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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

Déplacement et séjour personnel à Vicence

In situ exposition La Caduta degli angeli ribelli. Au premier plan, Allegoria della Vendemmia, 1738, bronze, 109 cm.. Torino, Musei Reali - Palazzo Reale  © Marco Zorzanello, Gallerie d’Italia, Vicenza.

Bertos, Berti, Bertossi, Bertozzi, Bertoti ou Bertoz ? Passé à la postérité sous le nom de Francesco Bertos.  Qui fut ce mystérieux sculpteur padouan, actif au XVIIIème ? Absent des collections du Louvre et de Jacquemart-André mais présent dans au moins une collection particulière française.

Direction l’Italie, Vicence, la cité palladienne, où les Gallerie d’Italia appartenant au puissant groupe bancaire Intesa Sanpaolo lui consacrent une exposition dans le Palazzo Leoni Montanari, extraordinaire édifice baroque – propriété d’Intesa Sanpaolo - présentant habituellement des peintures vénitiennes du Settecento et une fabuleuse collection de 462 icônes russes.

Sous les fresques de Giuseppe Alberti et les stucs de Girolamo Aliprandi et Andrea Pelli, marbre de Francesco Bertos, Centauressa in lotta con i lapiti. Padova, Musei Civici © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Sous les fresques de Giuseppe Alberti et les stucs de Girolamo Aliprandi et Andrea Pelli, marbre de Francesco Bertos, Ratto di Elena. Torino, Musei Reali - Palazzo Reale © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Le cadre idéal pour son œuvre, des salles comme faites pour lui, aux fresques de Giuseppe Alberti (1688), le Triomphe de la Vérité sur les vices, les Travaux d’Hercule, aux stucs éblouissants de Girolamo Aliprandi et Andrea Pelli (1688), dans des blancs et jaunes dorés. Lieu baroque « en diable » - qualificatif opportunément mérité - pour ce sculpteur d’une virtuosité extrême. Comment put-il concevoir de tels marbres, fondre de tels bronzes ? Cela lui valut l’accusation d’avoir passé un pacte avec le diable et son examen par l’Inquisition. « L’accusa formale di aver’ stretto un patto col diavolo. ».

Francesco Bertos, Fiume (Alfeo?), marbre, 23 cm. Collection privée  //  Giovanni Bonazza (Venezia 1654 - 1736 Padova), San Girolamo penitente, marbre. Padova, Biblioteca universitaria  //  Nicolo Roccatagliata (Genovaca 1559 - 1629 Venezia) e bottega, Piramide di putti (Forze d'Ercole), XVIIème, bronzes. Venezia, Museo Correr, Fondazione Musei Civici © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Cette exposition est la première entièrement dédiée à Francesco Bertos (1678-1741), artiste dont la pratique virevoltante et aérienne de la sculpture est la plus étonnante et plus inclassable parmi les artistes de l’Italie, de la Sérénissime de la première moitié du Settecento et parmi tous les sculpteurs italiens – gardons cependant l’incise du stucateur palermitain Giacomo Serpotta (1656-1732), du Compionto sul Cristo morto (ca 1460) de Niccolò dell'Arca à Bologne ou de Bernino - à l'été 2025, le château de Versailles, dans une exposition, mettra à l'honneur l'emblématique Buste de Louis XIV que Gian Lorenzo, invité par Louis en 1665, exécuta lors de son séjour parisien - -. Exposition de 43 œuvres de Francesco Bertos et d’autres artistes de son époque, dans un parcours de 7 sections conclu par Chute des anges rebelles.

Francesco Bertos (actif entre 1706 et 1739), Caduta degli angeli ribelli, ca 1725-1735. Marbre de Carrare. 168 x 80 x 81 cm.. Collezione Intesa Sanpaolo, Gallerie d'Italia - Vicenza © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Caduta degli angeli ribelli, mythique sculpture. « Un unicum dans la production de cet artiste » comme le souligne Monica De Vicenti, co-commissaire avec Fernando Mazzocca de cette exposition non chroniquée, ni citée dans la presse française.

Francesco Bertos (actif entre 1706 et 1739), détail de la Caduta degli angeli ribelli, ca 1725-1735. Marbre de Carrare. 168 x 80 x 81 cm.. Collezione Intesa Sanpaolo, Gallerie d'Italia - Vicenza © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Il est des œuvres iconiques, incroyables, improbables. Œuvre connue de réputation sans l’avoir jamais vue, cette Chute en est une. Il faut, dans son Grand Tour, se rendre à Vicence pour la voir. Inclassable, une fulgurance taillée dans un seul bloc de marbre de Carrare, composée d’environs 70 figures représentant le combat céleste entre le bien et le mal, entre l’archange Michel tout en haut, vêtu tel un soldat romain, levant son épée de la main droite pour lutter contre Satan. Fascination. Comment une main humaine put-elle sculpter une telle pyramide de corps sur 168 centimètres, ciseler chaque détail des corps nus des anges rebelles dans toutes les positions, ces chutes vertigineuses. Une montagne démoniaque de corps. Puissance de l’artiste capable de comprendre son bloc de marbre avant d’y projeter sa gradine et son ciseau, dans une connaissance de l’Antique et du maniérisme.

Giambologna (ca 1529 - 1608), Ratto a due figure, 1579. Bronze, 85 cm.. Napoli, Museo e Real Bosco di Capodimonte © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Comment ne songerait-on pas au marbre de l’Enlèvement d’une sabine (Ratto di una sabina) de Giambologna (ca 1529-1608) dans la Loggia dei Lanzi ou au bronze Mercurio (Mercurio volante) du même (1580-1590), venu du Museo Nazionale del Bargello, présenté à Vicence – un des quatre avec ceux de Naples, Dresde et Vienne - ou à Ratto a due figure, 1579 ?

Le catalogue évoque dans son travail, le regard posé sur l’un des chefs-d’œuvre de la statuaire antique, le Toro Farnese ou Supplizio di Dirce (14-68 après Jésus-Christ) retrouvé à Rome en 1545, ancienne collection des Farnese, visible aujourd’hui au Museo archeologico nazionale de Naples. Regard posé également sur la vie de tous les jours de la Sérénissime avec les Forze d’Ercole, ces pyramides humaines lors de la longue période du Carnaval vénitien.

Francesco fréquenta en 1709 l’atelier du florentin Giovanni Battista Foggini (1652-1725), premier sculpteur et architecte à la cour de Cosimo III – bronzes de Borea rapisce Orizia (ca 1703), Plutone rapisce Proserpina (ca 1703) puis celui du vénitien Giovanni Bonazza (1654-1736) - marbre de San Girolamo penitente -. La certitude d’un voyage à Rome n’a pas été retrouvée.

Chute est le point final spectaculaire du parcours. Au « whaou », plate interjection de l'incontournable modeux instagrammeur, préférons celui de « couper le souffle » dans un mouvement de recul, de surprise tellement la puissance de ce marbre ne peut s'imaginer. Une réaction subtilement menée par la mise en espace d’Antonio Ravalli Architetti, dans cette lente avancée, ce cheminement entre d’autres merveilles sculptées dans le marbre ou coulées dans le bronze vers le chef d’œuvre de Francesco, cette Caduta née d'un marbre de Carrare.

Son commanditaire fut le padouan Marcantonio Trento, nommé chevalier de l’ordre de Malte en 1717. Sculpture en référence à L’Apocalypse selon saint Jean, au Paradis perdu (1667) de John Milton largement traduit à cette époque, ouvrage sur lequel Fernando Mazzocca revient dans le catalogue. Sculpture dans la symbolique du triomphe de la religion catholique sur ses ennemis.

À l’occasion de sept-centième anniversaire de la mort de Dante Alighieri, présenté à l’automne romain 2021, dans la première salle des Scuderie del Quirinale, exposition Inferno, commissariat de Jean Clair, ce marbre est réattribué, par Monica De Vincenti et Simone Guerriero, à Bertos. Alors qu’il l’était précédemment au padouan Agostino Fasolato (1714-1787). Manifestement, cette réattribution n’est pas visible sur de très nombreux sites Internet se limitant à se copier dans d’incessants couper-copier-coller. Qui était cet Agostino ? L’exposition n’en livre rien, aucune œuvre de celui-ci n’étant présentée à Vicence ni reproduite dans le catalogue. Le mystère demeurera…

Sous le regard de Pierre le Grand, après 1717, atelier de Jean-Marc Nattier, prêt du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, marbre de Francesco Bertos, Bacco a cavallo dell'asina, 67 cm.. Collezione Tommaso Ferruda © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Sous le regard de Carlo Emanuele III di Savoia, ca 1730-1740, Maria Giovanna Battista Buzzana Clementi detta la Clementina. Torino, Palazzo Madama, Museo Civico d'Arte Antica, marbre de Francesco Bertos, Allegoria dell'America, 95 cm..  Torino, Musei Reali - Palazzo Reale © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Très tôt, l’œil des puissants se pose sur ce sculpteur à la pratique stupéfiante. Le tsar Pierre le Grand, la famille vénitienne des Pisani di Santo Stefano, le maréchal Johann Matthias von der Schulenburg possédant une demeure sur le Canal Grande et la cour de Savoie de Carlo Emanuele III auquel appartint le marbre de l’Allegoria dell’America (1738).

Sous le regard de Giambattista Tiepolo, Il giudizio finale, avant 1747. Prêt d'Intesa Sanpaolo à la Fondazione Querini Stampalia, Venezia, détail d'un bronze de Francesco Bertos, Allegoria dell'arte della Guerra, 1738, 113 cm.. Torino, Musei Reali - Palazzo Reale © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Fréquentant les peintres de la Sérénissime, sa sculpture – bronze Allegoria dell’arte della Guerra (1738) – peut facilement être mise en relations avec les toiles de Sebastiano Ricci, Antonio Bellucci, Giovanni Battista Pittoni et Giambattista Tiepolo, porosité des deux arts irriguée par l’«Accademia di Scultura e Pittura» décidée par le Sénat de la République en 1724.

Au premier plan Francesco Bertos et atelier, Gruppo allegorica con bue, bronze, 31cm.  // au second plan,  Francesco Bertos et alelier, Gruppo allegorico con servo, bronze, 33, 5cm.. Ces deux sculptures sont à Milan, Soprintendenza Archeologia, Belle Arti e Paesaggio per la città metropolitana di Milano © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

Popularité lui permettant de diffuser plus largement ses sculptures par le bronze, œuvres produites par son atelier.

Anonyme, Chute des anges rebelles, ca 1700, ivoire, 27x14,5 cm.. Madrid, Musée archéologique national © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

                           

La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos / La Chute des anges rebelles

Gallerie d’Italia - Vicenza, museo di Intesa Sanpaolo

11 octobre 2024 - 9 février 2025

Commissariat Monica De Vincenti et Fernando Mazzocca

Catalogue. Notices très fournies pour chaque œuvre exposée. Textes de Monica De Vincenti, Enrico Lucchese, Vincenzo Mancini, Fernando Mazzocca. 130 illustrations. Très nombreux détails. 208 pages. Edizioni Gallerie d’Italia | Skira. Prix 35 € (en service de presse).

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence, Gallerie d’Italia, La Caduta degli angeli ribelli. Francesco Bertos.

https://group.intesasanpaolo.com/it/newsroom/tutte-le-news/mostre/2024/gallerie-d-italia-vicenza-francesco-bertos#

https://group.intesasanpaolo.com/it/sezione-editoriale/Cultura-e-tutela-patrimonio-artistico-italiano

Accueil chaleureux de l'Office de tourisme de Vicence situé entre le Museo civico di Palazzo Chiericati et le Teatro Olimpico de Palladio. Depuis Venise et Santa Lucia, 45 minutes en train pour rejoindre Vicence  en passant par Padoue puis bus juste devant la gare, éloignée de la ville, en sortant à gauche. En 10 minutes vous serez devant l’office de tourisme.

Bar Minerva © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2024, Vicence

Bar Minerva juste à côté des Gallerie d’Italia, un bar comme je les préfère, loin du tourisme. Familial, où l’on peut déjeuner de tramezzini (une sorte de sandwich, deux tranches de pain de mie triangulaires), parmi les meilleurs de la Vénétie.  

Vive ce pays où Bellini se boit, Carpaccio se mange et où l'écrivain Gabrielle D'Annunzio aurait ainsi dénommé ce sandwich...

http://www.barminerva.it/#chi-siamo

 

Deux autres expositions-dossiers à Vicence. Antonio Pellegrini et Bartolomeo Mantegna.

http://www.lecurieuxdesarts.fr/2024/12/salmacis-et-hermaphrodite-d-antonio-pellegrini-palazzo-chiericati-vicence-vicenza.html

http://www.lecurieuxdesarts.fr/2024/12/san-pietro-de-bartolomeo-montagna-gallerie-dell-accademia-venise-palazzo-chiericati-vicence.html

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