Révoltées, mourantes ou en pâmoisons, les héroïnes romantiques
Gilles Kraemer
Il plonge la moitié de la lame dans son flanc, de ses bras / Affaiblis, encore conscient, il serre la jeune fille ; / En soufflant bruyamment, il vomit d'un coup un filet / De sang qui s'écoule sur sa joue blanche. / Le voilà étendu, c'est un cadavre qui embrasse un cadavre. (le messager dans Sophocle Antigone. https://www.ouvroir.com/biberfeld/trad_grec/antigon.pdf )
Victorine Angélique Amélie Genève-Rumilly (Grenoble 1789-1849 Paris), La mort d’Antigone, 2e quart du XIXe. Huile sur toile. 80 x 115 cm.. Grenoble, musée de Grenoble © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022. Cette élève de Jean-Baptiste Regnault participe au Salon, de 1812 à 1839. Après le suicide d’Antigone, son fiancé Hémon se donnant la mort sous les yeux de son père Créon.
Près de 70 œuvres plus quelques ouvrages pour (re)découvrir uniquement des héroïnes, " des héroïnes de la période romantique dont la création est majoritairement l’œuvre d’artistes hommes " comme il est écrit sur la première de couverture du catalogue d’une couleur très proche des boites d’une maison où les diamants sont sur canapé !
" Une diffusion d’un modèle féminin indéniablement sacrifié " assène la maire de Paris dans la préface de l’ouvrage accompagnant l’exposition du musée de la Vie romantique, mais… omettant de citer les artistes présentes dans l’exposition ! Même pas un seul nom ! Même pas celui de Genève-Rumilly !
Charles de Steuben (1788-1856), La Liseuse, 1829 (détail). Huile sur toile. 61,3 x 50,8 cm.. Nantes, Musée d’arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
" Ces innocentes victimes deviennent des sujets rêvés pour la jeune génération de peintres avides de couleur locale et de pittoresque " analyse Olivia Voisin dans son article du catalogue : Images des héroïnes du passé, porte-flambeaux d’une nouvelle sensibilité autour des images de Jeanne d’Arc selon Marie d’Orléans ou Claudius Jacquand ou le destin tragique de l’éphémère reine de France, Marie Stuart, sublime chez Édouard Hamman, émouvante chez Eugène Devéria.
Derrière le pinceau ou la gradine seulement neuf femmes présentes dans cette exposition, seulement cinq femmes écrivains - contre neuf hommes - dont naturellement George Sand portraiturée en costume d’homme par Eugène Delacroix en 1834. Aurore tirait son pseudonyme du nom de son amant, le romancier aubussonnais Jules Sandeau; encore eut-il fallu le souligner dans l’essai du catalogue consacré à la dame de Nohant !
Une exposition de plus dans la mouvance du sacro-saint des questionnements contemporains, "dans l’air du temps" pour cette représentation des victimes d’un ordre social, les héroïnes mythologiques et historiques du passé, de la littérature, de la scène ! Comme le remarque Bénédicte Bonnet Saint-Georges dans son article sur les expositions consacrées au "sexe dit faible", " le fait que les femmes soient moins visibles et moins nombreuses sur la scène artistique ne justifient pas qu’on les agglomère et qu’on les noie dans des sujets bien trop vastes, bien trop vagues ". (1)
Antoine Jean Gros (1771-1835), Sapho à Leucate, 1801, huile sur toile, 118 x 95 cm.. Bayeux, musée d'art et d'histoire Baron-Gérard © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
Claudius Jacquand (1803-1878), Jeanne d'Arc conduite en prison à Rouen sous la garde du comte de Ligny de Luxembourg, 1827. Huile sur toile. 73 x 88,5 cm.. Rouen, musée des Beaux-Arts. // Alexandre-Évariste Fragonard (1780-1850), Jeanne d'Arc sur le bûcher, 1822. Huile sur toile. 37,2 x 24,6 cm.. Rouen, Musée des Beaux-Arts. / Jean Antoine Laurent (1763-1832), Héloïse embrassant la vie monastique, 1812. Huile sur toile. 54 x 46 cm.. Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
Henry Scheffer (1798-1862), Arrestation de Charlotte Corday, 1830. Huile sur toile. 27 x 35,5 cm.. Paris, musée de la Vie romantique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
Sapho à Leucate d’Antoine-Jean Gros (1801) nous jette tout de suite dans le bain…, la poétesse, lyre à la main, se suicide en sautant dans la mer Ionienne. Il y a là toutes les composantes du tableau romantique avec cette jeune femme, diaphane, éplorée, dans le désespoir amoureux, dans ces deux visages de l’héroïne antique, la lesbienne et la courtisane.
La mort de Cléopâtre selon Jean Gigoux (1851) n’est que le prétexte d’une femme nue sous le couvert des ultimes moments de la reine d’Égypte. Pour Jeanne d’Arc sur son bûcher par Alexandre-Évariste Fragonard (1822) ou conduite en prison par Claudius Jacquand (1827), l’image forte et tragique de la fatale destinée de la martyre est évoquée. Les amours interdites entre Héloïse et Pierre Abélard nous renvoient à ce partage entre amour charnel et destinée religieuse. Chez Henry Scheffer, Charlotte Corday (1830) s’affirme, telle une femme forte, courageuse après avoir assassiné Marat.
Eugène Delacroix, Médée furieuse, avant 1838. Huile sur toile. 46 x 38 cm.. Lille, palais des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
François René de Chateaubriand (1768-1848), Atala, ou les amours de deux sauvages dans le désert, 1801. Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups, maison de Chateaubriand © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
in situ, Les héroïnes de fiction © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
Médée furieuse d’Eugène Delacroix s’impose par la force meurtrière et la monstruosité de cette reine, dans l’instant avant le drame de l’infanticide ; pour Roméo et Juliette au tombeau du même peintre nous sommes dans l’instant où tout bascule dans la mort des jeunes amants. La littérature participe de l’exaltation de l’héroïne. William Shakespeare connait une renommée retentissante avec les représentations de Desdémone, d’Ophélia, de lady Macbeth, Chateaubriand offre le personnage d’Atala à Lordon et Girodet-Trioson, Victor Hugo celui d’Esmeralda à Eugénie Henry et Goethe Marguerite tenant son enfant mort à Scheffer.
Jean-Auguste Barre (1811-1896), Marie Taglioni dans le ballet de La Sylphide, 1837. Bronze. 44 cm.. Paris, musée des Arts décoratifs © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
Proches de tous les publics, le monde du spectacle est populaire, de l’orchestre au Paradis. Les plateaux des théâtres, ballets et opéras sont réceptacles de l’instantanéité des émotions, des émerveillements, des pamoisons instillés par LES Mars, Malibran, Pasta, Rachel, Taglioni, actrices, chanteuses, ballerines que sculpteurs et peintres représentent dans leurs rôles les plus célèbres. Pas d’opéra romantique sans mort de l’héroïne et de son amant dans la force des sentiments, la Sylphide devient l’idéal de la blancheur que symbolisent les dessins d’Eugène Lami.
Frédérique O’Connel (1823-1885), Rachel dans le rôle de Phèdre, ca 1850. Huile sur toile. 35,5 x 27,6 cm.. Paris, musée Carnavalet // Auguste Clésinger (1814-1883), Rachel dans le rôle de Phèdre, ca 1850. Marbre. 177 x 40 x 40 cm.. Paris, collection Patrice Benadon © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
(1) Trois expositions ratées sur les femmes par Bénédicte Bonnet Saint-Georges, article paru dans La Tribune de l’art, jeudi 23 juin 2022. La Renaissance des femmes, Château de Blois, Héroïnes romantiques, Paris, Musée de la Vie romantique et Pionnières. Artistes dans le Paris des Années folles, Paris, Musée du Luxembourg. https://www.latribunedelart.com/
Détail d'Ophélia, 1852, de Léopold Burthe (1823-1860), Poitiers, musées de Poitiers © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Héroïnes romantiques, musée de la Vie romantique, 2022.
Héroïnes romantiques
06 avril – 04 septembre 2022
Musée de la Vie romantique - Hôtel Scheffer-Renan - 16, rue Chaptal, Paris
Commissariat Gaëlle Rio, directrice du musée de la Vie romantique & Elodie Kuhn, directrice adjointe
Livre accompagnant l’exposition, 26 contributions, de Gérard Audinet à Pierre Wat, de Nathalie Bondil, Magalie Briat-Philippe à Olivia Voisin, 144 pages. 119 illustrations. Éditions Paris Musées. Prix dans la symbolique de 29,90 €. https://museevieromantique.paris.fr/fr