L’amant de la forêt, Théodore Rousseau– Petit Palais, Paris
Gilles Kraemer
Si je parviens, par l’assimilation de l’air et de la lumière, à donner la vie générique à ce monde de la végétation, alors vous y entendrez les arbres gémir. Théodore Rousseau, 1872.
Théodore Rousseau (Paris, 1812 – 1867, Barbizon), Le Pavé de Chailly, 1840-1850 (détail). Huile sur bois. 24,8 x 39,2 cm.. Barbizon, musée départemental des Peintres de Barbizon © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, 2024.
Dans l’air du temps, fleurant l’écologie, Voix de la forêt qualifie l’exposition que le Petit Palais consacre au peintre de la nature Théodore Rousseau (1812 -1867).
Pourquoi, aujourd’hui, Rousseau, s’interroge Annick Lemoine, co-commissaire de cette exposition consacrée au chantre de la forêt de Fontainebleau. Inconnu. Connu. Mais oublié. A ne pas confondre avec l’autre Rousseau, Jean-Jacques, attiré également par la nature, porté par ses rêveries d’un promeneur solitaire. Promeneur, Théodore l’est aussi lorsqu’il parcourt les bois de Fontainebleau.
Il était grand temps d’exposer ENFIN Rousseau. Dernière exposition en France, consacrée à Théodore, celle très confidentielle à l’hiver 2013 au musée d’Art et d’histoire de Meudon : Théodore Rousseau, le renouveau de la peinture de paysage réunissant une quarantaine d’œuvres après celle du Louvre à l’automne… 1967, pour le centenaire de sa mort ! (1)
L'exposition au Getty Museum, à l’été 2016 puis à Copenhague permettra le (re)surgissement de la mémoire de cet oublié, de ce peintre maudit, rebelle, refusé, celui qui révolutionne le paysage poursuit Annick Lemoine. Moderne et expérimental, brouillant toutes les frontières, la nature est son refuge, son combat.
Un écologiste avant l’heure. Sait-on, questionnement autour de laquelle s’ordonne cette exposition réunissant 60 œuvres de ce contemplateur de la nature, auxquelles s’adjoignent quelques œuvres de ses contemporains, qu’en 1852, avec le critique Alfred Sentier il rédige une pétition de défense de la forêt adressée au duc de Morny ? Une lettre au nom de l’art car l’on détruit un sujet de peinture par des coupes massives d’arbres précise Servane Dargnies-de Vitry, co-commissaire. Démarche positive par la concrétisation, en 1853, de la création de forêts protégées puis en 1861 par l’institution de « réserve artistique » de la forêt de Fontainebleau. Première réserve naturelle du monde, voyant le jour 11 ans avec la création du parc national étasunien de Yellowstone !
Théodore Rousseau (Paris, 1812 – 1867, Barbizon), Le Massacre des Innocents ou Abattage d’arbres dans l’île de Croissy, 1847. Huile. La Haye, De Mesdag Collectie © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, 2024.
Adieu Le Massacre des innocents ou Abattage d’arbres dans l’île de Croissy comme il nomme une de ses toiles en 1847, cette nature dont il appréhende les arbres telle sa famille, une empathie qu’il souhaite transmettre au regardeur. Plaçant l’homme dans cette immensité du végétal. Dans une prise de conscience du patrimoine naturel.
Le parcours institutionalisé de l’artiste au XIXème siècle, entre Prix de Rome, Salon - où il ne fera son retour qu’en 1849, après treize années d’absence -, École des beaux-arts avec la consécration de l’Institut, il ne le souhaite pas.
De son refus du paysage classique, naîtra une ré-invention du paysage, d’un paysage sensible, non recomposé en atelier. Le motif.
Théodore Rousseau (Paris, 1812 – 1867, Barbizon), Le Mont-Blanc, vu du col de la Faucille. Effet de tempête, commencé en 1834. Huile. Copenhague, Ny Carlsberg Glytotek © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, 2024.
Sa peinture, il va la chercher jusqu’à la pointe de son pinceau avec Le Mont-Blanc, vu de la Faucille. Effet de tempête commencé en 1834.
Théodore Rousseau (Paris, 1812 – 1867, Barbizon), L’Allée des châtaigniers, 1837-1841. Huile. Paris, musée du Louvre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, 2024.
Son Allée des châtaigniers, refusée au Salon de 1841, se perçoit telle la nef d’une cathédrale, nous incitant à faire corps avec la nature dans cette immensité du végétal, voire à y trouver une compassion pour la fragilité de la nature.
Théodore Rousseau (Paris, 1812 – 1867, Barbizon), Le Pavé de Chailly, 1840-1850. Huile sur bois. 24,8 x 39,2 cm.. Barbizon, musée départemental des Peintres de Barbizon © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, 2024.
Sans lui, pas d’impressionnisme car il a révolutionné le paysage. Pavé de Chailly (1840-1850) annonce la peinture éponyme de Claude Monet (ca 1865).
Théodore Rousseau (Paris, 1812 – 1867, Barbizon), Groupe de chênes, Apremont, Exposition universelle de 1855. Huile. Paris, musée du Louvre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, 2024.
Dans le cadre d’une exposition qui parle d’écologie, souligne Annick Lemoine dans la préface du catalogue, nous avons souhaité faire des efforts tout particuliers en termes de réemploi et d’utilisation de matériaux pour la scénographie [de Violette Cros]. Et seulement deux œuvres ont emprunté un vol transatlantique, l’une venue du Toledo Museum of Art (Ohio), l’autre de la collection Jon Landau (New York).
(1) Théodore Rousseau 1812-1867, musée du Louvre, Paris. 29 novembre 1967 - 12 février 1968.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Petit Palais, 2024.
Théodore Rousseau. La voix de la forêt
5 mars - 7 juillet 2024
Petit Palais, musée des Beaux-arts de la ville de Paris
Commissariat : Annick Lemoine, conservatrice générale du patrimoine, directrice du Petit Palais, commissaire générale ; Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice peintures au musée d’Orsay, commissaire scientifique [elle fut en poste au Petit Palais de juillet 2019 à septembre 2022].
Catalogue. " Théodore Rousseau est le témoin sensible et engagé de la mutation du rapport de l’homme à la nature, dans un siècle marqué par les découvertes scientifiques, la révolution industrielle et l’exode rural. " Textes de Sandra Buratti-Hasan, Servane Dargnies-de Vitry, Dominique de Font-Réaulx, Chantal Georgel, Simon Kelly, Edouard Kopp, Asher Miller, Michel Schulman, Renske Suijver, Greg M. Thomas, Pierre Wat. 208 pages, 139 illustrations. Prix 35 € (service de presse). [détail d'Arbre dans la forêt de Fontainebleau, 184.-1843. Londres, Victoria and Albert Museum].
Après "Les Bas-fonds du Baroque, la Rome du vice et de la misère", en 2015 [Commissariat : Francesca Cappelletti, professeur à l’université de Ferrare ; Annick Lemoine, chargée de mission pour l’histoire de l’art à l’Académie de France à Rome - Villa Médicis, maître de conférences à l'université Rennes 2 ; Christophe Leribault, directeur du Petit Palais. Exposition conçue et organisée en collaboration par l’Académie de France à Rome – Villa Médicis et le Petit Palais]. http://www.lecurieuxdesarts.fr/2014/12/les-bas-fonds-du-baroque-la-rome-du-vice-et-de-la-misere-i-bassifondi-del-barocco-la-roma-del-vizio-e-della-miseria-entretien-avec-e
et "Luca Giordano (1634- 1705), le triomphe de la peinture napolitaine", en 2019-2020 [Commissariat : Christophe Leribault, directeur du Petit Palais ; Sylvain Bellenger, directeur du Museo e Real Bosco di Capodimonte ; Stefano Causa, professeur à l'Università degli Studi Suor Orsola Benincasa, Naples ; Patrizia Piscitello, responsable du département des expositions et des prêts du Museo e Real Bosco di Capodimonte]
le Petit Palais présente la première rétrospective française consacrée à José de Ribera : Ribera. Ténèbres et lumière. 04 novembre 2024 - 23 février 2025. [Commissariat général : Annick Lemoine, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du Petit Palais . Commissariat scientifique : Maïté Metz, conservatrice des Peintures et Arts graphiques anciens au Petit Palais.]