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Publié par Gilles Kraemer

 

Gilles Kraemer

Lundi 27 février 2023

L'Inondation, décor d’Eric Soyer © DR Stefan Brion

Opéra Comique, sous le plafond de Benjamin-Constant - il n’est pas caché comme celui de Jules-Eugène Lenepveu au Palais Garnier -, pour le retour de L’Inondation. Créée ici même le 27 septembre 2019, elle y reçut l’accueil unanime du public et de la critique musicale, fait suffisamment rare dans la création d'un opéra contemporain.

Des applaudissements chaleureux saluaient cette reprise, à l'adresse du plateau, de la mise en scène et de la direction musicale. Comment ne pas ressentir une émotion après une telle soirée si intense !

Chloé Briot (La Femme), Norma Nahoun (La Jeune Fille), Pauline Huriet (La Jeune Fille comédienne) © DR Stefan Brion 

Chloé Briot, toujours dans le rôle de La Femme qu’elle créa - l’on apprendra plus tard qu’elle se prénomme Sofia, étonnant pour une future criminelle pas si sage ! - le seul prénom révélé de tous les protagonistes.

L’Inondation de Francesco Filidei © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra Comique, 27 février 2023

Les habits de L’Homme, à la création Boris Grappe, sont maintenant endossés par Jean-Christophe LanièceDes mots du quotidien, d’une banalité abyssale, pour ce couple sans enfant, comme pour ne pas révéler ce que chacun pense lors des paroles échangées. Aucun geste de tendresse entre eux, dans cette cohabitation, même dans la furtive union sur le divan initiée par l’épouse. Chloé Briot, enfermée, murée dans sa douleur qu’elle laissera monter, sourdre progressivement pour montrer toute la lassitude ressentie de cette vie sans vie puisque sans enfant, sans ouverture, sans gaité, incarne merveilleusement La Femme. Que de non-dits dans les regards, les attitudes de ce couple malheureux. Jusqu’à ce que dans des scènes d’hallucination tellement Macbeth, elle revoie la Jeune fille qu’elle a tuée apparaître plusieurs fois dans l’appartement et qu’elle re-étrangle par deux fois. Jusqu’à la scène de l’hôpital, alitée à côté de l’enfant qu’elle a enfin eu, devenir une autre Mélisande mais, elle, elle ne meurt pas comme dans l’opéra lyrique de Claude Debussy en laissant une orpheline. L’ouvrage fut créé à l’Opéra Comique, le 30 avril 1902, sous la direction d’André Messager, œuvre où l'eau est si importante, œuvre elle aussi traversée de silences.

Jean-Christophe Lanièce incarne puissamment L’Homme, froid au début puis trouvant une chaleur lorsque l’orpheline entre dans la vie du couple, lui apportant du baume au cœur et retrouvant goût à la vie jusqu’à l’irrémédiable, l’amour porté à Norma Nahoun qui deviendra vite un amour physique.

Jean-Christophe Lanièce (L’Homme), Norma Nahoun (La Jeune Fille), Pauline Huriet (La Jeune Fille comédienne) © DR Stefan Brion 

C’est dans un faubourg de Saint Pétersbourg, en cette fin d’hiver des années 1950 et de montée des eaux de la Néva que l’action se déroule. Dans cette mise en scène de Joël Pommerat reprise par Valérie Nègre, qu’elle est noire, oppressante et si réaliste cette histoire d’un couple qui, ne pouvant avoir d’enfant, adopte une jeune orpheline Norma Nahoun (présente en 2019), doublée dans ses gestes par la comédienne Pauline Muriet.

La scénographie d’Éric Soyer de ce drame, telle Vie mode d’emploi, représente l’éclaté d’un immeuble aux parois si minces que l’on entend voisins et cris d’enfants. Au rez-de-chaussée le couple de la tristesse sans enfant. Au premier le couple du bonheur avec deux adolescents et un bébé. Différence d’atmosphère dans la douleur ou dans la joie. Au second Le Narrateur/le Policier et un homme qui vivait seul avec sa fille de 14 ans. Le couple sans enfant recueille la jeune fille après la mort de son père, puis l’inondation arrivant les oblige à se réfugier au premier. L’eau redescend et tout changera tragiquement comme cela est simulé dès le lever du rideau. L’élément liquide présent, toujours présent, comme dans Pelléas et Mélisande.

D’Éric Soyer, également le maître pertinent des lumières, l’on retiendra la façon dont la porte ouverte du frigidaire éclaire le visage de L’Homme alors que La Femme est allongée dans la chambre, enveloppée d’une lumière crayeuse.

de gauche à droite, la Jeune Fille, Jean-Christophe Lanièce (L’Homme), Victoire Bunel (La Voisine), Enguerrand de Hys (Le Voisin) © DR Stefan Brion

Le Narrateur/Guilhem Terrail, tout en haut de l’immeuble, regarde et commente, tel le chœur antique de la tragédie, de temps en temps l’action, d’une voix forte et appuyée, se glissant avec justesse dans les habits du Policier. Quelle présence et quelle puissance dans l’incarnation de ses deux rôles !

En couple épanoui de voisins Enguerrand de Hys - présent lors de la création - et Victoire Bunel apportent de la joie dans ce sombre drame. Le Médecin/Tomislav Lavoie et les deux enfants de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique complètent cette belle distribution.

de gauche à droite, Guilhem Terrail (Le Policier), Jean-Christophe Lanièce (L’Homme), Tomislav Lavoie (Le Médecin), figurants autour de Chloé Briot (La Femme) © DR Stefan Brion

Au tomber de rideau, diagonale magnifique de la lumière sur le lit d’hôpital sur lequel est allongée Chloé Briot, dans cette pièce aux hautes murailles grises, telle un tombeau. Mais, c’est une autre histoire qui va commencer, le Policier étant aux côtés de la femme, prêt à l’interroger sur la disparition mystérieuse de La Jeune fille.

L’Inondation de Francesco Filidei © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra Comique, 27 février 2023

Leonhard Garms à la tête de l’Orchestre de chambre du Luxembourg dirige avec tact, rigueur cette partition, lui apportant toute sa richesse. Quel plaisir de le voir à l’écoute du plateau et en totale communion avec ses musiciens très attentifs au chef, pendant ces magnifiques deux heures.

Qui a dit que la musique contemporaine est élitiste ? Un opéra à écouter et voir impérativement.    

 L’Inondation de Francesco Filidei © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra Comique, 27 février 2023

https://www.opera-comique.com/fr

Opéra en deux actes de Francesco Filidei - L’Inondation - Livret de Joël Pommerat, d’après la nouvelle éponyme d’Evgueni Zamiatine (1929)

Commande de l’Opéra Comique avec l’aide à l’écriture du ministère de la Culture. Création mondiale 27 septembre 2019, à l’Opéra Comique, sous la direction d’Emilio Pomàrico à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Lundi 27 février, mercredi 1er, vendredi 3 & dimanche 5 mars 2023

L’Inondation de Francesco Filidei © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra Comique, 27 février 2023

Direction musicale Leonhard Garms à la tête de l’Orchestre de chambre du Luxembourg

Mise en scène Joël Pommerat - Reprise de la mise en scène Valérie Nègre

Décors et lumières Eric Soyer - Costumes, maquillages, perruques Isabelle Deffin

Vidéo Renaud Rubiano

Chef de chant  Thomas Palmer - Assistante décors  Marie Hervé

La Femme Chloé Briot mezzo-soprano - L’Homme Jean-Christophe Lanièce baryton

La Jeune Fille Norma Nahoun soprano - La Jeune Fille (comédienne) Pauline Huriet

Le Voisin Enguerrand de Hys ténor - La Voisine Victoire Bunel mezzo-soprano

Le Narrateur, le Policier Guilhem Terrail contre-ténor - Le Médecin Tomislav Lavoie basse

Enfants  de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique sous la direction artistique de Sarah Koné. Ava Kavian de Haro et Léon Prost (27 février, 3 mars) / Sun Creola et Mani Ait Moussa (1er mars, 5 mars)

Figurants - Mikaël Halimi, Nicolas Ladjici, Tom Le Pottier, Antoine Pelletier, Thomas Sagot

Production de l’Opéra Comique - Coproduction  Angers Nantes Opéra, Opéra de Rennes, Théâtres de la Ville de Luxembourg, Opéra de Limoges

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