Tristan Tzara ou L'Homme approximatif exposé
Tristan Tzara, L'Homme approximatif, poète, écrivain d'art, collectionneur. Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
Tristan Tzara. Dada. Naturellement, ceci vient de suite à l'esprit. L'évocation du nom de ce poète, qui prendra le nom de plume de Tzara (terre en roumain), né Samuel Rosenstock le 16 avril 1896 - le jour de la Saint-Dada dans le calendrier julien, presque un acte surréaliste -, naturalisé français en 1947, mort en 1963, renvoie à l'écrivain mais aussi à l'homme mu par la curiosité, au critique d'art, au collectionneur, tel que le sous-tend le titre de cette exposition que lui consacre le musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg, dans l'évocation de ses différentes trajectoires.
"Tzara, le briseur de vers, le révolutionnaire du langage poétique, comme le présente Joëlle Pijaudier-Cabot, directrice des musées de la ville de Strasbourg, le créateur de Dada avec son complice Arp, on pense le connaître. Mais à l'étudier, l'exposition donne la mesure d'un homme beaucoup plus complexe, qui fut au centre d'une constellation gravitant autour de lui, de poètes, de peintres et d'illustrateurs de ses ouvrages.". Comme André Breton, Michel Leiris ou Guillaume Apollinaire. Comme l'est aujourd'hui Michel Butor.
Vues de l'exposition Tristan Tzara, L'Homme approximatif, poète, écrivain d'art, collectionneur. Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
N'ayant jamais fait l'objet d'une exposition personnelle, apparaissant toujours en satellite des expositions dadas et surréalistes, cette présentation en 450 numéros évoque sa carrière littéraire mais aussi "son compagnonnage avec Arp natif de Strasbourg, mais aussi Matisse, Picasso ou Masson. Avec un côté moins désinvolte qu'on lui donne" souligne Serge Fauchereau le commissaire. Et aspect plus méconnu, pour moi l'un des plus intéressant, le collectionneur d'art africain, océanien et aussi précolombien, commençant à se passionner dès 1916, se constituant une "collection en mouvement" comme l'exprime Yaëlle Biro dans le catalogue Engagement et poésie. Tristan Tzara et les arts africains et océaniens, soulignant qu'il fut le premier à utiliser la formule "arts premiers" en 1951. Collectionneur de son temps et d'ailleurs tel que le désigne l'essai de Fabrice Flahutez ; des oeuvres lui ayant appartenu sont présentées dont un Moaï papa, île de Pâques (XIXe siècle). Des pièces d'art art brut - trois Barbus Müller et une Maison d'Auguste Forestier, patient de l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban qu'il rencontra à l’été 1945 illustrent les intérêts qui seront les siens jusqu’à la fin de sa vie, pour "cette poésie de l'art populaire" si joliment nommée par Savine Faubin.
Vues de l'exposition Tristan Tzara, L'Homme approximatif, poète, écrivain d'art, collectionneur. Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
Il n'est pas seulement l'homme au monocle tel que le dessine Francis Picabia (1918) ou le compose dans un assemblage de papier et de carton Marcel Jancon (1919), l'homme aux convictions fortes derrière ses costumes bien coupés, celui qui se fait construire sur les hauteurs de Montmartre une maison par Adolf Loos. Il est aussi l'homme engagé, soutenant les Républicains espagnols, dans la clandestinité à Souillac durant l'Occupation, car militant de gauche et d'origine juive - se présentant natif de Moinostiès, ville du Tarn totalement inventée -, adhérant au parti communiste mais signant le Manifeste des 121 sur le droit à l'insoumission en 1961. Toujours libre.
Vues de l'exposition Tristan Tzara, L'Homme approximatif, poète, écrivain d'art, collectionneur. Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
De ses jeunes années passées en Roumanie, en ce pays francophone à l'intense circulation de revues, l'introduction de l'exposition retient l'ambiance artistique (Fleur de lotus de Michallescu et Chemin de fer si fauve de Segal ) et la passion d'un jeune homme de 16 ans fondant, avec ses amis Ion Vinea et Marcel Janco, la revue Simbolul (Le Symbole) dans laquelle sont publiés ses premiers poèmes.
La suite est connue. Séjour dès 1916 dans l'effervescence du dadaïsme de Zurich "la ville refuge des pacifistes internationaux pendant la guerre, le nouveau foyer de la modernité", son arrivée à Paris en 1920 après sa rencontre avec Picabia en 1919, son adhésion au surréalisme puis sa rupture avec ce mouvement en 1935. Ce parcours est mis en résonance dans chaque salle avec ses écrits et des oeuvres de ses amis peintres Francis Picabia, Man Ray, Hans Arp, Kurt Schwitters, Juan Gris ou Max Ernst, des cadavres exquis avec Valentine Hugo, André Breton ou Paul Éluard, Giorgio de Chirico, Tangy, Miró, Sonia Delaunay ou Giacometti. Naturellement, l'évocation de ses relations avec son pays natal est présente ; quatre Victor Brauner dont le surréaliste Le Déserteur (1932), Hérold et le bronze de La Femmemoiselle (1945) exposé à côté de la lumineuse et épurée La Muse endormie de Brancusi (1910).
Côte à côte, Hommage à Callot de Francis Gruber (1942) et André Masson Groupe au Merle blanc (1943), une belle confrontation, en dialogue avec Laurens, Picasso et Matisse.
Vues de l'exposition Tristan Tzara, L'Homme approximatif, poète, écrivain d'art, collectionneur. Musée d'art moderne et contemporain de Strasbourg © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
Le parti pris d'un déroulé chronologique et ces vitrines présentant des manuscrits, revues, ouvrages, livres illustrés bien rangés ne retranscrivent pas suffisamment ces instants provocateurs durant la période entre les deux conflits mondiaux, l'atmosphère du Cabaret Voltaire à Zurich, les manifestations parisiennes houleuses des surréalistes, les ruptures intellectuelles, la ferveur des engagements. L'on aurait souhaité, pour présenter la richesse de ses écrits, de ces tableaux, dessins et sculptures, une scénographie moins sage pour le cheminement de cet Homme approximatif - titre de son poème épique paru en 1931 avec une eau-forte de Paul Klee -, cet "homme approximatif comme moi comme toi lecteur et comme les autres / amas de chairs bruyantes et d'échos de conscience... ".
Gilles Kraemer
Tristan Tzara, L'Homme approximatif, poéte, écrivain d'art, collectionneur
24 septembre 2015 - 17 janvier 2016
Musée d’Art moderne et contemporain
1 place Hans Jean Arp
Strasbourg
Tél. : 03 68 98 51 55
http://www.musees.strasbourg.eu/
Commissaire général : Serge Fauchereau et Estelle Pietrzyk ; conseil scientifique: Henri Béhar
Catalogue à lire impérativement. Tristan Tzara l’homme approximatif. 300 illustrations environ (les œuvres exposées ne sont pas toutes reproduites), 356 pages. Éditions des musées de la ville de Strasbourg. Prix 35 euros