Un oratorio et Robert Wilson attendus comme le Messie au Théâtre des Champs-Elysées
Gilles Kraemer
orchestre, place achetée.
Messias selon Robert Wilson, alleluia pour tous. Un oratorio attendu comme le Messie pour la réouverture de la saison opératique parisienne (1). Théâtre des Champs-Elysées ce samedi 19 septembre 2020. Un Messias réorchestré en 1789 par Mozart adaptant Messiah d'Haendel, créé en 1742, au passage le livret en anglais sera adapté en allemand.
Stanislas de Barbeyrac in Der Messias © Vincent Pontet
Le plaisir du spectacle vivant et des émotions étaient palpables ce samedi, le rideau se levait à nouveau après six mois sur la symbolique du Messias. Étrange pré-science, ces trois représentations parisiennes étaient programmées pour la saison 2020/2021, avant que la pandémie mondiale du coronavirus stoppa tout en mars.
Alexis Fousekis in Der Messias © Vincent Pontet
Comme le soulignait Michel Franck, masqué, directeur de cette magnifique institution parisienne, à son public de vrais connaisseurs – nous ne sommes nullement dans le grand vaisseau du 12e arrondissement … - " le partage des émotions est de retour, le rideau se lève. Alleluia, si j’ose dire, nous sommes tous là, de retour.".
Elena Tsallagova in Der Messias © Vincent Pontet
Une mise en scène poignante de Robert Wilson vue à Salzbourg en janvier 2020 – ceci semble si loin depuis cette parenthèse mondiale du printemps 2020 arrêtant tout -, du pur et du grand Wilson, hormis ce homard en plastique tenu en laisse par un mannequin assis, sans tête, dont je continue à m’interroger sur la présence, totalement incompréhensible. Et, au même instant, l’exercice imposé à Elena Tsallagova de verser, sans regarder l’eau d’une carafe dans un verre puis de faire couler l’eau sur sa nuque lors du Sein Joch ist sanft, leicht seine Last. Petit sourire dans les yeux des spectateurs sagement masqués et rires.
S’il y a un lien avec la vie, la Passion ou la Résurrection de notre Seigneur, qu’on me l’explique ce qu’a souhaité évoquer ce créateur scénographique de légende. Aucune réponse dans le programme dans lequel Bob Wilson évoque un voyage spirituel [...] une œuvre grandiose parlant d’espoir qui est notre réconfort.
José Cosa Loza in Der Messias © Vincent Pontet
Magnifique direction de Mark Minkowski, à la tête de ses Musiciens du Louvre et du Philarmonia Chor Wien – Halleluja ! Denn Gott der Herr regieret allmächtig ! éblouissant, comme un feu d’artifice accompagné par la vidéo de la banquise explosant et l’apparition dans la fumée d’un cosmonaute - pour poser des inflexions toutes en douceur, en profondeur et en retenue, sur cet oratorio de Haendel particulièrement touchant dans l’habillement sonore de Mozart selon la définition de Wilson.
Elena Tsallagova & Stanislas de Barbeyrac in Der Messias © Vincent Pontet
Prise de rôle de Stanislas de Barbeyrac éblouissant, synchronisant son récitatif avec les néons au sol qui s'allument et s'éteignent à mesure qu’il s’avance, dans une gestuelle très disco, fièvre du samedi soir. Irrésistible. Véritable monsieur Loyal, en gants noirs, dans cet oratorio auquel il apporte vie et une pointe d’érotisme par ses déhanchements dans son duo avec la merveilleuse Elena Tsallagova dans l’expressivité du O Tod, wo ist dein Pfeil ? O Grab, wo ist dein stolzer Sieg ? Bravo à lui, remplaçant Richard Croft, de s’être approprié avec bonheur le geste, la maîtrise, le "millimètrisme" wilsonnien dans son arie Erwach zu Liedern der Wonne… .
Der Messias © Vincent Pontet
Oublions très vite la tenue de José Coca Loza et sa coiffure façon japonaise pour retenir Warum entbrennen die Heiden und toben im Zorne…? magnifique, la chair de poule, le sang qui se glace dans cette poignante supplique. Helena Rasker, plus Mélisande par sa robe intemporelle, dans une image éthérée, dans sa barque comme si elle traversait le Styx pour Ich weiß, dass mein Erlöser lebet… .
Tous masqués, même le metteur en scène © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, TCE, 19 septembre 2020
Et Wilson ? Au rendez-vous avec sa boîte à outils dans laquelle il ne cesse de puiser les fulgurances de ses lumières bleutées ou glaciaires, ses meubles épurés comme une sculpture de Giacometti, le visage blanc de ses chanteurs, le déplacement calligraphié dans l’espace de ses chanteurs ou du danseur, la mouvance dans les cintres de sept troncs d’arbres descendant et remontant ou d’un arbre déraciné suspendu et tournant. Cette fumée comme de l’encens purificateur. La vidéo de Tomasz Jeziorski, mer d’huile ou démontée. Le chœur dans le noir ou dans la lumière.
Mais, que diable, cet homard faisait-il là ?
Triomphe, applaudissements chaleureux & des bravos masqués.
José Cosa Loza, Marc Minkowski, Elena Tsallagova, Stanislas de Barbeyrac & Helena Rasker in Der Messias © Le Curieux des arts Gilles Kraemer TCE, 19 septembre 2020
Der Messias. Oratorio en trois parties de Georg Friedrich Haendel (1742) adapté par Wolfgang Amadeus Mozart (1789)
Théâtre des Champs-Elysées – Paris - 16 - 18 - 19 septembre 2020
Marc Minkowski | direction - Robert Wilson | mise en scène, scénographie, lumières
Elena Tsallagova | soprano
Helena Rasker | contralto
Stanislas de Barbeyrac | ténor
José Coca Loza | basse
Alexis Fousekis | danseur
Max Harris | comédien
Léopoldine Richards | figurante
Les Musiciens du Louvre - Philharmonia Chor Wien | direction Walter Zeh
Oratorio chanté en allemand, surtitré en français et en anglais (et non l’inverse comme à l’Opéra national de Paris qui affiche toujours l’anglais avant le français, s’évertuant dans cette aberration !)
(1) L’Opéra national de Paris joue dans la cour des abonnés absents pour l’instant, La Traviata est programmée pour le 25 novembre. Le grand navire tangue fortement dans le port de Bastille, son commandant aura du mal à le remettre à flot, le précédent étant parti précipitamment dans la baie de Naples.