1664-2014. Portraits tissés pour le 350ème anniversaire de la Manufacture de Beauvais
© Photographie Gilles Kraemer, présentation presse mai 2014, Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais
« C'est un miracle que la survivance de la Manufacture de tapisseries de Beauvais, par les traverses où il a fallu cheminer des siècles, par les tempêtes où, tant de fois, elle aurait dû sombrer.» disait Jean Ajalbert, l'ancien directeur de la Manufacture de 1917 à 1934. Et, elles furent nombreuses les difficultés de cette Manufacture souhaitée par Colbert, concrétisée par l'édit royal de Louis XIV du 5 août 1664, difficultés financières la conduisant au bord de la faillite dès le XVIIIe siècle. Même Ajalbert, jugeant certains cartons obsolètes, souhaitait les vendre pour renflouer les caisses de la Manufacture ! En 1935, la Manufacture est rattachée au Mobilier national (qui regroupe aussi les manufactures des Gobelins et de la Savonnerie ) placé aujourd'hui sous la tutelle de la Délégation aux Arts Plastiques du ministère de la Culture. Les bâtiments détruits par les bombardements de juin 1940 qui dévastèrent la ville, les ateliers et les métiers avaient été transférés à Aubusson dès 1939, la Manufacture s'installe à Paris sur le site des Gobelins. Depuis 1989, la Manufacture de Beauvais est partagée entre le site du Mobilier national et celui de Beauvais installé dans des bâtiments du XIXe, les anciens abattoirs municipaux. Si la pratique de la Manufacture des Gobelins est celle du métier en haute-lisse, Beauvais comme les ateliers d'Aubusson ou de Felletin utilise la technique du métier en basse-lisse qui se caractérise par un métier horizontal. Le lissier tisse à l'envers en suivant le dessin du carton transcrit sur un papier blanc placé sous la chaîne du métier.
Célébrant son 350ème anniversaire, 90 œuvres - tentures murales, paravents, mobiliers, accessoires de mode - du XVIII au XXIe siècle, venant des collections du Mobilier national, en retracent son histoire. Placée sous le commissariat de Marie-Hélène Bersani et Gérald Remy, organisée avec le concours de la Mission d'arts plastiques de la ville de Beauvais, cette exposition est présentée dans la Galerie nationale de la tapisserie, située au pied de la cathédrale Saint-Pierre. Souhaité par André Malraux et inauguré en 1976, ce bâtiment, aux murs en béton armé recouverts d'une couche émaillée symbole du savoir-faire beauvaisien en matière de céramique, construit par André Hermant assisté de Jean-Pierre Jouve, intègre dans son parcours le rempart gallo-romain et une crypte archéologique.
Propriété de l'État, la Galerie est reprise par la ville de Beauvais en 2003.
La Danse d'après Florentin Damoiselet & Canapé recouvert de la tapisserie Bataille de fleurs d'après Ossipovitch Widhopff // Détail de Sans limite de stock d'après Éric Sandillon // La Baie de Sainte-Adresse d'après Raoul Dufy // Paravent des Cinq sens d'après Jean-Baptiste Oudry // Ça sent bon d'après Gérard Schlosser © Photographies Gilles Kraemer, présentation presse mai 2014, Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais
A travers la thématique des âges de la vie (enfance, adolescence, âge viril, de discrétion et de raison), Beauvais 350 ans. Portraits d’une manufacture établit un dialogue entre les œuvres présentées, tous siècles confondus. Gérald Remy, dans ce parcours, souhaitait rendre « un hommage à ces générations de lissiers qui ont travaillé pour cette Manufacture, ces hommes que l'on oublie souvent. Ce sont, eux aussi, des artistes à la disposition d'autres artistes, dans ce dialogue entre tisseurs et créateurs. »
L'exposition s'ouvre sur le temps de l'enfance. Quoi de mieux pour illustrer cette période d'insouciance que celle de l'époque heureuse des jeux évoquée par La Toupie et La Danse de la tenture des Jeux d'enfants d'après Florentin Damoiselet (avant 1669) confrontée au diptyque de Sans limite de stock (2004-2007) d'après Eric Sandillon, allusif au clonage de la brebis Dolly que l'on retrouve sur le pull-over de l'enfant. L'adolescence, période de découverte, s'incarne à travers les plaisirs champêtres du XVIIIe très idylliques : La chasse aux canards d'après François Casanova et Le Repas d'après Jean-Baptiste Le Prince auxquels répondent la nudité des baigneuses de La Baie de Sainte-Adresse (1968) d'après Raoul Dufy et l'hyper-réaliste Ça sent bon (1987) d'après Gérard Schlosser, un moment de détente d'une femme dont l'on voit seulement un bras nu, allongée à côté d'une Citroën 2 CV, comme un souvenir nostalgique de ces moments heureux des années 1960-1970.
Fauteuil et écran Les Perroquets d'après Leonetto Cappiello // Canapé Les Illusions d'Icare d'après Jean Lurçat // Canapé pour le palais de Saint-Cloud d'après Pierre-Adrien Chabal-Dussurgey // D'Eustache à Natacha d'après Raymond Hains & Banquette Passion d'après Jean-Michel Othoniel © Photographies Gilles Kraemer, présentation presse mai 2014, Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais
L'adolescence ce sont aussi les années d'étude du lissier observateur de la nature symbolisée par Polynésie. La mer (1959) d'après Matisse ou le canapé recouvert des Illusions d'Icare (1938) d'après Jean Lurçat, les années d'influence des maîtres avec des garnitures de mobilier du XIXe et XXe siècle tel l'immense canapé réalisé par Chabal-Dussurgey remettant à l'honneur le style Louis XVI. Et, naturellement, le temps de l'adolescence rime avec le temps des amours, celui des dieux et des déesses, de Vénus et les amours d'après François Boucher (XVIIIe siècle), la saison du printemps et Primavera d'après Cappiello (vers 1932).
Détail de La Mobilisation d'après Louis Anquetin // Estampille d'après Étienne Hadju & Signes d'amour d'après Thomas Gleb // Carton et tapisserie Les Mille et une nuisent d'après Philippe Favier © Photographies Gilles Kraemer, présentation presse mai 2014, Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais
L'âge viril succède à la jeunesse. Ce temps des conflits, celui des guerres, voyait les hommes en âge de combattre quitter l'atelier. Parmi les tapisseries présentées, Le Choc de la série des Convois militaires d'après Casanova (XVIIIe siècle) ou La Mobilisation (1926-1935) d'après Louis Anquetin à l'inspiration si Rubens, portent les traces d'un monde de violence.
Âge de raison et d'innovation arrivant, le lissier maîtrise toutes les technicités dans l'accomplissement d'un travail au service du dépassement souhaité par l'artiste. Sarabande d'après Jean-Michel Atlan force l'admiration par sa démesure, Les mille et une nuisent (1996) d'après Philippe Favier, en une expérience inédite pour la Manufacture, combinent tissage et broderie, Estampille (1970) d'après Étienne Hadju et Signes d'amour (1971) de Thomas Gleb dans leur tissage monochrome blanc sur blanc sont sculptures de laine.
Le camp retranché d'après François Boirond & Sans titre d'après Anne et Patrick Poirier & Fenêtre sur cour d'après Monique Frydman et Frédéric Ruyart // Sans titre & Fenêtre sur cour // Sans titre d'après Mathieu Mercier & Fenêtre sur cour // Détail de Fenêtre sur cour © Photographies Gilles Kraemer, présentation presse mai 2014, Galerie nationale de la tapisserie, Beauvais
Le parcours se clôt par le dynamisme de la Manufacture et de son Atelier de recherche et de création avec Fenêtre sur cour (2011), paravent en triptyque en acier chromé du designer Frédéric Ruyant et de la plasticienne Monique Frydman dont la structure métallique devient le métier à tisser lui-même dans lequel les parties tissées en soie forment des entrelacs sur une chaîne apparente en fil d'inox sur âme de nylon.
La tapisserie, un art... dépassé ? Pas du tout.
Tapisseries en cours de tissage & nuancier © Photographies Gilles Kraemer, présentation presse mai 2014, Manufacture de Beauvais
Beauvais, 350 ans. Portraits d'une manufacture
6 mai – 24 août 2014
Galerie nationale de la tapisserie
22, rue Saint-Pierre
60 000 Beauvais
Mardi au vendredi de 12h à 18h. Samedi et dimanche de 10h à 18h
Entrée libre
Commissariat de Marie-Hélène Bersani et de Gérald Remy.
Poursuivez votre visite de la ville avec l'intervention Géométries Variables du collectif pluridisciplinaire Cabanon Vertical composé d'architectes, de designers, d'artistes plasticiens et de metteurs en scène. L'architecture de chaque Géométries Variables s'organise autour du chiffre trois avec une forme évoquant un tétrapode reprenant l'organisation d'une chapelle avec son clocher, sa nef et son transept. Géométries Variables # 1/3 est insérée dans la chapelle de la Maladrerie Saint-Lazare, Géométries Variables # 2/3 est une sculpture sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre et Géométries Variables # 3/3 est un mobilier urbain dans le quartier Saint-Jean.
Du 17 mai-30 septembre 2014.
Beauvais est à 1h 15 en train depuis Paris / gare du Nord.
Géométries variables par le Cabanon Vertical, Beauvais © Photographies Gilles Kraemer, présentation presse mai 2014