L’amour est un Domino noir - Opéra-Comique
Gilles Kraemer
Angèle de Olivarès (Anne-Catherine Gillet), Horace de Massarena (Cyrille Dubois), chœur les éléments DR Stefan Brion.
Reprise enthousiaste du Domino noir à l’Opéra-Comique, avec ces instants madrilènes, entre la nuit de Noël et les mâtines. Les protagonistes n’ont pas eu une heure de repos.
Un coup de domino jamais n’abolira le hasard du jeu de l’amour, le domino étant l’élément aléatoire et le hasard représentant la possibilité de l’inattendu et de l’inconnu.
Le domino noir, un numéro d’équilibre, celui de l’amour entre Angèle de Olivarès /Anne-Catherine Gillet et Horace De Massarena / Cyrille Dubois, déjà sur le plateau de l’Opéra-Comique en 2018 lorsque cet opéra-comique d’Aubert et Scribe y fut représenté, mise en scène de Valérie Lesort & Christian Hecq, celle la même reprise aujourd’hui.
Brigitte de San Lucar (Victoire Bunel), Comte Juliano (Léo Vermot-Desroches), Angèle de Olivarès (Anne-Catherine Gillet) DR Stefan Brion.
Au Comique, même si amour et hasard sont un jeu de connivences, ce domino n’est nullement ce jeu de pièces en ivoire mais un costume de bal masqué avec un capuchon. Les deux metteurs en scène font allusion à ce jeu lors de l’ouverture dirigée d’une façon dynamique par Louis Langrée dans une osmose intime parfaite avec l’Orchestre de chambre de Paris, pour cette partition mêlant espagnolade de bon aloi - l’action se place dans un Madrid fantasmé - et valse pour signifier un spectacle plein d’entrain dans le ravissement, dès la première note de la musique d’Aubert. Quel plaisir d’écouter ce compositeur auquel Richard Wagner reconnaissait facilité et précision, gracieuseté et hardiesse.
D’Esprit – car c’est l’un des prénoms d’Auber plus connu aujourd’hui comme la station de R.E.R. à deux pas du palais Garnier -, sa partition est pétillante avec des chanteurs qui jouent la comédie – l’œuvre commence par deux longs dialogues délivrant l’argumentaire de cette histoire -, et avec des comédiens qui chantent cette musique.
À l’origine, le livret aurait dû s’appeler Minuit ! ou la Nouvelle Cendrillon dans le rappel au bal, aux douze coups de minuit, à la belle inconnue, à l’histoire de Charles Perrault. Ne manquait que la pantoufle de vair pour cette soirée de Noël des années 1830, commençant dans le palais de la reine d’Espagne. Il est bien loin de la vraisemblance ce bal-masqué donné le jour de la célébration de l’avènement de Jésus dans une Espagne catholique. La régente Marie-Christine de Bourbon-Sicile, mère de reine Isabelle II, âgée de 7 ans (nièce du roi des Français Louis-Philippe), dans l’Espagne des " guerres carlistes ", avait d’autres préoccupations. Cette reine-régente dont il est continuellement fait cas restera invisible, la convention ne permettant pas de faire apparaître un souverain en exercice sur scène.
On peut violer l’Histoire si on lui fait de beaux enfants. Et ce Domino est un beau nouveau-né.
Marie Lenormand (Jacinthe), Gil Perez (Jean-Fernand Setti) DR Stefan Brion.
Pour nous livrer la personnalité de chacun, les costumes de Vanessa Sannino, dans la scène du bal, sont au diapason des protagonistes. L’anglais Lord Elfort / irrésistible et caricatural citoyen de la perfide Albion, Laurent Montel est déguisé en porc-épic, l’hidalgo et célibataire Juliano / Léo Vermot-Desroches, très séducteur et certain de son physique, est un paon toujours prêt à faire la roue au sens littéral, Brigitte De San Lucar / Victoire Bunel, une fleur de pissenlit, couverte d’aigrettes s’envolant au moindre souffle amoureux. Le rêveur Horace arbore un chapeau couvert de papillons et la mystérieuse Angèle est un cygne noir. Le côté comique est poussé à l’extrême dans la connivence entre la boulotte gouvernante de Juliano Jacinthe / Marie Lenormand, au jeu irrésistible, enjouée, comme si elle était montée sur ressorts et son amoureux, un peu gauche et bossu, Gil Perez / imposante basse Jean-Fernand Setti. Les sœurs du couvent des Annonciades et la parfaite manipulatrice Ursule / Sylvia Bergé sont telles des oiseaux avec leurs cornettes.
Si l’on ajoute un cochon rôti continuant à bouger, deux statues dans l’église descendant de leur colonne, des sœurs disparaissant dans les cintres en sonnant les cloches des matines, la mise en scène de Lesort & Hecq fourmille d’inventivité et de justesse sans des " effets de boulevard ". Tout est dans la subtilité et ne s’éloigne pas du livret.
Angèle de Olivarès (Anne-Catherine Gillet), Horace de Massarena (Cyrille Dubois), chœur les éléments DR Stefan Brion.
Les décors de Laurent Peduzzi ajoutent au bonheur du regard de cet opéra-comique, particulièrement celui du premier acte avec l’immense horloge transparente, copie de celle du musée d’Orsay qui fut, en 1900, gare entre Orléans et Paris. Dans le rappel du " surtout pas rater son train ". Ici, rejoindre au plus vite le couvent.
Parfaits dans les habits de Juliano /Léo Vermot-Desroches et Victoire Brunel / Brigitte, l’amie d’Angèle conjuguant ravissement de voix et pétillante allure. Passant de la femme aimée masquée à l’Aragonaise puis à la religieuse, l’Angèle d’Anne-Catherine Gillet éblouit par la virtuosité de sa voix s’adaptant à ses trois rôles. Cyrille Dubois,en Horace, est le parfait jeune homme, fou d’amour, au timbre enchanteur et joyeux, avec des nuances de gravité. Leur duo, lui visible, elle dans les coulisses, dans l’acte du couvent, sur une musique d’orgue, atteint une correspondance de voix d’ange.
Hall de l'Opéra-Comique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, Le domino noir, septembre 2024.
Daniel-François-Esprit Auber, Le domino noir, opéra-comique en trois actes, livret d’Eugène Scribe, créé le 2 décembre 1837 à l’Opéra-Comique (Théâtre des Nouveautés)
Opéra-Comique, Paris - 20, 22, 24, 26 et 28 septembre 2024
https://www.opera-comique.com/fr
Louis Langrée © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, Le domino noir, septembre 2024.
direction musicale Louis Langrée
orchestre Orchestre de chambre de Paris chœur Les éléments
mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq, sociétaire de la Comédie-Française
reprise de la mise en scène en 2024 Laurent Delvert
chorégraphie Glysleïn Lefever
décors Laurent Peduzzi réalisation des marionnettes Valérie Lesort et Carole Allemand
costumes Vanessa Sannino lumières Christian Pinaud concepteur son Dominique Bataille
chef de chœur Joël Suhubiette
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, Le domino noir, septembre 2024.
Angèle De Olivarès Anne-Catherine Gillet, soprano
Horace De Massarena Cyrille Dubois, ténor
Brigitte De San Lucar Victoire Bunel, mezzo-soprano
Comte Juliano Léo Vermot-Desroches, ténor
Jacinthe Marie Lenormand, mezzo-soprano, était sur le plateau en 2018
Gil Perez Jean-Fernand Setti, baryton basse
Ursule Sylvia Bergé, sociétaire de la Comédie-Française
Lord Elfort Laurent Montel, était sur le plateau en 2018
La Tourière Isabelle Jacques, soprano
Melchior Laurent David
Danseurs François Auger, Anna Beghelli, Sandrine Chapuis, Laurent Côme, Mikael Fau, Mathilde Méritet
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, Le domino noir, septembre 2024