Milan succombe aux Baisers de Francesco Hayez. Milano cede ai Baci di Francesco Hayez
Francesco Hayez. Il bacio. Episodio della giovinezza. Costumi del secolo XIV (Le Baiser. Épisode de la jeunesse. Costumes du XIVe siècle), 1859. Huile sur toile, 112 x 88 cm.. Milan, Pinacoteca di Brera. Su concessione del Ministero dei Beni e della Attività Culturali e del Turismo, Milano, Pinacoteca di Brera.
Pour le jeu des sept erreurs rendez-vous à Milan. Dans l'ancienne banque Intesa Sanpaolo transformée en pôle museal, exposant des baisers, à quelques mètres de La Scala. Leur auteur ? Francesco Hayez, né à Venise en 1791, mort en 1882 à Milan, le célébrissime peintre du Bacio, du Baiser.
Francesco Hayez. Il bacio (Le Baiser), 1861. Huile sur toile, 127 x 95 cm. Collection privée
Francesco Hayez. Il bacio (Le Baiser), 1867. Huile sur toile, 116,8 x 80 cm.. Collection privée
De cet artiste, dont la dernière exposition monographique remonte à Milan en 1983, que sait-on de lui en France, bien que son père Giovanni fut originaire de Valenciennes ?
Petit rappel. Élevé par son oncle marchand d'art. Pensionné par l'Académie des beaux-arts de Venise, il arrive à Rome en 1809 et fréquente l'atelier du sculpteur Antonio Canova. Premier prix ex æquo de peinture à l'Académie des beaux-arts de Brera à Milan avec Laocoon et ses enfants. Retour à Venise. Grand succès pour Pietro Rossi présenté en 1820 à Brera. Il s'installe définitivement à Milan en 1823, ville dans laquelle il sera professeur à l'Académie de Brera. Pour l'empereur d'Autriche Ferdinand Ier il peint Les deux Foscari en 1838. En 1858, il expose à Brera son plus illustre tableau, connu de tous outre-Alpes Le Baiser. Ce Bacio, 1859 (Pinacothèque de Brera, Milan), Hayez en peindra d'autres versions, en 1861 et 1867, présentées ici. Il expose en 1867 à Brera ses deux derniers grands tableaux historiques, son testament spirituel, peints à l'âge de 77 ans comme il le signe en bas de Les derniers moments du Doge Marin Faliero sur le grand escalier pour l'Académie de Brera et La destruction du Temple de Jérusalem destiné aux Galeries de l'Académie à Venise (tableau, que je n'ai jamais vue exposé dans ce musée de la Sérénissime depuis que je me rends dans cette ville). En 1870 il exécute, d'après une photographie, le portrait posthume de Gioacchino Rossini, disparu depuis deux ans. "Couvert" de gloire et d'honneur, il s'éteint à Milan. "Celui que toute l'Italie aujourd'hui pleure et honore, restera dans les mémoires de tous pour ses insignes œuvres d'art et sa vertu" écrira Giuseppe Verdi.
Qui était donc Francesco Hayez dont Stendhal nota en 1828 "M. Hayez, peintre vénitien à Milan, me semble rien moins que le premier peintre vivant. [...] Ce peintre m'apprend quelque chose de nouveau sur les passions qu'il peint."?
Réponse en cent numéros, en grande majorité de collections privées, avec l'adjonction de sculptures de Canova, Vincenzo Vela et Alesandro Puttinati, dans cette ancienne banque, symbole de la puissance économique de Milan. Le parcours reste chronologique, de sa formation à Venise et à Rome à la révolution romantique, du sacré et profane à la peinture politique, des portraits à la tragédie du pouvoir, d'un Orient rêvé au Risorgimento, du Baiser aux derniers tableaux. Comme un clin d'œil cette exposition, devant s'adapter de la difficile configuration de ce bâtiment, surtout pour les salles consacrées à ses débuts, trop petites et n'offrant qu'un recul insuffisant à ses grandes toiles, commence par 50 baisers cinématographiques, de La Fièvre de l'or (1925) à La Vie d'Adèle (2013).
Vues de l'exposition Francesco Hayez © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2016. Exposition Francesco Hayez, Gallerie d'Italia, Milan.
Toiles de grandiloquence de ses débuts, Laocoon et ses enfants, victimes de la colère de Minerve (1822), un prêtre troyen semblant plus se pâmer ou danser qu'être étranglé par un énorme serpent ressemblant à une vipère agrandie, un Athlète triomphant nu (1814) si proche d'une sculpture de Canova comme l'est Cupidon bien interrogatif (1817). Face à ses toiles, Ajax d'Oïlée naufragé s'agrippe à un rocher en implorant les dieux (1822) manifeste une technique puissante, une étude plus réaliste d'un corps en torsion et musculeux, bien vivant et non ré-inventé selon des canons classiques. Adieu la mythologie et l'antiquité, cap sur le Moyen-Âge, l'histoire de son pays avec Pietro Rossi (1818-1820), le mythe des deux amants rendu immortel dans la tragédie de Shakespeare avec Le mariage de Juliette et de Roméo et surtout Le dernier baiser de Juliette à Roméo, tous les deux de 1823. Ce dernier baiser allait provoquer le scandale pour sa sensualité mais aussi par son extrême réalisme avec une Juliette en mules, représentation qui sera "plus soft", 10 années plus tard avec Le dernier adieu de Juliette à Roméo, beaucoup plus convenu dans ces deux corps moins enlacés.
Ce baiser scandaleux de 1823, il le réitèrera en 1859 avec Le Baiser. Épisode de la jeunesse. Costumes du XIVe siècle, dans une forme sensuelle et séduisante "ce thème universel de l'amour représenté par un vieux peintre, sur le seuil de ces 70 ans, cette représentation du moment le plus intense et poétique de la relation de deux personnes qui s'aiment" comme le souligne Fernando Mazzocca, le commissaire. Immense fortune populaire de ce tableau dans un temps de l'expansion de l'Unité italienne, la libération de Milan et l'entrée victorieuse du futur roi d'Italie Victor Emmanuel II et son allié Napoléon III, avec cette union du bleu français de la femme et du rouge italien de l'homme, qui sera repris dans la version de 1861 avec uniquement le blanc et le rouge telle une évocation de l'éloignement de la France de la cause de l'indépendance. Troisième version, celle de 1867, celle pour l'Exposition universelle de Paris avec les couleurs bleu, rouge, verte et blanche, telle l'allégorie de l'union entre les deux nations transalpines. Chef d'œuvre de Hayez qui inspirera le baiser fougueux entre la comtesse italienne et l'officier autrichien, scène maîtresse du film Senso de Luchino Visconti (1954).
Vues de l'exposition Francesco Hayez © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2016. Exposition Francesco Hayez, Gallerie d'Italia, Milan.
Peintre de moments politiques, de la "peinture civile", il magnifie la vie de Pierre l'ermite prédicateur de la première Croisade dans un paysage alpestre (1827-1829) ou en compagnie du Pape Urbain II à Clermont-Ferrand (1835) jusqu'à atteindre une dimension tragique dans la monumentale représentation des derniers instants de Marie Stuard montant à l'échafaud (1827) ou dans le fait contemporain Les habitants de Parga [en Grèce] abandonnent leur patrie (1826-1831). Une des toiles les plus saisissantes de cette période est celle de la Tête d'un décapité (Le Carmagnola), issue de l'histoire vénitienne du XVe siècle et de la pièce d'Alessandro Manzoni (1826).
Cette histoire de Venise ne pouvait que l'inspirer, lui le fils de la Sérénissime, avec Francesco Foscari destitué (1842-1844), La dernière rencontre du doge Jacopo Foscari avec sa famille [le bannissement de son fils] (1838-1840). Et se clore en 1867 avec Les derniers moments du doge Marin Faliero sur l'escalier, instant où le doge va être décapité, pour trahison, dans la cour du palais ducal.
Gilles Kraemer
déplacement et séjour à titre personnel à Milan
Francesco Hayez
7 novembre 2015 - 21 février 2016
Gallerie d'Italia - Piazza Scala, Milan
métro Duomo (ligne rouge ou ligne jaune)
http://www.gallerieditalia.com/hayez/
Commissariat Fernando Mazzocca. Coordination générale Gianfranco Brunelli. Comité scientifique Sandrino Bandera, Cecilia Ghibaudi, Isabella Marelli, Fernando Mazzocca, Francesca Valli.
Catalogue conséquent, aux notices fournies. Textes de Fernando Mazzoca Le génie démocratique de Hayez; Cecilia Ghibaudi, Hayez et les expositions de Brera; Andrea Carini & Isabella Marelli Hayez et la Pinacothèque de Brera, Camillo Tonini Les fresques de Hayez pour le Palais ducal de Venise. 250 photographies. 384 pages. Éditions SilvanaEditoriale. 34 €.
Ringraziamenti a Intesa Sanpaolo. Ufficio Media Attività Istituzionali, Sociali e Culturali pour l'accueil.
Le baiser entre la comtesse Livia Serpieri et l'officier autrichien Franz Malher. Senso, 1954. Film de Luchino Visconti / / Francesco Hayez. Le Baiser. Versions de 1861 / 1859 / 1867. Huile sur toile © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, janvier 2016. Exposition Francesco Hayez, Gallerie d'Italia, Milan