Willem de Kooning et la Dolce vita – Gallerie dell’Academia – LXème Biennale de l’art de Venise –Stranieri Ovunque - Foreigners Everywhere - Événement collatéral (V)
Willem de Kooning et la Dolce vita – Gallerie dell’Academia – LXème Biennale de l’art de Venise –Stranieri Ovunque - Foreigners Everywhere - Événement collatéral (V)
Gilles Kraemer
déplacement et séjour personnel à Venise
Willem de Kooning © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Willem de Kooning, Hostess, 1973. Bronze. 124,5 x 94 x 73,7 cm.. Édition à 7 + 2 E.A.. Collection privée © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024. Assise sur un banc, dans une pose blasée, cette figure féminine est plutôt une caricature humoristique.
Depuis juillet 1926, à 22 ans il avait quitté Rotterdam pour s’établir aux États- Unis où il sera naturalisé en 1962, Willem de Kooning (Rotterdam, Pays-Bas 1904 - 1977 East Hampton, New York, États-Unis) n’était jamais revenu en Europe.
Été 1959. Premier voyage à Venise pour y retrouver Ruth Kligman sa maîtresse d'alors – ex-fiancée de Pollock - puis Rome. Cette courte semaine le laissant tellement fasciné par la capitale italienne il décide, à peine rentré à New York le 9 septembre 1959, de revenir sur le vieux continent.
" New York, che mi era sembrata così grandiosa, dopo Roma mi sembrava angusta " .
Willem de Kooning, Detour, 1958. Huile sur carton. 150 x 108 cm.. Munich, Bayerische Staatgemäldesalllungen Pinakothek der Moderne // Bolton Landing, 1957. Huile sur toile. 212,1 x 188 cm.. Collection Irma et Norman Braman // Brown Derby Road, 1958. Huile sur toile. 159 x 125 cm.. Arte, LLC © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Sa dernière exposition en mai 1959 à la Sydney Janis Gallery de New York s’était révélée un grand succès médiatique, toute ses toiles vendues. Trois de celle-ci - Bolton Landing (1957), Detour (1958) et Brown Derby Road (1958) - ouvrent l’exposition que les Gallerie dell’Accademia consacrent à ce peintre, Willem de Kooning l’Italia, des années 1950 aux années 1980, nullement une rétrospective mais une étude des rapports profonds entre l’artiste et l’Italie suite à ses séjours dans la péninsule. Il n’était pas inconnu en Italie, exposant pour la première fois à la Biennale de l’art de Venise en 1950, en 1954 quatre toiles de la série Woman, en 1956.
Willem de Kooning, les œuvres romaines de 1959 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Bien venue, cette aisance financière lui permet d’acquérir un terrain dans les Hamptons à Long Island pour y construire un atelier et envisager un séjour sur le vieux continent. Loin du purtitanisme étasunien, vacances romaines dans la ville de La dolce vita que Federico Fellini vient juste de terminer de tourner. Ruth Kligman l'accompagne. Long séjour, du 26 septembre 1959 au 10 janvier 1960. L’artiste italien Afro Basaldella, dit Afro (1912 - 1976) lui prête son atelier de la via Margutta, non loin de la Piazza del Popolo. Découverte in situ de l’art italien qu’il ne connaissait que par les œuvres vues au Metropolitan Museum en compagnie de son ami Arshile Gorky.
N’ayant nulle toile, sans matériel, Kooning entreprend une cinquantaine de peintures à l’huile sur de grandes feuilles, quelques-unes avec des collages de journaux, des vernis noirs, de la poudre de pierre ponce. Des œuvres, Black and White Rome, préparatoires à de nouvelles peintures.
Regard sur l’Extase de sainte Thérèse d’Avila de Gian Lorenzo Bernini vue à Santa Maria della Vittoria, influençant sa série Woman. Regard sur Il Giorno (1526) de MichelAngelo à Florence, à la Sagrestia nuova, chapelle funéraire des Medici, Basilica di San Lorenzo.
Il n’est pas pour le " fare tabula rasa e ripartire da zero " comme le souligne Mario Codognato, co-commissaire, dans le catalogue.
Willem de Kooning, A Tree in Naples, 1960. Huile sur toile. 203,7 x 178,1 cm.. New York, The Museum of Modern Art, The Sidney and Harriet Janis Collection, 1969 // Door to the River, 1960. Huile sur lin. 203,5 x 178,1 cm.. New York, Whitney Museum of American Art. Œuvre acquise grace aux Friends of the Whitney Museum of American Art // Willem de Kooning, Villa Borghese, 1960. Huile sur toile. 203 x 178 cm.. Guggenheim Bilbao Museoa © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Ses toiles, après son retour romain, laissent transparaître plus de lumière, d’espace, de couleur, de fluidité. Deux de celles-ci portent des titres évocateurs de l’Italie : Villa Borghese [couverture du catalogue pour ce prêt du Guggenheim de Bilbao] et A tree in Naples, huiles définies comme des paysages pastoraux abstraits, souvenirs indélébiles de son séjour comme l’est Door to the river. Pour la première fois depuis leur création en 1960, ces trois toiles sont réunies dans une nostalgique évocation de son séjour romain.
Second séjour italien, dix ans plus tard, de juin à fin juillet 1969, invité à participer à la soirée d’ouverture du Festival des Deux Mondes à Spoleto, manifestation autour des arts performatifs musicaux, d’une adaptation de l’Orlando furioso de Ludovico Ariosto mis en scène par Luca Ronconi. Exposition de ses dessins. Mise à disposition d’un atelier. Voyage dolce vita avec sa nouvelle maîtresse Susan Brockman, ce que souligne Mario Codognato dans le catalogue comme il avait noté la présence d’une autre accompagnatrice pour le voyage de 1959. Plus pudibonde, l’encre du co-commissaire Gary Garrels évoquant dans son essai les quatre déplacements italiens de Kooning a omis les compagnes de voyage de l’étasunien d’origine néerlandaise. Comme s’il était seul.
Les bronzes de 1969 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Les bronzes de 1969 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Willem de Kooning, North Atlantic Light, 1977. Huile sur toile. 205,5 x 179,5 cm.. Amsterdam, Stedelijk // Screams of Children Come from Seagulla, 1975. Huile sur toile. 194,6 x 222,3 cm.. Potomac, Maryland, Glenstone Museum // Untitled XX, 1976. 202,5 x 177,5 cm.. Paris, Centre Georges Pompidou, musée national d'art moderne / Centre de création industrielle © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024. Ces trois peintures présentées pour la première fois à Venise sont un renvoi aux reflets de la lumière sur l'eau.
Rome n’étant non loin de Spoleto, de Kooning retourne dans la capitale où il rencontre un ami new yorkais, le sculpteur Herzl Emanuel (1914-2002) ayant créé un atelier de fonderie dans le quartier du Trastevere en 1962. Découverte de cette pratique à laquelle Herzl l’initie ; Willem modèle l’argile, dans une totale liberté de sa main dans cette approche sensuelle de 13 petites sculptures qui seront fondues à Rome, édition à 6 chacune. Elles seront présentées, pour la première fois au Baltimore Museum of Art, à l’été 1972, sous le titre de Beach Scene, puis immédiatement après à la Sidney Janis Gallery, à l’automne intitulées Figure I à Figure XIII.
" Li ho realizzati molto velocemente. Li ho modellati quasi comme si fa con la pasta. Senza guardare… "
Rodin, Iris messagère des dieux, 1894-1895. Bronze. 83,3 x 87 x 36 cm.. Riehen / Bâle, Fondation Beyeler // Willem de Kooning, Man Accabonac [en 1972, cette toile était intitulée Woman], 1971. Huile sur carton. 188 x 91,4 cm.. Collection privée © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Dans un renvoi aux maîtres anciens et contemporain, Iris messagère des dieux d’Auguste Rodin (1894-1895), Ecce Puer de Medardo Rosso (1906) et Femme debout d’Alberto Giacometti (1957), introduisent la salle des Beach Scene.
Willem de Kooning, Clamdifger, 1972. Bronze. D'un tirage à 7 ex. et 3 E.A.. 151 X 63 X 54 cm.. Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Expédiées à New York à Xavier Fourcade, son marchand de la galerie Knoedler depuis 1967, la première réaction de celui-ci est un refus catégorique : " Guarda, sono brutte ". Henry Moore exposé dans cette galerie en avril 1970 le fera changer d’avis. Convaincu, le marchand décide de faire agrandir Untitled #12, quatre fois sa taille originale, confiant cette tâche au praticien David Christian qui travaillait auprès de la fonderie Sculpture Services. Suivront Untitled #2 [Standing figure], Untitled #4.
Ce jeune aide rejoindra l’artiste à East Hamomton, lui préparant les potences, commençant à monter le travail en argile. Il incitera Kooning à manipuler l’argile avec des gants de coton, en plastique. Suivront les créations de Seated Woman on a Beach (1972), Hostess (1973), Clamdigger [Il Pescatore di vongole], Large Torso (1974).
Willem de Kooning, Man Accabonac [en 1972, cette toile était intitulée Woman], 1971. Huile sur carton. 188 x 91,4 cm.. Collection privée // Red man with Moustache, 1971. Huile sur carton. 186 x 91,5 cm.. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024. Ces deux tableaux sont réunis pour la première fois depuis 1984.
Ultime retour à l’été 1972. Court séjour à Spoleto et à Assise où il rencontre Roland Penrose et Lee Miller, le but de son voyage étant de visiter la XXXVIe Biennale où il n’est pas présenté. Venise et l’Accademia des Tiziano, Giorgione, Tintoretto qui lui consacre cette exposition.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Willem de Kooning e l’Italia
17 avril – 15 septembre 2024
Gallerie dell’Accademia di Venezia
Exposition organisée avec The Willem de Kooning Foundation
Commissariat de Maria Codognato et Gary Garrels
Catalogue. 258 pages. 200 illustrations. En version italienne et anglaise. Éditions Marsilio Arte. Imprimées sur du papier couleur et dans un corps de caractères minuscule, les notices sont difficilement lisibles. Prix 50 € (en service de presse).
https://www.gallerieaccademia.it/
Charles Lebrun (1619 – 1690), Il convito del Fariseo, [Le Repas chez Simon le Pharisien avec Marie-Madeleine aux pieds du Christ], ca 1653. Huile sur toile. 386 x 320 cm.. Eglise des Carmélites de la rue Saint-Jacques; envoyé à Venise 1815 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Gallerie dell’Accademia, 2024.
Dans un coin, comme relégué, la Madeleine chez le pharisien de Le Brun que la France céda à Venise en compensation des Noces de Cana (1562-1563) de Paolo Caliari dette Veronese.
Ces Noces se trouvaient dans un lieu connu douloureusement des Vénitiens, celui du cenacolo Palladiano avant qu’elles ne fussent décrochées du réfectoire de cette l’abbaye bénédictine pour être envoyé en 1798, au Louvre, par Bonaparte. Non restituée, après la chute de l’Empire, cette peinture fut échangée contre ce Le Brun, visible dans les Gallerie dell’Accademia, en fin du parcours des salles du bas. Je ne l'y ai pas vue lors de mon séjour vénitien d’avril 2022. En avril 2024, cette toile est de nouveau visible mais accrochée sur un autre mur. Manifestement, ce tableau indispose par cette présentation cachée, "le canard boiteux" de cette institution. Une copie des Noces a été faite pour le réfectoire de San Giorgio Maggiore.