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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (envoyé à Moulins)

Qui était Anne de France, dame de Beaujeu, cette Fille de France, la moins folle femme du monde, car de sage il n’y en a point selon son père Louis XI, la sœur de Charles VIII, la sœur de Jeanne dite « la boiteuse », première épouse de Louis XII qui fut canonisée en 1950 – la chaussure de son mariage, en cuir doré et repoussé est exposée -, la cousine de Louis XII l’époux en seconde noce Anne de Bretagne, veuve de Charles VIII ? 

Jean Hey, Triptyque de la Vierge glorieuse, ca 1498 (détail). Anne avec sa fille Suzanne. Huile sur bois de chêne. Moulins, cathédrale Notre-Dame © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022.

Qui était Madame la Grant, cette Fille des fleurs de lys, cette figure importante à son époque, cette femme puissante – mais oubliée - de l’histoire de France à laquelle le musée de Moulins portant son nom consacre une exposition spectaculaire pour le 500ème anniversaire de sa mort, dans ce bâtiment, premier exemple d’architecture Renaissance en France qu’elle et son époux Pierre de Bourbon firent édifier en 1498-1503 ? (1) Pour Claude Riboulet, président du conseil départemental de l’Allier, cette exposition ravive l’image de cette femme forte, puissante, personnification de la stabilité et de la pugnacité dans cette idée du souvenir d’Anne, de son mécénat.    

Jean Hey, Pierre II, sire de Beaujeu, duc de Bourbon (1439-1503) présenté par saint Pierre, vers 1492-1494. Huile sur bois (chêne), 84 cm × 77 cm., Paris, musée du Louvre, département des Peintures, inv. 9071 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022.

Jean Hey, Suzanne de Bourbon (1491-1521), dit Enfant en prière, fille d’Anne de France et de Pierre II, vers 1492-1495. Huile sur bois (chêne), 27 cm × 16 cm., Paris, musée du Louvre, département des Peintures, inv. RF1754 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022.

Née vers 1461/1462 à Genappe en Belgique, fille aînée de Louis XI et de Charlotte de Savoie, Anne épouse à l’âge de 13 ans Pierre de Beaujeu, futur duc de Bourbon en 1488, son aîné de 22 ans. À la mort de son père en 1483, elle s’impose et gouverne avec son époux le royaume pour le compte de son jeune frère, Charles VIII, encore mineur, entrant en guerre contre le futur Louis XII et les grands féodaux dans la "Guerre folle". Sans être reine, elle dispose d’un pouvoir inégalé, assurant avec son époux la gestion du royaume lors des guerres d’Italie de Charles en 1494-1495. Après les morts de son royal frère en avril 1498 et de son époux Pierre II en 1503, Louis XII puis François Ier. sauront l’écouter. Toute ambassade se rendant voir le roi s’arrête à Moulins, point nodal du royaume; Laurent le Magnifique lui offrira une girafe, mais, l'animal n'arrivera jamais à Moulins. Anne décède en novembre 1522 à Chantelle.

Jean Hey, La rencontre de Joachim et sainte Anne à la Porte Dorée; Charlemagne, ca 1491. Huile sur chêne. 72,6 x 60,2 cm.. Londres, National Gallery © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022.

Pour Giulia Longo, directrice du musée Anne de Beaujeu, co-commissaire, cette exposition à Moulins célèbre d’une façon spectaculaire, la femme politique et la femme mécène que fut cette princesse. Une femme puissante à cette époque de transition, ajoute la co-commissaire Aubrée David-Chapy, une figure essentielle à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance, entre ces deux mondes, évoquant dans le catalogue avec son essai Anne de France, l’art de gouverner au féminin cette princesse aux multiples facettes, femme de pouvoir, dame diplomate, mère et éducatrice, humaniste, mécène et commanditaire avertie.

L’époque romantique – l’exposition commençant dans un sens chronologique à rebours - permet que cette fille royale ressurgisse dans les mémoires, apparaissant chez Victor Hugo, femme fatale chez Gérard de Nerval, amoureuse insatiable pour Honoré de Balzac, femme de pouvoir fascinante.

Anne de France, Les enseignements d’Anne de France à sa fille Suzanne, 1535. Paris, BnF © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022. Exemplaire de dédicace à Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre & sœur de François 1er de l’ouvrage dont l’édition originale est de 1504.

Cette présentation se termine par la place cruciale qu’Anne eut comme éducatrice spirituelle et intellectuelle des femmes politiques, des futures régnantes qui devaient être un miroir de vertu, un exemple à suivre. Pour son enfant unique, elle rédige Enseignements à sa fille Suzanne (vers 1504-1505), un "miroir" de bon comportement pour celle qui décédera en 1521, sans héritier. " Soiez tousjours en port honnorable, en matière froide et asseurée, humble regard, basse parolle, constante et ferme …. ". Anne voulait-elle, dans cette volonté de donner une éducation à sa fille et aux autres princesses, oublier la mémoire de sa mère Charlotte de Savoie qui ne la cita pas dans son testament de décembre 1483 ?

Jean Hey, Triptyque de la Vierge glorieuse, ca 1498. Huile sur bois de chêne. 189 x 331 cm.. Moulins, cathédrale Notre-Dame © Luc Olivier.

L’exposition est exceptionnelle par les pièces présentées – la Wallace Collection a accepté de se dessaisir pendant quelques mois d’un objet exceptionnel, méritant à lui seul la visite : l’émail translucide du Diptyque de la princesse et son époux en donateurs avec les saints Anne et Pierre au recto, Charlemagne et saint Louis au verso (vers 1500 ?); la National Gallery prêtant le panneau provenant d’un retable découpé : la Rencontre de Joachim et de sainte Anne à la Porte Dorée peint par Jean Hay dit le Maître de Moulins (ca 1491-1494). Les deux seuls prêts hors France. Les prêts deviennent de plus en plus difficiles depuis la pandémie, se conjuguant à des assurances et des transports aux prix exponentiels.  Du même peintre néerlandais, les huiles sur bois d’Anne de France, de Pierre II, duc de Bourbon et de Suzanne de Bourbon du Louvre, pouvant être mis en relation avec le Triptyque de la Vierge glorieuse (vers 1498) où ce peintre a représenté la famille des Bourbon en donateurs, visible à quelques mètres du musée, dans la cathédrale Notre-Dame.

Une campagne de restauration attend ce chef-d’œuvre au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), suivie, a-t-on cru comprendre, d’une exposition-dossier !

Psalmi poenitentiales, Anne de France avec sa fille Suzanne et sa suite en prière devant la Vierge à l’Enfant, fin du XVe. Enluminure sur parchemin. 21 x 15 cm.. Paris, BnF © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022.

En 7 sections, peintures, sculptures de Jean Guilhomet, dit Jean de Chartres, Livres d’Heures, objets d’art – reconstitution de son mécénat - offrent la connaissance la plus actuelle par le nombre des objets réunis de ce que fut cette princesse. Certaines des œuvres exposées revenant à Moulins après plusieurs siècles, en ce lieu même où elles furent sous le regard de cette fille de France qui ne fut jamais reine mais régna sur son duché telle une reine de France. (2) Pourrait-on la surnommer par son action - intellectuelle et diplomatique –, en pensant à la reine Victoria, la mère de l’Europe ?

Horae ad usum Romanum / Heures à l’usage de Rome, Commanditaire resté anonyme, présenté par son saint protecteur dans une architecture renaissance. Tours, Bibliothèque municipale © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022.

Maître des Heures de Comeau, Retable de la Passion, vers 1500. Moulins, musée Anne-de-Beaujeu // Au premier plan, Biblia sacra, ca 1470. Enluminure sur parchemin. Paris, Bnf © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022.

Au premier plan, têtes de jeune fille et de jeune homme par Jean Guilhomet dit Jean de Chartres ou son atelier, toutes deux au musée de Moulins. Puis sainte Anne éduquant la Vierge et saint Pierre du même sculpteur, deux sculptures en pierre calcaire du musée du Louvre © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2022.

(1) Ce bâtiment est la première illustration en France d’un édifice de la Renaissance. Au rez-de-chaussée, court une galeries dont les arcs cintrés reposent sur des piliers cannelés : volutes et feuilles d’acanthe complètent un répertoire décoratif issu directement de l’Antiquité. Les écoinçons représentent l’emblématique des Bourbons : cerf ailé, ceinture Espérance, chardon, monogrammes d’Anne et de Pierre II. Un immense bas-relief, bois polychromé et doré, aux armes des Bourbon est présenté au sein de l’exposition.

(2) La Bibliothèque nationale de France a noué un partenariat avec le musée départemental Anne-de-Beaujeu de Moulins avec l’exposition Trésors enluminés des ducs et duchesses de Bourbon présentant six prestigieux manuscrits issus de la bibliothèque des ducs de Bourbon, qui pour la première fois sont de retour à Moulins. Du 17 juin - 18 septembre 2022.

Anne de France (1522-2022), femme de pouvoir, princesse des arts

10 mars – 18 septembre 2022

Musée départemental Anne-de-Beaujeu – 03 000 Moulins

Cette exposition est labellisée d’intérêt national

Commissariat de Giulia Longo, conservatrice du patrimoine, directrice du musée Anne-de-Beaujeu et de la Maison Mantin et d’Aubrée David-Chapy, agrégée d’histoire et docteur en histoire moderne de l’université Paris-Sorbonne ; sa thèse de doctorat portait sur Anne de France, Louise de Savoie, inventions d’un pouvoir au féminin. Elle publie, ce printemps 2022, aux éditions Passés/Composés Anne de France. Gouverner au féminin à la Renaissance.

Colloque Autour d’Anne de France, Enjeux politiques et artistiques dans l’Europe des années 1500, Moulins, vendredi 17 et samedi 18 juin 2022. Avec une communication sur Jean Hey et le Triptyque de la Vierge glorieuse.

Catalogue, dans la continuité de l'exposition, avec neuf pertinents essais, allant de L’art de gouverner au féminin aux Représentations romantiques d’Anne. Dommage que 29 œuvres exposées sur 66 ne soient pas reproduites, ainsi que le verso du diptyque de la Wallace Collection. Le verso du triptyque de Moulins n'est pas reproduit dans son intégralité, seulement par deux détails. Éditions Faton.

La Maison Mantin est une villa décorée et meublée à la fin du XIXème par le collectionneur, Louis Mantin, vice président de la Société d’émulation du Bourbonnais. Il légua sa demeure à la ville en 1905 à condition qu’elle soit conservée en l’état et ouverte au public cent ans après sa mort.

https://www.moulins-tourisme.com/visite-culturelle/musee-anne-de-beaujeu/

Jean Hey, Vierge à l’Enfant (ca 1480-1500). 36,5 x 27,5 cm. Panneau peint sur chêne. Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 9 mai 2022.

Non présentée à l’exposition de Moulins, cette œuvre insigne est visible dans le  parcours muséographique réaménagé du Musée de Cluny - Musée national du Moyen Âge, à découvrir dès le 12 mai 2022, après 20 mois de fermeture. Et, heureusement nul 8 ou 4 à la place de VIII ou IV comme sur les cartels du musée Carnavalet ! 

Peinture sur bois, remarquable par la délicatesse de son exécution, elle illustre le talent de Jean Hey, dit le Maître de Moulins, actif entre 1480 et 1505. Objet de dévotion privée, le panneau donne à voir la réalité universelle de la maternité et de l’enfance, jusqu’au détail attendri de l’Enfant suçant son pouce, tout en plaçant la Vierge dans une posture d’intercession. Provenant de l’ancienne collection Bacri (antiquaires en Haute-Époque), cette Vierge à l’Enfant, dernière œuvre de Jean Hey qui était encore en mains privées, a été reconnue bien d’intérêt patrimonial majeur et acquise, en 2018 par le musée, grâce au Fonds du Patrimoine et au mécénat exceptionnel d’un généreux donateur ayant souhaité conserver l’anonymat.

 

 

 

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