oiseau dans un arbre sur les Gestes de Blanche de Castille (vers 1520-1522) qu'offrit son auteur Étienne Le Blanc à Louise de Savoie mise en parallèle avec la mère de Louis IX qui avait assumé la régence du royaume.
Féru d'Italie, le roi reçoit des ouvrages ; Orlando Furioso (1516) lui fut vraisemblablement adressé par son auteur L'Arioste ou en fait acquérir, principalement à Venise, le principal centre de l'imprimerie à cette époque. Naturellement l’Hypnerotomachia Poliphili de Francesco Colonna dans son édition originale de 1499 sorti des presses d'Alde Manuce ; il paraîtra en français, en 1546, sous le titre de Discours du Songe de Poliphile. Dommage que la planche exposée, un obélisque supporté par un éléphant, un des 177 bois gravés, ne soit pas des plus visuelles. Sans aller jusqu'à l'incontournable planche priapique, celle de Poliphile dans la forêt aurait été plus parlante.
Autre ouvrage insigne, un manuscrit carolingien, premier ouvrage relié aux armes du roi par l'atelier d'Étienne Roffet vers 1537. Cet Evangelia quattor (vers 850-875) commandé par Charles le Chauve à l'abbaye de Saint-Amand-en-Pévèle, ressurgit dans les collections françaises, sans doute par la famille de Savoie. Deuxième manuscrit carolingien à entrer dans les collections royales, son contenu, son histoire et sa reliure en font toute sa préciosité. Une pépite parmi tous ces trésors royaux présentés à Blois.
Un bémol. Le parcours très, trop serré, contraint par la surface très, trop réduite des salles d'exposition. Un grand dommage, une exposition aussi remarquable que celle-ci, scientifique et grand public à la fois, aurait largement mérité des salles plus grandes, permettant de s'attarder longuement devant chacune de ces merveilles. Le livre, comme la peinture, a besoin d'espace.
Gilles Kraemer
Trésors royaux, la bibliothèque de François 1er
4 juillet-18 octobre 2015
Château royal de Blois - 41 000 Blois
Tél. 02 54 90 33 33
Internet www.chateaudeblois.fr
Commissaire général : Élisabeth Latrémolière, directrice du château royal et des musées de Blois.
Commissaire scientifique : Maxence Hermant conservateur au département des Manuscrits de la Nationale.
Toutes les pages des Grandes Heures d'Anne de Bretagne, de la Description des côtes, des îles et des ports de l'Océan atlantique et de la Mer Méditerranée et des Heures de Louis de Laval, numérisées en haute définition et en couleurs, sont consultables dans leur intégralité sur le site Internet www.gallica.bnf.fr
Maxence Hermant et Élisabeth Latrémolière © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse de l'exposition Trésors royaux. La bibliothèque de François 1er, château royal de Blois, juillet 2015, avec le regard d'Annie Viannet