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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

envoyé spécial

 

Il suffit d'un battement d’ailes d’un papillon… Il suffit de l’apparition de James McNeill Whistler.

James Abbott McNeill Whistler, Symphony in White, n°2 : The Little White Girl, 1864. Huile sur toile. Tate Britain © Tate Britain.

C’est un artiste qui se forme dans l’atelier de Charles Gleyre, peint avec Courbet, voit son premier envoi au Salon rejeté par le jury, tient la vedette au Salon des Refusés, figure avec Manet au centre de l’Hommage à Delacroix peint par Henri Fantin-Latour en 1864, est l’invité de Monet à l’Exposition internationale de la galerie Georges Petit, réalise le portrait du critique Théodore Duret, collectionne l’art japonais, voit le Portrait de la mère de l’artiste entrer dans les collections nationales en 1891 grâce à l’entremise de Stéphane Mallarmé. Et qui décline l’invitation d’Edgar Degas à participer à la première exposition impressionniste en 1874.

En quelques phrases essentielles, Sylvain Amic, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, brosse brillamment le portrait de James Abbot McNeill Whistler (Lowell, Massachusetts 1834-1903 Londres), peintre américain, vivant à Londres et à Paris, promu officier de la Légion d’honneur seulement deux ans après avoir été nommé en 1889. Rapidité de son " cursum honorum " !

Giovanni Boldini (1842-1931), Portrait de James McNeill Whistler, 1897. Huile sur toile. Brooklyn Museum. Don d’A. Augustus Healy, 09.849.

à droite Jacques-Émile Blanche (1861-1942), Étude pour le portrait de Stéphane Mallarmé et du groupe de la Revue Indépendante, 1889. Huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rouen, musée des Beaux-Arts, 2024.

Boîte de peinture de Whistler, ca 1890. Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, collection Henri Mondor © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rouen, musée des Beaux-Arts, 2024.

Cette rosette, c’est ce point rouge qu’a posé sur son habit de soirée Giovanni Boldini, ce signifiant visible de tous de la position de l’artiste dans la société parisienne. Assis d’une façon désinvolte sur une chaise, tenant son monocle devant l’œil droit, prêt à sortir dans le monde, la canne attribut indispensable du dandy à la main. L’une des cannes en bambou du peintre, à la souplesse d’un fleuret selon le cartel, est présentée dans cette exposition. Objet intime comme l’est sa Boîte de peinture et sa palette se rattachant à Rose et gris : Portrait de Geneviève Mallarmé (20 octobre 1897), peint en une séance de pose - Whistler était coutumier d’une soixantaine de séances, dans l’échelonnement du faire et du défaire - ; cette boîte de couleurs ayant été oubliée chez les Mallarmé. Une peinture en coups de fouet de Giovanni Boldini, cet arrangement en noir et blanc. Comme un pendant d’Arrangement en noir et or : portrait du comte Robert de Montesquiou que Whistler peignit en 1891, le comte tenant la cape de fourrure de sa cousine, la comtesse Greffulhe [non présent à l’exposition].

Salons et cercles de sociabilité © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rouen, musée des Beaux-Arts, 2024.

Otto Wegner, Portrait de la comtesse Henry Greffulhe avec cape doublée d’agneau de Mongolie, ca 1886-1887. Papier albuminé collé sur carton Photo © Palais Galliera.

Sa parente qu’Otto Wegener photographie en 1886, debout, cachée derrière sa cape, les yeux seuls émergeants. Charlus, la duchesse de Germantes, des personnages proustiens, ils sont tous là sous son pinceau scrutateur, mettant à nu le monde. Quel arrangement qualifiant aurait-il trouvé pour Marcel ? Cette question n’aura jamais de réponse, ils ne se rencontrèrent qu’une fois. De l’union des noms de Paul-César Helleu et de Whistler, l’écrivain insomniaque crée Elstir, le peintre idéal d’À la recherche du temps perdu. D’Helleu, le musée Bonnat-Helleu de Bayonne - fermé depuis le printemps 2011 pour des travaux urgents de rénovation – la toiture fuyait - et dont l’ouverture tant attendue est enfin prévue à l’automne 2025 - a prêté le portait de l’épouse du peintre Alice Helleu en robe blanche (ca 1902), un arrangement en blanc et roux, Alice à la longue chevelure rousse comme la présentait le comte Robert. (1)

Paul César Helleu (1859-1927), Alice Helleu en robe blanche, ca 1902. Huile sur toile. Bayonne, musée Bonnat-Helleu  //  Whistler, Rouge et noir : L'Éventail, 1891-1896. Huile sur toile. Glasgow © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rouen, musée des Beaux-Arts, 2024.

Paul Burty Haviland (1880-1950), Florence Peterson assise, ca 1909-1910 (détail). Cyanotype à partir d’un négatif au gélatino-bromure d’argent. Paris, musée d'Orsay Photo © Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Manifestement, la subtile harmonie colorée de la peinture de l’américain, sa grâce et son mystère, la gamme des sensations qu’elle procure selon les qualificatifs des commissaires Laura Valette et Florence Calame-Levert influencent William Rorhenstein Charles Conder (1915), Charles Cottet – Lucien Simon (1907-, Antonio de la Gandara Jean Lorrain (1898), ce " whistlérisme " entrant dans le champ photographique d’Henrich Kühn, Clarence Hudson White, Paul Burty Haviland ou Adolf de Meyer.

Comme Velàzquez, un des maîtres incontestés, a inspiré James pour Arrangement en noir n°3 : Sir Henry Irving en Philippe II d’Espagne (1876-1885) et aussi le bayonnais Léon Bonnat comme le souligne Diederik Bakhuÿs dans son essai Les enfants de Velàzquez.

Aristide Maillol, Tante Lucie, ca 1892. Huile sur toile, traces de crayon. Collection particulière  //  Jean-Pierre Laurens 1875-1932), Portrait de ma mère ou Femme à la chaise longue, 1902. Huile sur toile.  Don famille Laurens, 1975. Rouen, musée des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Rouen, musée des Beaux-Arts, 2024.

Whistler James Abbott Mac Neil (1804-1881), Arrangement en gris et noir n° 1 ou La mère de l'artiste, 1871. Paris, musée d'Orsay © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Jean Schormans.                                     

Pour cette exposition, s’ouvrant sur une salle de portraits féminins de Whistler et de ses contemporains, Orsay a prêté Portrait de la mère ou Arrangement en gris et noir n°1 (1871), mains serrées sur son mouchoir, visage de profil ; c’est cela le coup de génie de cet arrangement avec cette représentation non directe, comme s’il a peur du regard d’Anna Matilda ou que celle-ci ne veuille fixer son fils. Peinture impactant ses contemporains, les caricaturistes et les cinéastes. Face à cette mère, les portraits familiaux de Tante Lucie (ca 1892) d’Aristide Maillol, des mères de Jean-Pierre Laurens (1902), Henry Lerolle (1895) et Paul Leroy (1883).

Si Arrangement en chair et noir : portrait de Duret (1883) n’a pas quitté le Met, cette même institution étasunienne a permis à La Petite Fille blanche ou Symphonie en blanc n°2 (1864), portrait de sa muse et compagne Joanna Hifferman, de revenir en Europe. Il y a une inclination vers Ingres, dans cette nuque dans le reflet du miroir, le posé délicat du bras gauche sur la cheminée, l’abandon de la main droite tenant un éventail japonais. Elle est la couverture du catalogue, enrichi de 21 pertinents essais dont ceux consacrés à l’influence de ce peintre sur ses contemporains, permettant de conclure cette exposition par une peinture de Mark Rothko : Light Red Over Black (1957). Le dialogue James Mark fonctionne-t-il vraiment bien avec cette œuvre, n’offrant pas le recul physique nécessaire et indispensable pour entrer dans les silences de Rothko ?

Whistler James Abbott Mac Neil (1834-1903), Variations en violet et vert, 1871. Huile sur toile. Paris, musée d'Orsay Photo (C) Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt. Le cadre doré, conçu spécialement par l’artiste est recouvert de motifs japonisants et marqué dans le coin supérieur gauche de la signature du peintre, un papillon.

Paul César Helleu (1859-1927), Sur la plage, Dieppe, impression mer grise. Huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts © C. Lancien, C. Loisel / Réunion des musées métropolitains..

(1) Un musée bayonnais en travaux et une Société des amis du musée Bonnat-Helleu très dynamique et poursuivant l’enrichissement du musée par un achat très conséquent financièrement, celui d’un dessin de Théodore Géricault. http://www.lecurieuxdesarts.fr/2023/07/un-dessin-de-theodore-gericault-offert-par-la-societe-des-amis-du-musee-bonnat-helleu-au-musee-bonnat-helleu-le-puzzle-enfin-reconstitue.html

L’exposition James Abbott McNeill Whistler : l’effet papillon est née sous l’impulsion de Sylvain Amic, alors directeur de la Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie.

Elle entre dans le cadre de la 5ème édition du Festival Normandie impressionniste et des 150 ans de l’impressionnisme avec le musée d’Orsay 1874 - 2024, l’institution parisienne ayant prêté 24 œuvres (14 peintures et 10 photographies) dont l’emblématique : Portrait de la mère de l’artiste (1871) considérée une icône outre-Atlantique.

 

James Abbott McNeill Whistler : l’effet papillon

24 mai - 22 septembre 2024

Musée des Beaux-Arts de Rouen  Musée des Beaux-Arts | (mbarouen.fr)

Commissaires : Laura Valette, docteure en histoire de l’art et Florence Calame-Levert, conservatrice en cheffe du patrimoine en charge des collections d’art moderne et contemporain au musée des Beaux-Arts de Rouen [thèse de doctorat, 2020, Le Whistlérisme (1878-1914)]. Commissaires associés : Sylvain Amic et Jean-Baptiste Chantoiseau, directeur du pôle littéraire de la Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie.

Catalogue. 352 pages. 354 illustrations. Éditions SilvanaEditoriale, parfait comme d’habitude dans sa mise en page, un plaisir de lecture. Cahier en anglais à la fin du catalogue. " Chronologie sélective " débutant en 1871. Prix 39 € (en service de presse).

David Hockney également au musée des Beaux-Arts : David Hockney, Normandism (22 mars – 22 septembre 2024. C’est charmant sa galerie des portraits. Plus intéressant ses paysages nocturnes. Dans une confrontation avec les maîtres anciens pas toujours captivante. Commissariat Florence Calame-Levert.

 

 

     

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