L'or blanc en majesté à Venise. Geminiano Cozzi et ses porcelaines / L'oro bianco in maestà a Venezia. Geminiano Cozzi e le sue porcellane / Ca'Rezzonico. Venise
Manufacture Cozzi. Servizio con decorazione a cestina. Service trompe l’œil. Cafetière, h. 10 cm. // Théière, h. 10 cm // Sucrier, h. 12 cm. // Tasse h. 4,3 cm. et sa soucoupe Ø 12,5 cm. Vers 1770-1775. Padoue, collection privée. Remerciements service de presse R. B. de la Fondazione Musei Civici di Venezia.
La table est mise dans la salle du trône de la Ca' Rezzonico, sous le plafond peint de fresques de Giambattista Tiepolo et Girolamo Mengozzi Colonna. Dans son imposant cadre doré à la richissime décoration allégorique, le patricien Pietro Barbarigo par Bernardino Castelli regarde la table dressée, en grande partie, d'un service en porcelaine au décor à la "bersò" ou au jardin (collection privée). Ce service fut réalisé dans les premières années de la manufacture vénitienne de porcelaine de Geminiano Cozzi, vers 1765, pour la famille Nani Mocenigo.
Manufacture Cozzi. Service décor Bersò ou au jardin. Servizio con decori a bersò // Assiettes plates et creuses Ø 23 cm. // Soupière h. 26. // Sucrier au monogramme BC, h. 12,5 cm. // Tasses au monogramme BC, h. 4,6 cm. et soucoupes Ø 15,5 cm. // Saucière h. 7,5 cm. et sa soucoupe 13,5 x 18,5 cm. // Grande cuillère à décor floral oriental des années 176-1770 // Grande cuillère à décor floral européen des années 1770-1780. Table dressée dans la salle du trône. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, 18 mars 2016, exposition Geminiano Cozzi e le sue porcellane, Ca’ Rezzonico, Museo del Settecento veneziano, Venise.
Une manufacture de porcelaine à Venise ? Sait-on que cette ville fut, au XVIIIème siècle, un centre de fabrication de "l'or blanc" ?
C'est cette histoire que l'on entend restituer aujourd'hui à travers cette incroyable et fabuleuse exposition consacrée à Geminiano Cozzi, l'un des plus célèbres entrepreneurs d'une manufacture de porcelaine de la ville lagunaire. Né en 1728 à Modène, Émilie-Romagne, il s'installe à Venise en 1751 ; il obtient le 30 juillet 1765 des autorités de la République - il y a 251 ans - le privilège de la production de porcelaine. En 1778, il s'associera avec son frère Vincenzo et le financier Bonaventura Marinoni. Après le retrait de celui-ci, la Dita Cozzi e Compagnia devient la Geminiano et Vincenzo fratelli Cozzi. A la disparition de Geminiano en 1798, son frère Vicenzo (né en 1740) poursuivra cette activité jusqu'à son décès, en décembre 1804.
"Affascinanta mostra", comme souvent Venise en propose mais beaucoup trop confidentielle. Comment ne songerait-on pas à l'exposition d'Aldo Manuzio aux Gallerie dell'Accadémia ce printemps 2016, à peine relayée outre-Alpes ? lecurieuxdesarts.over-blog.com/2016/06/aldo-manuzio-et-venise-devint-la-capitale-de-l-imprimerie-aldo-manuzio-il-rinascimento-di-venezia-capitale-della-tipografia.html Venise souffre de sa communication hors de l'Italie mais, n'est-ce pas ce qui fait le charme de ses expositions ? Une fréquentation par de vrais amateurs venus spécialement.
Manufacture Cozzi. Cafetière. H. 24,5 cm.. Vers 1780. Décor dit a Feston e Cadena ou Cattena, e Feston. Collection M.M. Remerciements service de presse R. B. de la Fondazione Musei Civici di Venezia.
Geminiano Cozzi et ses porcelaines (Geminiano Cozzi e le sue porcellane) est présentée dans les salles du piano nobile, au premier étage de Ca' Rezzonico. Exceptionnelle elle l'est mille fois. C'est la première rétrospective consacrée à Cozzi. Elle ne sera pas présentée dans une autre institution. Elle réunit près de 800 pièces venues de collections publiques italiennes et de collections privées. Quel plus beau cadre rêvée que celui du bord du Canal grande, dans ce musée consacré exclusivement au 17ème siècle vénitien ! Comment ne pas se souvenir de l'exposition Giambattista Tiepolo. 1696-1996 qui se tint dans ses mêmes lieux à l'automne 1996, Tiepolo sous les fresques de Tiepolo !.
La production d'objets en porcelaine - dont le secret de la fabrication par les manufactures chinoise fut trouvé en Europe, au XVIIIème siècle, à la cour saxonne d'Auguste le Fort - ne fut pas quelle chose de rarissime à Venise. Quatre manufactures privées s'y succédèrent. La première fut initiée entre 1720 et 1727 par Giovanni Vezzi. La seconde entre 1761 et 1763 par Nathaniel Friederich Hewelcke et son épouse Maria Dorotea arrivés de Saxe à Venise en 1757 suite à la fermeture de la manufacture de Meissen durant la Guerre de Sept Ans. Ces derniers s'associèrent à Geminiano Cozzi jusqu'à la faillite de leur société en juillet 1763 et le retour des deux époux en Saxe ; Geminiano fonde alors sa manufacture en 1764. Concurrent direct de Geminiano, Pasquale Antonibon réalisera dès 1762 ses premières porcelaines.
Manufacture Cozzi. Tasse représentant la manufacture Cozzi à Venise. Vicence, collection privée © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, 18 mars 2016, exposition Geminiano Cozzi e le sue porcellane, Ca’ Rezzonico, Museo del Settecento veneziano, Venise
Jusqu'à présent, les porcelaines produites à Venise portaient l'abréviation de "Ven" dans le cas de Vezzi ou un "V". Cozzi adopta d'une façon ingénieuse, comme pour souligner le passé de l'histoire maritime de la cité, un ancre stylisée en rouge ferreux. Une tasse (collection privée, Vicence) représente la fabrique qui se trouvait au nord-ouest de la ville, non loin du Ghetto, Fondamenta di Canal Regio, calle delle Due Corti. Un indice pour la retrouver parmi les quelques 800 porcelaines : elle se trouve dans le "portego de mezo", dans une des vitrines au milieu de cette immense salle.
Manufacture Cozzi. Groupe en porcelaine blanche de deux couples de nains dans une position érotique. Nani in attegiamenti erotici. H. 8,5 cm.. Rome, collection Bianchi di Valsangiacomo.
© photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, 18 mars 2016, exposition Geminiano Cozzi e le sue porcellane, Ca’ Rezzonico, Museo del Settecento veneziano, Venise
Quelques objets à voir ? Tous tellement le regard est attiré par toutes les vitrines. L'impression de se trouver chez un collectionneur, un particulier, et non une institution, tellement la présentation est faite avec goût. Attention à ne pas oublier les vitrines du passage, entre le salon Tiepolo et la bibliothèque.
La vitrine des nains ! Il suffit de se baisser un peu pour apercevoir parmi les 26 porcelaines blanches, deux minuscules couples dont la position de monsieur ne cache pas le sentiment très vigoureux et le trouble que lui inspire madame. Là encore un indice: entre la salle de l'allégorie nuptiale et la salle du trône.
Manufacture Cozzi, Pagò ou Magot. H. 16 cm.. Marque "Venecia" en rouge. Vicence, collection privée. Pagò, c'est ainsi qu'est appelé, dans les inventaires de la fabrique Cozzi, la figure inspirée des divinités orientales selon la vision européenne. Le mot usité est une contraction en dialecte vénitien de pagodo c'est-à-dire idole orientale. Ici, il s'agit de la représentation de Bouddha pansu et souriant mais vêtu d'un habit très vénitien par ces fleurs polychromes. Remerciements service de presse R. B. de la Fondazione Musei Civici di Venezia.
Les bouddhas obligatoirement pansus, des enfants chinois, des services floraux à l'européenne, des services aux décors à la Chinoise ou à la Japonaise, des services bleu et or, des services au papillon, des théières et leurs boîtes à thé, des cafetières, des motifs héraldiques, des épisodes de La Secchia rapita (Le seau enlevé) du poème héroïco-comique d'Alessandro Tassoni, des décors à la mongolfière, des statues Allégorie de Venise, le bonheur.
Manufacture Cozzi. Théière à l'extraordinaire composition botanique et à l'ornementation dite à la feuille de tabac ou a foglia di tabacco. H. 11,5 cm.. 1765-1770. Collection M.M. Remerciements service de presse R. B. de la Fondazione Musei Civici di Venezia.
Un seul souhait. Prolongée jusqu'au 26 septembre, cette exposition ne pourrait-elle pas l'être un peu plus, même sous un format plus réduit ? Restera le catalogue. Acquisition obligatoire pour une telle somme de connaissances et un plaisir de la lecure.
Vous souhaitez poursuivre votre dialogue avec la manufacture Cozzi ? Rendez-vous à la si confidentielle Galleria di Palazzo Cini, à un arrêt de vaporetto mais autant vous y rendre à pied. C'est entre Accademia et Guggenheim. Vous y verrez, dans la salle-à-manger ovale de Vittorio Cini, un service, quoique incomplet, de 275 pièces, des années 1785-1795.
Gilles Kraemer (déplacement et séjour à titre strictement personnel)
La salle à manger ovale. Galleria di Palazzo Cini. Venise. Photographie du site www.palazzocini.it
Geminiano Cozzi et ses porcelaines - Geminiano Cozzi e le sue porcellane
19 mars - 12 juillet 2016. Prolongation jusqu'au 26 septembre 2016
Venise, Ca’ Rezzonico, Museo del Settecento veneziano - Venezia
Commissariat : Marcella Ansaldi et Alberto Craievich. Comité scientifique : Marcella Ansaldi, Alberto Craievich Elisabetta Dal Carlo, Anne Forray-Carlier, Cristina Maritano et Sophie Motsch.
Catalogue indispensable. Un vrai pavé d'érudition. 464 pages. 695 photographies des pièces présentées et notices nourries. 384 photographies de marques recensées. Éditions Antiga Edizioni, Crocetta del Montello, Trévise, 2016. Le tout pour un prix ridicule, pour cet ouvrage revêtant la forme d'un catalogue raisonné de la manufacture Cozzi : 39 €.
Vaporetto : depuis Piazzale Roma ou Stazione Venezia Santa Lucia : Linea 1 fermata Ca’ Rezzonico. Entrée directe depuis le pont.
Galleria di Palazzo Cini - Dorsoduro 864, Venezia www.palazzocini.it/
Vues de l'exposition Geminiano Cozzi e le sue porcellane © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, 18 mars 2016, exposition Geminiano Cozzi e le sue porcellane, Ca’ Rezzonico, Museo del Settecento veneziano, Venise.
Vues de l'exposition Geminiano Cozzi e le sue porcellane © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse, 18 mars 2016, exposition Geminiano Cozzi e le sue porcellane, Ca’ Rezzonico, Museo del Settecento veneziano, Venise