Angelika Markul. Terre de départ. Palais de Tokyo / Prix SAM pour l'art contemporain 2012
Daria de Beauvais & Angelika Markul / Palais de Tokyo 2014 © Photographies Gilles Kraemer
Angelika Markul, Bambi à Tchernobyl, 2013-2014. Installation vidéo. Production SAM Art Projects. Remerciements galerie Suzanne Tarasieve, Paris et galeria Leto, Varsovie. Exposition Terre de départ, Palais de Tokyo, 2014 © Photographies Antoine Prodhomm
Rencontre avec Angelika Markul à Venise lors de la biennale de l'art 2013, en juin, entre Giardini et l'Arsenal, in et off, palais ou églises. Surtout ne rien louper... dans un impossible parcours entre 88 Pavillons, 47 événements collatéraux et 70 expositions. Arrêt au palazzo Dona, campo San Polo – pas facile à trouver ce palazzo, entrée très discrète - dans le cadre de la Fondation Sigmun, pour voir une oeuvre récente Tristan da Cunha ; dans ce même lieu j'y avais vu, lors de la biennale 2011, Confessione.
Autre retour en arrière en mars 2013 à l'orangerie du domaine de Chamarande, chez sa galeriste Suzanne Tarasieve en novembre 2012 et en mai 2011. Ah, Suzanne Tarasieve ! L'on ne dira jamais assez l'importance de celle-ci à l'égard de ses artistes. Elle les soutient avec force, entre les salons de New Delhi, Cologne ou Bruxelles, dans sa galerie parisienne. Le vrai travail d'accompagner, d'être à côté, démarche beaucoup trop rare actuellement.
Le travail d'Angelika Markul me surprend, m'interpelle, m'interroge. Précipitez-vous au Palais de Tokyo pour Terre de départ. L'exposition se clôt dans quelques jours ! Terre de départ, titre en référence à une croyance des Indiens du Chili selon laquelle l’homme ne fait que passer sur terre avant d'aller vers les étoiles
Descendez dans les entrailles de ce lieu d'intensité qu'est le Palais de Tokyo, vers le niveau 0 pour une exposition immersive en cinq actes, entre turbulences et recueillements. Départ vers l'obscurité, la tragédie, la fascination technologique, la mégalomanie de l'homme pensant être plus fort que la nature jusqu'à vouloir la détruire, mais aussi vers le ciel, la lumière, l'espérance d'un autre monde, l'ailleurs. L'espoir est-il possible après les conséquences de la tragédie nucléaire par lesquelles débute ce voyage ? Bambi à Tchernobyl, étrange titre de cette vidéo qu'elle a tournée à l'hiver 2013 dans cette zone interdite, depuis le 6 avril 1986, dans laquelle la nature reprend ses droits. Que voit-on ? Un forêt, des bâtiments et immeubles abandonnés, une grande roue et cette perception si forte du silence. Rien de plus banal que ces images si on ne savait où elles furent tournées et les risques pris par Angelika pour les produire. La composition musicale de Franck Krawcyk, accompagnant ce film, provoque un sentiment glaçant de mal-être. Cette musique lancinante, par sa mélodie angoissante tirant son inspiration du dessin animé de Walt Disney dont nous revient l'image de la mère de Bambi tuée, donne à imaginer ce que cette ville morte est devenue. Glaçant. Une sculpture, blanche, très pure, semble sortir de l'écran, telle une prolongation du parc d'attraction avec sa dérisoire grande roue aux nacelles jaune.
À cette frontalité très violente de cette œuvre – un banc nous incite à regarder cette vidéo tel un spectateur abasourdi et captif - succède le sombre et le confinement, le calme et le contemplatif de Pièce du silence, sans savoir où l'on se trouve puisqu'une lumière rase le sol. Les panneaux muraux sont-ils des peaux de bêtes, des fragments de gazon ? Tout reste intrigant dans cet univers au silence enveloppant.
Angelika Markul, Pièce de silence, 2013-2014. Installation. Remerciements galerie Suzanne Tarasieve, Paris et galeria Leto, Varsovie. Exposition Terre de départ, Palais de Tokyo, 2014 © Photographies Antoine Prodhomme
Calme vite interrompu, en sortant de ce sas, par le bruit assourdissant des cascades d'Iguazú (à la limite frontalière du Brésil et de l'Argentine) puis la vision de Gorge du diable (du nom de la plus haute des chutes) dans l'immensité de cette salle de 500 m², dans cette double projection des chutes créatrices de troubles car au lieu de s'écouler, elles montent. Non, non, vous ne rêvez nullement. Regardez attentivement l'une des vidéos avec la rivière coulant normalement alors que l'eau de la chute monte. Déstabilisation garantie dans cette inversion du temps remonté, cette mémoire que l'on essaye d'oublier ou d'effacer, en ne regardant pas vers l'avenir construit d'espoirs ou... d'appréhensions. Entre ces deux vidéos, sur le sol surélevé, une installation plongée dans l'obscurité dans laquelle se distinguent entre les rochers, des plantes et des animaux morts, comme la trace mémorielle d'éléments organiques que le fleuve aurait abandonnés ou rejetés sur ses rives.
Angelika Markul, Gorge du diable, 2013-2014. Installation vidéo. Soutien de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques ; Institut polonais Paris ; Muzeum Sztuki, Lódź, Pologne ; SAM Art Porjects ; Eva Albarran & Co. Remerciements galerie Suzanne Tarasiève, Paris et galeria Leto, Varsovie. Exposition Terre de départ, Palais de Tokyo, 2014 © Photographies Antoine Prodhomme
Nouveau couloir sombre, immersif, silencieux, menaçant Sans titre puis la vidéo, occupant toute la pièce, d'une gigantesque machine fonctionnant très lentement, tournant sur elle même, dont l'on ne perçoit pas l'utilité puisqu'on ne sait ce dont il s'agit. Tous nos repères sont brouillés en l'observant, étant bien incapable avec 400 milliards de planètes de savoir que c'est le mécanisme de fonctionnement du télescope géant de l’observatoire du Cerro Paranal dans le désert chilien de l’Atacama. Sa fonction de scrutateur et d'observateur du ciel, et au delà l'univers, n'est pas filmée. C'est sur ce questionnement du passage de notre espace vers un autre espace qu'Angelika Markul clôt son parcours. Nous entraîne-t-elle vers la nuit, la nuit souterraine ou nous guide-t-elle dans la nuit de l'avant-jour, cet imperceptible moment du déchirement des ténèbres laissant la place au jour puis à la lumière ?
Angelika Markul, 400 milliards de planètes, 2014. Film, couleur, son, 4' 27'' en boucle. Remerciements galerie Suzanne Tarasieve, Paris et galeria Leto, Varsovie Exposition Terre de départ, Palais de Tokyo, 2014 © Photographies Antoine Prodhomme
Sans titre, 2014. Installation. Remerciements galerie Suzanne Tarasieve, Paris et galeria Leto, Varsovie. Exposition Terre de départ, Palais de Tokyo, 2014 © Photographie Antoine Prodhomme
Angelika Markul, Terre de départ
dans le cadre de la saison L'état du ciel (partie 1)
du 14 février au 12 mai 2014
Palais de Tokyo - Paris
Commissariat : Daria de Beauvais
Angelika Markul est lauréate du prix SAM pour l’art contemporain 2012 pour son projet Bambi à Tchernobyl ; son installation est une production de SAM Art Projects, association animée et soutenue par Sandra Hegedus Mulliez. Elle attribue chaque année un prix à un projet, à destination d'un pays hors-Europe ou Amérique du Nord, d’un artiste plasticien résidant en France.
Ce prix de 20 000 euros s'accompagne d'une exposition au Palais de Tokyo.
Le prix 2013 a été attribué à l'artiste franco-marocaine Bouchra Khalili (née en 1975)
L'installation Gorge du diable bénéficie du soutien de la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques ; Institut Polonais Paris ; Muzeum Sztuki Lódź (Pologne) ; SAM Arts Projects ; Eva Albarran & co.
En accompagnement : Palais, n°19 (le magasine du Palais de Tokyo) consacré à la saison L'état du ciel, page 128 à 141, Vitesse humaine, texte de Jeanne Truong. Prix : 15 euros. Palais de Tokyo, guide de L'état du ciel. Prix : 3 euros.
Très beau catalogue de l'exposition Angelika Markul : Wyzwolone sity. Angelika Markul i wspótczesny demonizm / Unleashed forces : Angelika Markul and contemporany demonism. Textes en polonais et en anglais. Le sel de la terre, texte de Luc Boltanki en français. Du 6 septembre au 10 novembre 2013. Muzeum Sztuki w todzi. Lódź – Pologne. Conçu comme un livre d'artiste, dans une très belle mise en page, largement illustré, ce catalogue est disponible à la librairie du Palais de Tokyo.
Au Palais de Tokyo, pendant l'année 2014 L'état du ciel. Les artistes scrutent les images, le monde, nos sociétés, nos vies, observent les étranges conjonctures du destin, formulent les enjeux du présent et les hypothèses de l'avenir. Plusieurs expositions du 14 février au 12 mai, du 25 avril au 7 septembre, du 6 juin au 7 septembre et du 11 juillet au 7 septembre 2014.