Du trouble de The Infinitive Woman - Villa Carmignac
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
Louise Bourgeois (Paris 1911-2010 New York), Spider / Araignée, 1995. Bronze et acier. Musée d'Art moderne de Paris // France-Lise McGurn (1983), I am that party right now, 2024. Peinture murale © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
Miquel Barceló (1957), Alycastre, 2018. Bronze. 3,21 x 2,47 x 2,68 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024. Œuvre permanente, le gardien de l'entrée de la Villa.
Parenthèse enchantée à la découverte de la Villa Carmignac dans l’île de Porquerolles classée Parc national. Jardins naturellement imaginés par Louis Benech. Magie du lieu, de ce bâtiment revu par l’Atelier Marc Barani et l’agence GMMA. Une ancienne maison agricole devenu villa et domaine viticole La Courtade. (1) Domaine dont l’étiquette emprunte à Miquel Barceló sa sculpture en bronze Alycastre, le mythique dragon de Porquerolles terrassé par Ulysse, qui nous accueille dans la cour d’entrée de la Villa.
Janaina Mello Landini, Ciclotrama 50 (Wind), 2018. 20 mètres de corde © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024. Œuvre permanente.
Un rez-de-chaussée et dessous, un immense et incroyable sous-sol - rez-de-jardin auquel l’on accède par un vertigineux escalier sur les murs duquel s’ente l’immense racine en corde Ciclotrama 50 (Wind) (2018) de Janaina Mello Landini. Sous le plafond de verre, prouesse architecturale – dans la souvenance de The Swimming Pool de Leandro Erlich à Kanazawa - au croisement des salles d’expositions, l’inquiétante et protectrice Araignée / Spider (1995) de Louise Bourgeois a élu demeure pour quelques mois. (2)
France-Lise McGurn (1983), I am that party right now, 2024. Acrylique. Co-production Fondation Carmignac et l'artiste dans le cadre de l’exposition The Infinite Woman © L'artiste et la Fondation Carmignac.
Miquel Barceló, Not yet tilled, 2018. Techniques mistes sur toile © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024. Œuvre permanente.
L'environnant, sur les murs I’am a that party right now, œuvre commandée par la Fondation à France-Lise McGurn, des calligraphies dansantes de couleur pastel, des femmes, filles de La Danse en rose du MoMA, de La Danse en rouge de L’Hermitage d’Henri Matisse. Dans la salle à côté, Not yet titled (2018), œuvre de commande à Miquel Barceló, immense vision abyssale que l’on peut regarder allongé tout en lisant Emporte la mer avec toi de David Horvitz posé à côté de cette toile. Pour les non-sachants, ce subtil détail allusionne l'exposition de 2021, La Mer Imaginaire, du commissaire étasunien Chris Sharp puisant son parcours dans cette peinture et la très bruyante Fontaine aux cent poissons (2005) de Bruce Nauman (3)
Embarquement à La Tour Fondue, presqu'île d’Hyères. Quinze minutes de traversée et accostage à l’une des trois Îles d’Or. Selon la légende, Hypaea, l’une des trois filles du prince Olbianus fut transformée en île pour échapper à des pirates s’étant approchés d’elle alors qu’elle se baignait. Déjà les fâcheux " prédateurs mâles "…
Légende parfaite pour une histoire bâtie par la commissaire Alona Pardo : The Infinitive Woman, autour de la représentation de la femme. Thème engagé, surexploité aujourd'hui par les institutions culturelles. Soixante-six noms convoqués, de Miles Aldridge et New Utopias # 2 à Billie Zangewa et son étonnant The Rebirth of the black Venus, un travail de tissus, de soie naturellement mais brute. Esseulés, sept artistes mâles. La parité n’y est pas, n’y est plus, retournement très assumé de l’histoire de l'art revisitée contre le méchant patriarcat du mâle désigné, aujourd'hui, comme catégoriquement dominateur.
Mary Beth Edelson (États-Unis, 1933-2021), Selected Wall Collages, 1972-2011. Impressions offset et laser, marqueur, graphite, stylo correcteur, crayon de cire et paillettes sur papier, monté sur toile. Tate : Acquis grâce aux fonds du Frieze Tate Fund 2017 soutenu par WME | IMG 2018 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
Interroger la présence de la femme artiste dans l’histoire de l’art, souligne pieds nus - obligatoire de visiter les pieds nus cette institution - Charles Carmignac, directeur de la Villa et de Fondation d’entreprise Carmignac Gestion. " Une approche transnationale, intergénérationnelle, globale et inclusive … dans cette déconstruction de l’archétype de la figure de Vénus…" selon la commissaire de l’exposition dont l’on apprend que sa démarche se situe à l’intersection du genre et de la justice sociale et environnementale [dossier de presse].
Sandro Botticelli (1445-1510), La Vierge à la grenade, ca 1487. Tempera et rehauts d’or sur panneau de peuplier. Collection Carmignac © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
Point de départ, La Vierge à la grenade (ca 1487) de Sandro Botticelli, "une interprétation patriarcale de la répartition des rôles entre les sexes, une représentation exaltée qui légitime une féminité obéissante et sexuée " assène la commissaire [dossier de presse]. Dans la main gauche de la Madone une grenade très légèrement entrouverte, que le Sauveur enfant s'apprête à saisir, symbole de la diffusion de la charité et des dons de l’amour généreux lorsque les graines de ce fruit vont se répandre. (4)
Klara Kristalova (1967, Prague), L’âge des feuilles, 2022. Grès émaillé. 82 × 38,5 cm. Épreuve unique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
À côté, Selected Wall Collages, œuvre puzzle de Mary Beth Edelson sur l’infinité des représentations féminines à travers les siècles. Face à la fenêtre, ouverte sur le parc de la Fondation, un grès émaillé de Klara Kristalova. La réinterprétation d’une Daphnée nullement effarouchée à l'approche du mâle dominateur Apollon ? Dans les jardins aux 17 sculptures, l'on retrouve un bronze de cette artiste Blackbird (2010), une jeune fille en équilibre sur des branches.
Mireille Blanc (France, 1985), L’Origine, 2019. Huile et spray sur toile. Collection Suela Cennet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
Dans l’autre escalier descendant vers le sous-sol, judicieusement placée pour ne pas émouvoir quelque " militant.e prompt.e, ignorant.e de l’histoire de l’art " à manifester sa colère, la revisitation de L’Origine du monde du maître d’Ornans selon Mireille Blanc (1985), la carte postale de cette œuvre, collée sur une toile figurant un panier en osier. Même dans le cadre de cette exposition suffisamment explicite sur les questions d’identité, de sexualité, de plaisir et de pouvoir, cette œuvre qui appartint au psychiatre et psychanalyste Jacques Lacan décédé en 1981 - qui le sait encore ? -, pose toujours question de son exposition en public et de sa réception, 158 ans après sa création. Son vandalisme récent au Centre Pompidou Metz en est une nouvelle démonstration. (5)
Pablo Picasso, Le baiser, 1969. Huile et ripoline // Michael Armitage (Kenya, 1984), #mydressmychoice, 2015. Huile sur toile d’écorce de Lubugo. Collection particulière, Londres © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
Accès dans la section des " Plaisirs coupables ", le désir, la violence, le pouvoir, la sexualité, le plaisir, la pornographie, la tension psycho-sexuelle et les manières de regarder. #mydressmychoice (2015) de Michael Armitage (né au Kenya, 1984) dénonce la violence sexuelle faite à une femme de Nairobi par des hommes dont l’on ne voit que les chaussures ; au premier abord une réinterprétation de La Vénus au miroir (1647-1651) de Diego Velázquez (1599- 1660) dont seul le hashtag est révélation de la violence physique. De Marlene Dumas (Afrique du Sud, 1953), Glitter Bra transpire le stupre et le strip-tease comme la photographie de Thomas Ruff (Allemagne, 1958) Nudes ap 14 (2001) captée sur un site Internet pornographique. Naturellement, Picasso ne pouvait être ignoré ; Le baiser (1968) et une Femme nue couchée jouant avec un chat (1964), titre suffisamment explicite dans cette réinterprétation d'Édouard Manet.
Martine Gutierrez (États-Unis, 1989), Joan, 2021, de la série Anti-icon : Apokalypsis. C-print sur Dibond © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
Les " Métamorphoses ", les questions de genre ne pouvaient être absentes. Drag queen très vaporeuse selon Saran Ball, transgenre par le photographe Peter Hujar, Jeanne d’Arc devenue une guerrière transgenre selon la photographe Martine Gutierrez.
Laure Prouvost (1978), Holding as one stain glass fragments, 2020. Vitrail © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024.
Par l’union sexuelle entre une femme et un pieuvre selon Laure Prouvost, le lesbianisme des sirènes selon Sofia Mitsola, dans ce Cabinet secret, dans des eaux troubles, se clôt cette exposition ne laissant pas une once d’instant de douceur. Nulle idéalisation dans la représentation de la compagne de l’homme.
Le Botticelli de La Vierge à l'Enfant à la grenade semble bien loin... Mais, Sandro n'approcha-t-il pas " Le bûcher des vanités " de Girolamo Savonarola un 7 février 1497 ? Et quelques beautés picturales ne partirent-elles pas dans les flammes florentines...
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, été 2024, île de Porquerolles.
(1) Domaine La Courtade, 38 hectares de vigne, en plein cœur de ce Parc national de Port-Cros, naturellement souhaité en biodynamie. Magnum La Courtade rouge excellent et merveilleux en blanc dans sa longue présence.
https://lacourtade.com/boutique#magnums
(2) Musée du XXIe siècle. Kanazawa. Japon https://www.kanazawa21.jp/ https://www.kanazawa21.jp/fr/
(3) https://www.fondationcarmignac.com/fr/la-mer-imaginaire/
Sandro Botticelli (1445-1510) et son atelier, Vierge à l’Enfant à la grenade. Panneau de peuplier, une planche, non parqueté, cintré dans la partie supérieure (anciennement rectangulaire, agrandi dans la partie supérieure) Haut. : 90,5 cm. ; Larg. : 59 cm. (Restaurations anciennes et petits manques). Au revers du panneau, n° 39, n° 3889. [description dans le catalogue]. Paris, Drouot, 29 septembre 2017, société Audap - Mirabaud, Éric Turquin expert. 629 000 € (frais inclus) sur une estimation de 400 / 600 000 €.
(5) https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/05/10/l-origine-du-monde-taguee-a-metz-le-musee-d-orsay-qui-conserve-le-tableau-porte-plainte_6232531_3224.html Prêtée au Centre Pompidou-Metz pour Lacan, l'exposition. Quand l’art rencontre la psychanalyse, l’œuvre de Courbet a été maculée d'un " ME TOO " rouge lundi 6 mai 2024. Heureusement sur la vitre.
The Infinite Woman
27 avril – 3 novembre 2024
Villa Carmignac, île de Porquerolles, au large d’Hyères (Var)
Catalogue avec vues in situ de l'exposition. Co-édition avec l'excellente maison d'éditions Dilecta (non reçu en service de presse)
Commissariat Alona Pardo - Scénographie Alice de Bortoli
https://www.fondationcarmignac.com/fr/
En 2009, Édouard Carmignac crée le Prix Carmignac du photojournalisme afin d’aider les photographes sur le terrain. Chaque année, ce prix soutient la production d’un reportage photographique et journalistique d’investigation sur les violations des droits humains dans le monde et les enjeux géostratégiques qui y sont liés.
E-WASTE IN GHANA : sur la route des déchets électroniques (13ème édition). Équipe composée du journaliste d’investigation anti-corruption et activiste Anas Aremeyaw Anas et des photojournalistes Muntaka Chasant et Bénédicte Kurzen. Exposition Fondation Manuel Rivera-Ortiz, Arles, 1er juillet au 29 septembre 2024
NO WOMAN’S LAND : Un regard intime sur la situation des droits des femmes en Afghanistan (14ème édition). Consacrée à la condition des femmes et des filles en Afghanistan depuis le retour des talibans au pouvoir en août 2021. Le nom des lauréats sera officiellement annoncé et leur travail dévoilé lors du Festival international du photojournalisme Visa pour l’Image - Perpignan, le 5 septembre 2024. Exposition du 25 octobre au 18 novembre 2024 au Réfectoire des Cordeliers, Paris.