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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (générale 26 septembre 2022)

Ils s’aimèrent, il y a quelques mois, sur la musique d’Ambroise Thomas, sur ce même plateau de l’Opéra Comique. Quittant les habits d’Hamlet, Sabine Devieilhe et Stéphane Degout se retrouvent, dans ceux de Lakmé, ceux de la fille et du père. La fin sera également tragique, la fille du brahmane mourant comme Ophélie.

Sabine Devieilhe (Lakmé), Stéphane Degout (Nilakantha) - Mise en scène et costumes : Laurent Pelly - Décors : Camille Dugas - Lumières : Joël Adam © Stefan Brion.

Nouvelle mise en scène de Laurent Pelly, qui a étonné au lever du rideau mais ne provoquera aucun mouvement d’humeur dans la chaleur de la vague d’applaudissements unanimes pour cette représentation - déjà d’anthologie ? – émouvante. Seulement la septième mise en scène dans ce lieu où cet opéra-comique fut créé en 1883 -. C’est bien à une représentation de Lakmé, l’Indienne à laquelle l’on assiste et non à celle de Butterfly, la Japonaise comme les décors de Camille Dugas le laissent voir, nous transportant dans le Japon épuré du Nô, du Butô dans lequel le corps exprime les sentiments des chanteurs. Adieu les Indes britanniques où les librettistes avaient situé l’action – l’on a échappé aux allusions colonialistes incontournables aujourd’hui et au Gandhi de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège -, le seul élément d’indice d’Albion étant le parapluie de l’inflexible Mistress Bentson. Adieu temple, déesse aux multiples bras, dieu à tête d’éléphant, forêt où les amants se réfugient, fleurs. Adieu les couleurs des costumes, des saris, le metteur en scène ayant souhaité une unité de décors et de costumes avec le blanc et le beige des Indous, le noir des Britanniques.

Sabine Devieilhe (Lakmé), Stéphane Degout (Nilakantha), chœur Pygmalion © Stefan Brion.

Mireille Delunsch (Mistress Bentson), chœur Pygmalion © Stefan Brion.

Volonté de Laurent Pelly, comme le souligne la lecture du programme, d’effacer au maximum toute référence à l’Inde, à l’indouisme des costumes. Pari réussi. Il n’a pas sombré dans le modeux anti-colonialisme à outrance bien que la dénonciation du colonialisme anglais – et nullement indochinois ! – soit évoquée dans le livret, dans cette opposition entre deux mondes, celui de l’Inde à l’empire des Indes. Tant qu’il ne triture pas le livret ou le revisite à la façon de tant d’incontournables metteurs en scène de l’OnP. La patte de Camille Dugas est heureuse dans les panneaux en papier japonais glissant ou s’élevant, la maison-cage de Lakmé dans laquelle son intraitable père la tient recluse - dès qu’il est parti elle s’en enfuit -, les grandes lanternes mouvantes de la scène du marché. Dans les subtils éclairages pastels de Joël Adam, la magie de la représentation tient à sa façon de sculpter l’espace par ses lumières, dans l’évocation de la rêverie ou de la souffrance. Ce minimalisme et cette douceur des décors, nullement une radicalité, conviennent parfaitement à cette malheureuse histoire d’amour, façon Roméo et Juliette, les amants ne pouvant s’unir, captifs du carcan de leurs religions, des conventions et des tensions communautaires. Ils sauront se libérer de toutes ces contraintes, réfugiés dans la forêt, jusqu’au suicide de Lakmé et le retour de Gérard à la vie militaire, souviens-toi / de ton honneur de soldat.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 26 septembre 2022.

Laurent Pelly a fait le choix de laisser sa place au chant, uniquement au chant porteur des sentiments, dans le grand respect des chanteurs qu’il a subtilement caractérisés. La parfaite maîtrise des mouvements du chœur Pygmalion évoque magistralement la densité de la population indienne dans l’acte II, nous procurant l’indiscutable sensation qu’ils sont une centaine. Mystère de sa maîtrise de la mise en scène sur ce plateau de l’Opéra Comique, pas immense, réceptacle idéal de l’intimité de cet opéra et de ce drame de l’amour, jusqu’à en mourir avec une fleur empoisonnée.

Loin de ses terres habituelles, déchiffreur, curieux, Raphaël Pichon très attendu à la tête de son orchestre Pygmalion, nous livre pendant presque trois heures le grand plaisir de sa direction. Oubliant l’ouverture, un peu plan-plan musicalement, la musique de Léo Delibes frappe juste et nous émeut par son intimité ; c’est la version de la création qui a été retenue, celle avec des dialogues parlés adaptés par Agathe Mélimand. Direction enflammée, attentive, Raphaël Pichon, inspiré, se devait d’accompagner amoureusement Sabine Devieilhe retrouvant ici la Lakmé qu’elle chanta en 2014. Elle avait 28 ans. Un minuscule bémol. Pourquoi une Lakmé aux cheveux blancs ? Pas très heureux…

Sabine Devieilhe (Lakmé) © Stefan Brion.

Sabine Devieilhe, le cristal à l’état pur, dans les subtilités de cette partition, paraissant si facile mais, quelle complexité. Tout semble évident, simple, dans ce duo des fleurs si attendu Sous le dôme épais où / le blanc jasmin / À la rose s’assemble, avec Mallika/ Ambroisine Bré lorsque sa servante lui ôte, les dénouant un à un, ses successives robes-portefeuille, quittant son piédestal de prêtresse, comme si elle se libérait inconsciemment des contraintes paternelles. Grande connivence entre la soprano et la mezzo-soprano dans cette concordante et ce respect de la voix de l’autre, dans cette fragilité, dans cette affirmation des aigus. Cette acmé de l’enchantement et du frissonnement de la colonne vertébrale, on l’éprouvera dans l’air de la fille des Parias Elle a dans sa main la baguette / Où tinte la clochette / des charmeurs, dans ses coloratures aux nuances infinies. Moments d’un enchantement arachnéen que l’on souhaiterait sans fin. L’incommensurable de l’émotion.

Sabine Devieilhe (Lakmé), Frédéric Antoun (Gérald) © Stefan Brion.

Retrouvant également ce plateau qu’il avait foulé en 2014 avec Sabine, Frédéric Antoum, dans le même rôle, celui d’Hector. Sa voix s’élargit au cours de la représentation, trouvant peu à peu sa plénitude jusqu’au duo d’amour final. Immense Degout, Stéphane Degout, notre immense baryton nous enchante dans l’émotion, dans sa façon si irradiante d’habiter chacun de ses rôles, du comte Almaviva à Hamlet et aujourd’hui Nilakantha, qu’il a déjà interprété. Le brahmane défendant Lakmé avec autorité, sa fille, sa déesse, sa prêtresse, de l’impie britannique qui a osé la regarder. Le brahmane prêt à soulever, avec autorité, ses compatriotes contre l’occupant britannique mais redevenant tout doux, un père aimant sa fille Lakmé, c’est toi qui nous / protèges ! même lorsque sa colère éclate Toi, ma Lakmé, toi, la fille / des dieux ! lorsqu’il demande avec autorité à sa fille de devenir l’appât démasquant Gérald.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 26 septembre 2022.

Petit rôle pour Hadji / François Rougier mais quel magistral et magnifique Le maître ne pense / qu’à la vengeance. Il n’a pas / vu couler tes larmes, assis côté jardin, au bord de la fosse, comme une prière susurrée en songeant à Lakmé. Frédéric/ Philippe Estèphe, Ellen/ Elisabeth Boudreault, Rose/ Marielou Jacquard et Mistress Bentson/ Mireille Delunsch défendent parfaitement l’empire britannique.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

Léo Delibes, Lakmé, livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille. Créé en 1883 à l’Opéra Comique.

Direction musicale Raphaël Pichon

Mise en scène & costumes Laurent Pelly

Décors Camille Dugas   Lumière Joël Adam

Orchestre et chœur Pygmalion

Lakmé fille du brahmane, Sabine Devieilhe, soprano

Gérald officier anglais fiancé d’Ellen, Frédéric Antoun, ténor

Mallika servante de Lakmé, Ambroisine Bré, mezzo-soprano

Nilakantha brahmane, Stéphane Degout, baryton

Frédéric officier anglais, Philippe Estèphe, baryton

Ellen, Elisabeth Boudreault, soprano

Rose, Marielou Jacquard, mezzo-soprano

Mistress Bentson, Mireille Delunsch, soprano

Hadji, François Rougier, ténor

Un Domben, François-Olivier Jan

Marchand chinois, Guillaume Gutiérrez

Un Kouravar, René Ramos Premier

28 septembre - 8 octobre 2022

Opéra Comique - Paris

Complet pour les six représentations. Une chance de (ré)entendre Sabine, en décembre, au Théâtre des Champs-Elysées, dans le même rôle, en version concert.

Arte Concert le 6 octobre & France Musique le 22 octobre.

 

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