De la métamorphose des couleurs et des odeurs ou La Poétique mystérieuse. Rencontre avec Hicham Berrada
Hicham Berrada © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, Galerie Micro Onde, Vélizy-Villacoublay, avril 2015
« Agir et faire surgir des paysages comme un peintre pourrait le faire, montrer une nature en mouvement et non figée », telle est la démarche d'Hicham Berrada (né en 1986), ancien pensionnaire de la Villa Médicis en 2013, dont nous avions rencontré l'œuvre en février 2013 au palais de Tokyo dans le cadre des Modules Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, à Wattwiller lors de la présentation des Talents contemporains 2012 de la Fondation François Schneider, puis au moment de sa sélection parmi les six finalistes de la 7e édition du Prix Meurice pour l'art contemporain.
Sol, en un rappel de l'intervention de l'homme dans la nature, est sa première exposition monographique dans une institution d'Ile-de-France : le centre d'art de l'Onde à Vélizy-Villacoublay. Cinq vidéos Présages par cet ancien de Le Fresnoy et cinq Présage, tranche, des paysages chimiques en évolution ralentie dans un aquarium emplie d'eau, des œuvres présentées dans un salle plongée dans l'obscurité.
« Dès le début j'ai toujours voulu, comme un peintre étendre ma palette et avoir, comme des tubes de couleurs, plus de produits ». Attention, Hicham peint la nature d'une étrange façon, lui qui aime Nicolas Poussin. C'est tout à son honneur qu'il le cite, comme il le fait de Courbet ou de Max Ernst - alors que d'autres ne possèdent pas la reconnaissance des maîtres anciens ou en aient, parfois, l'ignorance - qu'il parle de la représentation sensible de la nature lorsque l'humain ou le sujet devient anecdotique, en une sorte d'excuse pour représenter la puissance de la nature. Il suffit de penser au Printemps ou Le Paradis terrestre du peintre des Andelys.
Sol, exposition Hicham Berrada, Galerie Micro Onde, Vélizy-Villacoublay © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, avril 2015
Pas de formation de chimiste, alors qu'il maîtrise avec bonheur et une grande modestie ses étonnants tubes de couleurs : des composants chimiques dont il use avec justesse, une soixantaine de minéraux tels le cobalt, de l'acier, le fer, le calcium, l'aluminium ou l'argent, des minéraux passant d'un état d'oxydation à un autre, qu'il dispose dans ses aquariums toujours d'identiques dimensions, dans 4,7 litres pour être précis, tient-il à souligner, avec un ajout d'acide ou de soude pure. Des compositions in situ qui ne peuvent être déplacées puisque les concrétions naissant du minéral peuvent se casser lors du moindre mouvement. Au contraire de la figuration d'un paysage figé, il essaye de montrer ainsi le mouvement de la nature.
Cette finesse et croissance lente de la nature, cette évolution, comment les retranscrire ? La vidéo en sera la trace, dans un parallélisme entre cette viscosité et le temps. A Vélizy, certaines sont présentées. Un de ses travail à la Villa Médicis avec la vidéo Présages (2015) représentant des composants de pâquerettes, qu'il avait dissous dans de l'acide puis réinjectés dans un milieu basique et visqueux, se réorganisant d'une autre façon. Pour les autres vidéos, la poudre de béton procure des gammes chromatiques très uniformisées.
Paysages a circadiens, exposition Hicham Berrada, Galerie kamel mennour, Paris © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, avril 2015
Autre exposition, avec Paysages a circadiens à la galerie kammel mennour. Azur avec ce papier bleu, ce papier cobalt sensible à la chaleur et à la fraîcheur. Devant, une résistance. Allumée, celle-ci va agir sur le papier, comme dans les conditions météorologiques d'oppositions de chaud et de froid. Naîtra de ce protocole une image paysage, « une nature en mouvement, qui vibre, qui disparaît, qui apparaît au gré de la température. ». Vidéo de 6 minutes, Céleste, filmée à Rome depuis son atelier de la Villa. Ici aussi il rejoint une nature infinie qu'il circonscrit dans le cadre de sa caméra pour mieux en comprimer les dimensions. « J'ai besoin de délimiter des dimensions dans lesquelles je vais pouvoir contrôler ce qui apparaît à l'image. J'essaye de travailler comme un peintre en plaçant la connaissance qu'il a de la peinture sur toile par une action sur le réel et agir sur le réel comme s'il s'agissait d'une image. ». Son pinceau cette fois-ci : allumer des feux bleus, à la combustion très lente, dont les volutes vont réussir à masquer le grisaille du ciel, comme si elles le peignaient d'azur. Création mais aussi intervention de l'homme dans cette maîtrise des fumées-pinceaux, pour un aspect opaque très dense. En naîtront des nuages nous laissant l'imagination d'y voir des images abstraites ou réelles.
Plongée dans le sous-sol. Jardin de Mesk-elli, un module de six mètres sur six, fait de cette plante très commune en Afrique du Nord, « ou en latin Cestrum noctrunum. Ou jasmin de nuit ou littéralement musc de la nuit. C'est en réalité un solanaceae, au parfum intense, une odeur ressemblant à celle du jasmin. La fleur s'ouvre uniquement la nuit et se referme le jour. » nous explique Hicham Berrada, toujours d'une immense modestie dans la présentation si précise de ses interventions. Dans l'exposition, le paramètre sur lequel cette proposition se déroule est l'inversion du cycle jour-nuit ; dans le temps de cette nuit inversée les plantes sont baignées uniquement d'une ambiance bleue alors qu'un éclairage horticole, pendant la nuit, permettra aux plantes d'avoir leur jour. Intervention de l'homme dans ce jardin, inspiré de celui en carré de la Villa Médicis par son entrée décalée et des jardins musulmans de l'Alhambra où il n'y a qu'une seule variété de plante par carré. Là aussi un paysage de métamorphose, non celui des couleurs mais celui du parfum qu'il a réussi à capturer.
Gilles Kraemer
Sol. Hicham Berrada
11 avril – 27 juin 2015 - Galerie Micro Onde - Centre d'art de l'Onde - 8 bis, avenue Louis-Breguet - 78140 Vélizy-Villacoublay www.londe.fr
Pas de catalogue. Guide de visite avec un entretien Hicham Berrada / Géraldine Miquelot
Paysages a circadiens. Hicham Berrada
27 mars - 13 mai 2015 - Galerie kamel mennour - 6, rue du Pont de Lodi – 75006 Paris