Bonsoir mémoire et bonsoir souvenirs. La Villa Dufraine

Gilles Kraemer

Depuis 1937, par la générosité de Louis Dufraine, l’Académie des beaux-arts possède la Villa Dufraine, dite aussi des Pinsons, à Chars (Val d’Oise). Celle-ci a accueilli, en 2023, une première promotion de jeunes artistes, conformément au projet développé par Jean-Michel Othoniel, membre de l’Académie et directeur de la Villa depuis 2021. (1)

Christophe Tabet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2023, hôtel de la Monnaie de Paris.

L’exposition Bonsoir Mémoire, à la Monnaie de Paris, présente les artistes de cette résidence, sous l’incipit formulé par le très jeune commissaire Lou-Justin Tailhades : Tout ce que je veux par-dessus tout oublier mais dont il faut absolument que je me souvienne.

Jean-Michel Othoniel & Françoise Docquiert © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2023, hôtel de la Monnaie de Paris.

Présentant cette exposition, Jean-Michel Othoniel souligne que partant de la problématique « comment construire un programme de résidence », nous avons pris à l’envers cette interrogation en posant le postulat d’une exposition. Très présent chez les jeunes artistes, le collectif m’a encouragé à élaborer un programme ayant pour destination cette exposition construite par les résidents eux-mêmes au fil des huit mois de leur séjour sur place. Il est accompagné dans le suivi de ce programme, par Françoise Docquiert, correspondante de la section de sculpture à l’Académie des beaux-arts.

Autour de 9 artistes - ayant déjà un parcours et des expositions dans des institutions -, de Mathilde Rossello Rochet (1994) à Sarah Konté (1993), artiste multidisciplinaire queer, le concept de l’exposition Bonsoir Mémoire explore l’importance du langage, de la mémoire et du souvenir dans la création d’aujourd’hui ; toutes les techniques sont les bienvenues précise le commissaire. Jusqu’à revendiquer l’olfactif souligne-t-il, avec l’odeur du savon dans Tout public de Maxime Bagni (1997), des objets faits en savon et disposés dans une armoire vitrine. Celle de la senteur du curcuma appliqué sur les murs du couloir présentant une quinzaine d’interventions de Pierre-Alexandre Savriacouty (1993), des récupérations de matériaux dans la volonté de les sublimiser autour de l’idée de pétrification. Un fluide traverse mes œuvres ajoute cet artiste qui a bénéficié d’une résidence d’un mois à Chicago dans le cadre de la Villa Albertine en 2022.

Une bande sonore, création spécifique d’Alban Jacquin et Céline Bouscarle, mêlant pendant 40 minutes, huit morceaux de musique et des textes lus, nous accueille.

Lou-Justin Tailhades & Jordan ~~Roger~~ © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2023, hôtel de la Monnaie de Paris.

Christophe Tabet © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2023, hôtel de la Monnaie de Paris.

De Jordan ~~Roger~~ (1996) (il a barré son nom, rompant ainsi tous liens avec sa famille dont les membres sont témoins de Jéhovah), nous avions repéré son travail à la 14^ème édition de la Biennale de la jeune création, organisée par le centre d’art La Graineterie à Houilles à l’automne 2022, dans sa ludique installation Burn them all, un château de princes et de princesses, rappel incisif de l’univers Disney. (2) De ses deux œuvres exposées : une broderie Hell Soon et une vidéo Nous remontions les rivières ensemble autrefois, il les présente telles des thérapies, un "dé-baptême". Tirer un trait. Une vidéo puissante, mêlant jeux vidéo, textes et films familiaux. Force aussi des vidéos, telles des performances, d’Halveig Villand autour de la construction-déconstruction d’une coupe de cheveux et du travail autour de l’argile. Hatice Pinarbaşi (1993), dans l’évocation du nomadisme et de l’hospitalité avec un sol couvert de tapis divers évoquant une micro utopie de pays s’unissant, sur les murs des tissus trempés dans de l’eau ferrugineuse dans un renvoi à des vertus curatives. Christophe Tabet (1995) autour de la lumière de Baal et de moulages de monuments détruits de Sature dans l’histoire de la guerre civile libanaise (1975-1990).

Agathe Bourrée © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2023, hôtel de la Monnaie de Paris.

Répondant au désir des artistes et du commissaire de conserver la mémoire, la graphiste Agathe Bourrée a suivi leur résidence, élaborant le catalogue avec eux. La maquette de son « chemin de fer » est présentée, en attendant la parution du catalogue avec les photographies in situ de l’exposition.

Jean-Michel Othoniel, Françoise Docquiert, Lou-Justin Tailhades et les artistes en résidence à la Villa Dufraine - Académie des beaux-arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, novembre 2023, hôtel de la Monnaie de Paris.

Qui peut encore soutenir que l’Académie des beaux-arts est académique ? Dans un regard sur l’art actuel, cette institution soutient la jeune génération sous la volonté affirmée de Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel depuis février 2017. Et lui apporte un soutien financier. Modernité sous la baguette vigoureuse de ce compositeur et chef d’orchestre aimant à rappeler que académie ne veut pas dire académisme et que être à l'Académie, c'est un engagement aussi bien pour les académiciens que pour les correspondants.

La politique d’accueil d’artistes en résidence menée par cette institution, sur les sites qu’elle possède ou qu’elle gère directement (Villa Dufraine, Bibliothèque et Villa Marmottan, ateliers de la Cité internationale des arts) ou qu’elle soutient (Casa de Velázquez, Villa Médicis, Villa Albertine, Château de Lourmarin etc.), représente un investissement financier annuel de l’ordre de 1 160 000 euros. Le sait-on ? Pas assez.

(1) Jean-Michel Othoniel élu directeur de la Villa Les Pinsons Jean-Michel Othoniel élu directeur de la Villa Les Pinsons

(2) Biennale de la jeune création à La Graineterie - Artais Artcontemporain (artais-artcontemporain.org)