Les artistes parlent aux fleurs - Giverny
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
Lawrence Alma-Tadema, Les Roses d'Héliogabale, 1888. Huile sur toile, 132,7 x 214,4 cm.. Mexico, collection Pérez Simón, 10304 © Studio Sébert Photographes.
Une exposition sur les fleurs ? Quel sujet rebattu… Il est vrai que le thème est pléthorique et peut susciter lassitude, confusion ou étonnement. Alors imaginer une exposition sur les fleurs à Giverny pouvait paraître risqué soulignent Cyrille Sciama et Valérie Reis, les commissaires de cette exposition, le rendez-vous de cet automne et début d’hiver, avec la représentation des fleurs, qu’elle soit historique, symbolique, religieuse, politique, avec le focus très large de la représentation de la fleur chez les impressionnistes puisque nous sommes à Giverny.
Ai Wei Wei, Corbeille de vélo avec fleurs, 2015. Porcelaine. Berlin, galerie Neugerriemschneider © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2023, Giverny.
Succombant à la dérive de l’anglomanie pour une exposition en France, le titre hippie Flower Pover - l’on a échappé à un Flower Pover in Peace and Love ! - est emprunté à la section «politique» du parcours, juxtaposant des robes de cocktail d’Yves Saint-Laurent, des Flowers d’Andy Warhol, un ensemble pour femme du néerlandais Dick Holthaus en regard de la photographie de Marc Riboud La jeune fille à la fleur (1967) et une porcelaine de l’incontournable et éternel dissident chinois Ai Weiwei Corbeille de vélo avec des fleurs. Le catalogue et les cartels détaillés sont une bouée de secours pour le béotien de l’art actuel pour décrypter cette œuvre synonyme de la «protestation pacifique et silencieuse» qui devient politique comme ils le sont encore plus utiles pour la composition florale Accord sur un gouvernement d’union nationale palestinien. La Mecque, Arabie Saoudite, 8 février 2007, photographie de Taryn Simon renvoyant «à la signature d’un accord sur un gouvernement d’union nationale palestinien par des représentants du Hamas et du Fatah.». Les autres œuvres, présentées dans cette exposition d’environs 120 numéros, se comprennent plus aisément. Heureusement…
Désarroi d'Apollon soutenant le corps sans vie de Hyacinthe aimé de lui. De son sang, le dieu du soleil fera naître une fleur rouge, la jacinthe. La mort d'Hyacinthe, 1801, Jean Broc (1771-1850), musée Sainte-Croix, Poitiers. Au premier plan, Narcisse d'Ernest-Eugène Hiolle, 1868, plâtre, Lille, Palais des Beaux-arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2023, Giverny.
Commençant avec l’évocation de la littérature, Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire, deviennent capiteuses ou oniriques sous le regard de Manuel Orazi ou d’Odilon Redon. Mort et tragédie surgissent. Ophélie d’Ernest Hébert se noie dans une rivière en communion avec la nature, Cléopâtre essayant des poisons d’Alexandre Cabanel, tient des fleurs de lotus synonymes de parures funéraires, fleurs que l’on retrouve dans le parcours avec des statues égyptiennes ou, dans un caractère éminemment décoratif, sur des porcelaines chinoises du XVIIIème. La mort d’Hyacinthe de Jean Broc, magnifique prêt du musée Sainte-Croix de Poitiers et l’extraordinaire Roses d’Héliogabale de Lawrence Alma-Tadema, sont œuvres de grande force. Homoérotisme masqué pour l’une, dénonciation à travers cette pluie de roses étouffant les convives romains de la dépravation de la société britannique pour l'autre ; les épines des roses sont mortelles.
Panneau de revêtement aux vases fleuris, Syrie, 1585-1615. Paris, musée du Louvre // Yaksbi, Inde, II-Ier siècle av. J.-C.. Paris, musée Guimet // Vierge à l'enfant, sud de la Champagne, 1er quart du XVIe siècle, Paris, musée de Cluny © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2023, Giverny.
Papaver Somniferum, Pierre-Joseph Redouté, crayon graphite et aquarelle sur vélin, musée de la Vie romantique © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2023, Giverny.
Cycle éternel de la fleur mourant et renaissant l’année suivante, dans un renvoi à la religiosité de la renaissance, une terre cuite indienne avec des fleurs (IIe - Ier siècle av. J.-C.) dialogue avec une Vierge à l’enfant champenoise et Jésus dans un encadrement de fleurs de l’entourage de Monnoyer, interrogation sur les religions et leurs transcendances permettant d’aller vers d’autres mondes. Elle peut revêtir la préciosité des vases d’Émile Gallé ou des faïences d’Iznik, la transparence d’un bouquet de pavots ou Papaver Somniferum de Pierre-Joseph Redouté, crayon graphite et aquarelle sur vélin, prêt du musée de la Vie romantique. Narcisse de Caravaggio (1597-1599) du Palazzo Barberini, La Licorne dans un jardin, tapisserie (1495-1505) du Met Cloisters comme Parterre de fleurs en Hollande et Tournesols de Vincent van Gogh n’ont pas fait le voyage givernois même s’ils sont reproduits dans le catalogue, dans une correspondance judicieuse.
Henri Fantin-Latour, Chrysanthèmes dans un vase, 1873. Huile sur toile, 62,7 x 54 cm.. Paris, musée d'Orsay, doation Philippe Meyer // Eugène Delacroix, Bouquet champêtre, ca 1850. Huile sur papier marouflé sur toile, 62 x 87 cm.. Lille, Palais des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2023, Giverny.
Odilon Redon, Bouquet de fleurs, sans date. Huile sur toile, 27,4 x 19,3 cm.. Musée d’art et d’archéologie de Guéret © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2023, Giverny
Section des impressionnistes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2023, Giverny.
Prêts de nombreux musées provinciaux - Odilon Redon, Bouquet de fleurs, venu du musée d’art et d’archéologie de Guéret fermé pour des travaux de rénovation depuis 2018, espérons que sa réouverture soit plus rapide que celle du musée Bonnat-Helleu de Bayonne fermé depuis 2011 - la toiture fuyait - dont la réouverture aux dires de l’édile est fixée en … 2025 - et de musées parisiens. Quelle richesse ce long déroulé, initié par Delacroix, continué par Eugène Boudin, Henri Fantin-Latour et la délicatesse de ses Chrysanthèmes dialoguant avec ceux de Gustave Caillebotte ou de Claude Monet. Avec des Cézanne. Et Fleurs dans un vase de cristal d’Édouard Manet d’Orsay, œuvre synthétique de cet immense peintre.
Kehinde Wiley, Portrait of a Florentine Nobleman III, 2019 [détail] Huile sur toile. Munich, collection Vilsmeier - Linhares © Kehinde Wiley, courtesy of the artist and Stephen Friedman Gallery, London © Munich, collection Vilsmeier – Linhares.
De Kehinde Wiley, le Portrait d’un noble Florentin III, dans un cadre royal, non doré mais dans la noirceur d’un cadre hollandais, dans une pose maniériste façon Francesco Salviati, ouvre le XXIème siècle, dans cette référence à l’art moderne.
Flower Power
29 septembre 2023 - 7 janvier 2024
musée des impressionnismes Giverny en collaboration avec la Kunsthalle de Munich.
Commissariat de Cyrille Sciama, directeur général du musée des impressionnismes Giverny et Valérie Reis, chargée des expositions au musée des impressionnismes Giverny.
Catalogue sous la direction de Cyrille Sciama et Valérie Reis. Contributions de Serena Bucalo-Mussely, Adeline CollangePerugi, Philippe Comar, Alice Coulon-Saillard, Charlotte Fauve, Stéphane Guégan Sur trois phrases de Baudelaire autour de Delacroix, Courbet et Manet, Valérie Reis et Cyrille Sciama. 255 pages. Le choix d'un papier rose pour la liste des œuvres exposées ne facilite pas la lecture. Éditions Réunion des musées nationaux Grand Palais. 39 € (service de presse RMN).
L'exposition Flowers Forever in Art and Culture à la Kunsthalle de Munich (3 février - 27 août 2023) insistait sur des a part belle à des œuvres allemandes et autrichiennes.