Officier et gentleman. La collection Horace His de La Salle. Un trop discret "honnête homme" enfin mis à l’honneur. Disegni della collezione His de La Salle
Marie-Christine Sentenac.
La rotonde Sully du Louvre offre ses salles à un donateur prodigue, Horace His de La Salle (1795-1878) bien moins connu que Pierre-Jean Mariette ou Étienne Moreau-Nélaton mais tout aussi important puisqu’il a fait entrer dans les collections 430 dessins et 21 peintures, toutes écoles confondues, selon l’inventaire, exposé, de la donation de 1872, signé de sa main.
Pierre-Paul Prud'hon (Cluny 1758-1823 Paris), Minerve éclairant les génies des Arts et des Sciences (détail). Huile sur toile. Don His de La Salle au musée du Louvre en 1872 © Marie-Christine Sentenac, janvier 2020.
Des raretés inestimables est-il nécessaire de le préciser ? Le département des Arts graphiques, des Peintures, des Sculptures (15) mais aussi des Objets d’art ( près de 700 numéros) ont été dotés par le mécène. Les commissaires, Laurence Lhinares et Louis-Antoine Prat, n’hésitent pas à le qualifier de "collectionneur et donateur professionnel". Il a consacré sa vie à l’étude des dessins, bas-reliefs, peintures, bronzes et, selon le goût de l’époque, des monnaies et médailles. La Bibliothèque nationale, l’École des Beaux-Arts, les musées d’Alençon, de Dijon, de Mâcon et de Lyon ont également profité de son exceptionnelle générosité.
Il est intéressant de noter combien "en ce temps là", les collectionneurs étaient habités par le désir de transmettre et de faire partager leur passion par le plus grand nombre sans aucune arrière-pensée mercantile. O tempora ! o mores ! Il souhaitait "... servir son pays... enrichir les musées de France... et être utile au Louvre... " auquel il a réservé le meilleur. Les legs à l’École des Beaux -Arts étaient destinés à la formation des élèves.
Il est également très charitable avec ses amis. Le peintre Léon Bonnat profite de ses largesses (Watteau, Poussin, Rembrandt, Proudhon); il lui inculque le virus de la collection et Bonnat offrira lui aussi sa collection à Bayonne conservée dans le musée qui porte son nom - auquel aujourd'hui est accolé celui d'Helleu-. Il garde toujours soit une photographie soit une gravure en souvenir de ses "cadeaux". La liste des artistes dont il détient plus de mille feuilles donne le vertige.
Lucas van Leyden, Portrait d’homme de face, portant un chapeau à larges bords. Pierre noire. En partie découpé suivant la silhouette. 260 x 320 mm.. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques © Musée du Louvre, dist. RMN-Grand Palais - Photo M. Beck-Coppola. Le musée lui doit une des pièces maîtresses du département des Arts graphiques, ce Portrait d'homme. Pour l’anecdote, un van Leyden, "bien moins intéressant" que celui du Louvre a été adjugé récemment à plus de 15 millions d’euros au collectionneur Léon Blake .
Mino di Giovanni Mini da Poppio detto Mino da Fiesole -vers 1429-1484), La Vierge et l'Enfant. Marbre et dorure. Don His de La Salle © Marie-Christine Sentenac, janvier 2020. Plus gentleman qu’officier au vu de ses états de service (campagne de 1815 en Belgique avec les Princes), ce légitimiste convaincu, par héritage familial, n’a sans doute jamais vu le feu. Engagé dans la cavalerie de la Maison du Roi après la première abdication de Napoléon en avril 1814, il y rencontre Théodore Géricault, plus attiré que lui, sans doute, par les destriers et le prestige d’un rutilant uniforme que par fidélité aux Bourbons. Leur passion commune pour le cheval les rapprochera. Ils accompagnent la fuite de Louis XVIII à Gand pendant la fameuse Semaine Sainte (du 19 au 26 mars 1815) relatée par Aragon dans son roman épique La Semaine Sainte dans lequel il met en scène Géricault. Il évolue dans un milieu artistique. Sa mère, Hélène de Mongeroult, célèbre pianiste et professeur au conservatoire, tient salon le lundi. S’y côtoient le baron Vivant Denon, le peintre Anne-Louis Girodet, le compositeur Luigi Cherubini… Il fréquente nombre conservateurs, collectionneurs et marchands. Il est très considéré dans le réseau des "connoiseurs", on le consulte, mais il déteste parler d’argent et renâcle à jouer les experts. Le dimanche les portes de son appartement s’ouvrent à qui veut admirer sa collection; les dessins rangés à plat dans des meubles en acajou, les bronzes dans des vitrines ou sur des étagères, les médailles et les plaquettes dans des médailliers très simples. De l’avis général c’est un homme élégant, d’une exquise politesse, raffiné, réservé, qui ne brille pas par ses excentricités. Ses concurrents sur le marché sont souvent plus fortunés que lui, mais une grande érudition alliée à un goût très sûr lui permettent de constituer une des plus belles collections qui soient dans la plus grande modestie. Un de ses contemporain la trouve "… inappréciable… irréprochable… de la plus grande beauté…". On ne connaît de lui qu’un portrait-caricature (1826) d’Achille Devéria, dont on voit la photographie. A la mort de son beau-père, en 1826, il quitte l’armée et se dédie uniquement à sa passion. C’est vers 1817 qu’il commence à acheter des lithographies -404- dont il se sépare "…avec un vrai chagrin…" en 1856 afin de pouvoir acheter plus des dessins. Il vendra en 1877, parce que sa vue faiblit, quelques feuilles qu'il juge trop peu importantes pour être offertes à la Bibliothèque nationale. Ce sont les seules fois où il se résoudra à faire commerce (ce qu’il juge indigne) de ses possessions.
La présentation thématique reflète ses intérêts majeurs. Parmi ses préférés Proud'hon dont il apprécie le "sfumato leonardesque" et ceux qu’il qualifie d’artistes à part, Eustache Le Sueur et Nicolas Poussin dont il possède le plus grand corpus.
Baccio Bandinelli (1493-1560), Caïen maudit par Dieu le Père pour le meurtre d'Abel. Plume et encre brune. 403 x 273 mm.. Don His de La Salle au Louvre en 1872 © RMN-Grand Palais (Musée du Louvre) - Thierry Le Mage. Spécialiste inégalé de l’art italien, il réside de 1834 à 1836 avec sa mère dans la péninsule ; Padoue, Pise, Florence (d’où il rapporte bas-reliefs et plaquettes), Rome et Venise. Après son décès, il retourne en France chargé d’œuvres d’art. Il acquiert les dessins préparatoires de La Madone aux fruits et de Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant de Léonard de Vinci que l’on peut voir dans l’exposition consacrée au Maître et d’éblouissants dessins du XVe et XVIe siècles (Jacopo Bellini, Fra Angelico, Francesco Mazzuola detto Il Parmigiano…). Seulement 6 dessins du XVIe français encore méconnu.
Claude Gellée, dit Le Lorrain (1600 ou 1604-1682), Grand paysage. Plume et encre brune, lavis brun et rehauts de blanc. 281 x 412 mm. Don His de La Salle au musée du Louvre en 1872 © Marie-Christine Sentenac, janvier 2020. Adorateur de Poussin (émouvant Apollon Saurochtone où l’on sent les frémissements de la main de l’artiste qui tremblait un peu à la fin de sa vie), Il s’attache à Claude Gelée dit Le Lorrain pour ses paysages romains. Quelques artistes nordistes qui ont accompli le grand tour bénéficient de ses faveurs (Jan Both, Thomas Wijck, Philip Peter Roos…). Les représentants du Siècle d’or dont il chérit les grandes feuilles (Peter Paul Rubens et ses élèves : Samuel van Hoogstraten, Nicolas Maes, Gerbrand Van den Eeckhout; Anthony Van Dick, Jacob Jordaens…) les grands baroques italiens (Salvator Rosa, Giovanni Francesco Barbieri detto Il Guerchino…) et bien sûr le français Le Sueur le séduisent.
Une seule "extravagance" le rend plus amusant. His a une maîtresse, Madame White (Catherine Chamaillau) que lui a "passé" ? son ami peu recommandable (escroc et faussaire), le vicomte Louis Félix de Nolivos. Dans la petite maison qu’il lui achète avenue de la Porte Maillot et dans son appartement, au dessus de celui de son amant, sont accrochés des tableau du XVIIIe plus au goût de son occupante que de son protecteur peu enthousiaste pour ce que son ami Charles-Philippe Chennevières Pointel (directeur des Beaux-Arts) appelle des "faisanderies" : Antoine Watteau (dont on retrouve un dessin dans la collection de Jacques Doucet, puis dans la collection Rothschild), Francois Boucher, Carle Van Loo, Jean-Honoré Fragonard, Jean-Baptiste Oudry, Hubert Robert… A la disparition de His, elle en vendra une partie; le reste sera dispersé à sa mort, à l’Hôtel Drouot.
Les artistes contemporains l’intéressent, particulièrement Paul Gavarni pour ses témoignages incisifs et critiques, tous les "voyageurs" attirés par l’Italie, ses paysages, ses scènes de genre et sa population aux costumes pittoresques (Achille-Etna Michallon, Francois Marius Granet, Dominique Papety, Léon Coignet…) et les orientalistes loués par Théophile Gautier (Alexandre Gabriel Decamps, Prosper Marilhat…).
Dans la dernière partie de l’exposition : Quo ruit et lethum, Où il se précipite la mort le suit devise inscrite sur le cimier de son casque militaire, l’officier se manifeste dans son amour pour les scènes militaires épiques et équestres, les figures guerrières (Albrecht Dürer, Le Primatice, Federico Zuccaro…), les Exemplum virtutis (Jacques-Louis David: Le Bélisaire, Jean-Francois Pierre Peyron : Les funérailles de Miltiade …). Bien que légitimiste il affectionne les feuilles retraçant l’épopée napoléonienne.
Théodore Géricault (1791-1824), Mameluck retenant un cheval. Crayon noir, pinceau et lavis brun et rehauts de gouache blanche sur papier brun. Verso : Étude de cheval inversée par rapporte au recto, au crayon noir. 197 x 248 mm.. Paris, Musée du Louvre, département des Arts graphiques. Enfin il réunit un grand corpus de son compagnon d’armes Géricault. Les cadres d’époque mettent en valeur toutes ces merveilles. On remarquera de nombreuses ré-attributions, ce qui n’entache en rien la réputation du spécialiste. À l’époque on possédait très peu de documents sur les œuvres si ce n’est quelques gravures ou lithographies et les dessins n’étaient pas documentés. L’éclectisme et la gourmandise de ce philanthrope éclairé sont inouïs.
Louis-Antoine Prat se plait à dire :"Bien que sa vie ne soit pas héroïque, il est le héros des collections"
Officier et gentleman au 19e siècle. La collection Horace His de la Salle 7 novembre 2019 - 10 février 2020 - Musée du Louvre - Paris
Commissariat de Laurence Lhinares, attachée de conservation à la Fondation Custodia et chargée de recherche au département des Arts graphiques du musée du Louvre & et Louis-Antoine Prat, écrivain et historien de l’art, président de la Société des Amis du Louvre.
Marque His de La Salle www.marquesdecollections.fr/detail.cfm/marque/7556
Le musée du Petit Palais, Paris, présentera la collection de dessins de Louis-Antoine & Véronique Prat : La Force du destin (24 mars-12 juillet 2020). ww.marquesdecollections.fr/detail.cfm/marque/11126