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Publié par Gilles Kraemer

Une Armide de Lully dans une retenue scénique – Opéra-Comique

 

Gilles Kraemer

Ambroisine Bré (Armide), Chœur Les éléments  © DR S. Brion.

Histoire identique que celle d'Armide, drame héroïque en cinq actes de Christoph Willibald Gluck (1777) et de la tragédie éponyme en cinq actes de Jean-Baptiste Lully (1686). Le livret de création de Philippe Quinault repris par Gluck, 91 années plus tard, en est le lien, hormis le prologue non inclus car plus dans l’air du temps. Opéra auquel le soutien de Marie-Antoinette ne fut pas indifférent pour l’un, sujet tiré de La Jérusalem délivrée de Le Tasse voulu par Louis XIV pour l’autre. Au moment de sa création, le Soleil, marié secrètement à la dévote Maintenon, n’assistera pas à la représentation. Même livret et identiques maîtres d'œuvre qu'à l'automne 2022 lorsque Armide de Gluck fut donné ici même souligne Louis Langrée, le directeur de cette institution, présentant le chef d'œuvre emblématique de Lully selon Christophe Rousset, le directeur artistique. 

 Ambroisine Bré (Armide), Cyrille Dubois (Renaud) © DR S. Brion.

Une colonne vertébrale pareille à celle de la représentation de 2022, avec les mêmes : chef d’orchestre, metteur en scène, décorateur, créateur de costumes, chef des lumières. (1) Jusque dans les danseurs Fabien Almakiewicz, Mai Ishiwata, Nicolas Diguet, rejoints par Emilio Urbina, Panagiota Kallimani et Rafael Pardillo dans une chorographie de Cláudia de Serpa Soares, dans un esprit louis-quatorzien en grandeur, longueur, langueur, volume, ondulation, mouvement, devenant des vagues avant que Renaud ne s’endorme dans le souffle de Plus j’observe ces lieux et plus je les admire.

Le chœur Les éléments, dirigé par Joël Suhubiette s’impose le long de la représentation, accompagnant avec force Hidraot / Edwin Crossley-Mercer, entourant et soutenant Renaud / Cyrille Dubois, (trop) sollicité par la metteur en scène Lilo Baur dans des mouvements de groupe parfois brouillons. Il sera chaleureusement applaudi au rideau final.   

Ambroisine Bré (Armide), Lysandre Châlon (Ubalde, Aronte), Edwin Crossley-Mercer (Hidraot), Abel Zamora (L’Amant Fortuné), Chœur Les éléments © DR S. Brion

Masqué à l’acte I par d’immense rideaux aux reflets argentés puis dorés selon les lumières, l’imposant et bel arbre hivernal de Bruno de Lavenère réapparait, carrefour autour duquel cette tragédie se déroule. Les cieux, façon Alkis Boutlis, sur lesquels se détache cet arbre, tellement Arbre aux corbeaux de Caspar David Friedrich. Sous la magie des lumières de Laurent Castaingt, l’arbre projette les ombres de ses branches.

Lilo Baur a réglé sa direction autour des acteurs dans la retenue et non dans l’emphase que l’on aurait attendue de cette œuvre du Grand siècle. Elle a souhaité une noblesse des sentiments, une expressivité soignée des protagonistes au détriment de la magie - car Armide est une magicienne -, d’une machinerie propre à nous stupéfier, de l’apparition de monstres nous glaçant les sangs. L’exiguïté matérielle du plateau du Comique n’est pas propice à livrer de tels surgissements de décors pour l’éblouissement de l’œil. Le surnaturel ne fut pas au rendez-vous. Mais, avons-nous besoin, aujourd’hui, de telles dépenses coûteuses comme support des sentiments amoureux ? Les temps sont encore plus ceux de la raison.

Ce choix de la sobriété agréera ou non le spectateur… Surtout avec la noirceur des costumes d’Alain Blanchot. Le rouge du manteau d’Armide apporte un peu de chaleur à ce « noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir ».

Ouverture pétillante mais non dépourvue de majesté de Christophe Rousset, chef et claveciniste, à la tête de Les Talens lyriques, précis tout le long de la représentation dans cette musique énergique de Lully, réceptacle des émotions et des expressivités grandiloquentes. La majesté est dans chaque note, chaque inflexion.

Prologue à la gloire du roi. À la chaleur de La Gloire / Florie Valiquette répond à la voix enveloppante de La Sagesse / Apolline Raï-Westphal, accompagnées de toute la pompe du chœur chantant les glorieux exploits du héros.  

 Enguerrand de Hys (Artémidore, Le Chevalier danois), Lysandre Châlon (Ubalde, Aronte), chœur Les éléments © DR S. Brion.

Edwin Crossley-Mercer, dans les habits d’Hidraot, laisse transparaître toute la noblesse qui accompagne ce souverain de Damas lorsqu’il incite Armide à trouver époux ; l’on sent poindre dans ses intonations des sanglots lorsque celle-ci ne souhaitera pas l’écouter. Anas Séguin est l’implacable Haine convoquée par Armide, sombre et grave dans toute la brutalité et la véhémence qu’il distille; impressionnant de présence physique ce baryton. Artémidore puis Chevalier danois, Enguerrand de Hys (déjà présent chez Gluck) n’est plus une découverte mais affirmation de ce ténor, à la voix bien placée. Révélation de Lysandre Châlon dans le double rôle d’Aronte et d’Ubalde. Abel Zamora concrétise toutes les qualités d’un artiste en résidence à l’Académie de l’Opéra-Comique de cette saison 2023-2024. Remarqué il y a quelques semaines, ici même dans Pulcinella, sa courte interprétation de L’Amant fortuné affirme ses qualités de chant et de présence. (2)

 Ambroisine Bré (Armide), Cyrille Dubois (Renaud) © DR S. Brion

Cyrille Dubois / Renaud est tout dans l’expressivité que l’on attend de ce héros dans Plus j’observe ces lieux et plus je les admire, long et soutenu déploiement de sa voix. Rôle-titre, Ambroisine Bré d’une voix rageuse laisse éclater sa haine à l’égard du croisée contrebalancée par les instants d’amour qu’il instille en elle.-même. Sa forte présence et sa prégnante implication pallient un prononcé parfois trouble. 

Une représentation bien accueillie.

Abel Zamora et Enguerrand de Hys, côté jardin. Lysandre Châlon, côté cour. Armide © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, printemps 2024

(1) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/11/veronique-gens-la-magique-armide-de-gluck-opera-comique.html

(2) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2024/03/l-amour-en-montant-l-escalier-ou-n-oubliez-pas-d-etre-a-l-heure-pulcinella-l-heure-espagnole-a-l-opera-comique.html

Armide, tragédie en musique en cinq actes et un prologue de Jean-Baptiste Lully, livret de Philippe Quinault d’après La Jérusalem Délivrée du Tasse. Créée à l’Académie royale de Musique le 15 février 1686

17, 19, 21, 23 & 25 juin 2024 – Théâtre nationale de l’Opéra-Comique https://www.opera-comique.com/fr

Les Talens Lyriques sous la direction de Christophe Rousset

Chœur de chambre Les éléments sous la direction de Joël Suhubiette

Mise en scène Lilo Baur

Cláudia de Serpa Soares, chorégraphie  -  Bruno de Lavenère, scénographie

Alain Blanchot, créateur des costumes  -  Laurent Castaingt, lumières

Armide Ambroisine Bré  mezzo-soprano

Renaud Cyrille Dubois  ténor

Hidraot, l’oncle d’ArmideEdwin Crossley-Mercer  baryton-basse (même rôle dans Gluck)

La Haine Anas Séguin  baryton

Aronte / Ubalde  Lysandre Châlon  baryton-basse

Artémidore / Le chevalier danois Enguerrand de Hys  ténor (même rôle dans Gluck)

Gloire / Sidonie / Lucinde / La bergère Florie Valiquette  soprano (Sidonie / Bergère dans Gluck)

Sagesse / Phénice / Mélisse / La nymphe Apolline Raï-Westphal  soprano  (Phénice / Lucinde / Plaisir / Naïade dans Gluck)

L’amant fortuné Abel Zamora  ténor (membre de l’Académie Favart de l’Opéra-Comique, saison 2023/2024)

Armide © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra-Comique, printemps 2024.

 

 

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