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Publié par Gilles Kraemer

Ingres, prince de Chantilly, parmi les princes d’Orléans

Gilles Kraemer

De la gauche vers la droite. Julie Forestier (Paris, 1782 – Choisy-le-Roi, 1853), d’après Ingres Copie de l’Autoportrait d’Ingres à l’âge de vingt-quatre ans, 1807. Toile. 65 x 53 cm.. Montauban, musée Ingres  //  J. A. D. Ingres, Autoportrait à l’âge de vingt-quatre ans, 1804, puis modifié entre 1841 et 1851. Toile. 77 x 61 cm.. Chantilly, musée Condé © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

In situ, le début et la fin de l'exposition. Au premier plan, Charles Marville (Paris, 1813 - 1879), Autoportrait d’Ingres à l’âge de vingt-quatre ans, ca 1849 - 1851. Photographie positive à partir d’un négatif verre au collodion humide. Paris, Bibliothèque nationale de France  //   J. A. D. Ingres, Louise, princesse de Broglie, future comtesse d’Haussonville (1818 - 1882), 1845. New York, The Frick Collection  //  © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

Jean Auguste Dominique Ingres, "festina lente" ! Son Autoportrait à l’âge de vingt-quatre ans, peint en 1804, éreinté de remarques acerbes au Salon de 1806 alors qu’il était pensionnaire à l’Académie de France à Rome, il le retravaillera, le reprenant et le transformant 45 ans plus tard. La présentation de la copie (musée de Montauban), effectuée en 1807 par sa fiancée Julie Forestier, permet pour la première fois cette confrontation, dans un jeu des sept erreurs : suppression du geste de l’artiste frottant un chiffon sur une toile, manteau gris remplacée par un élégant carrick, chemise blanche, position des mains, changement du format, monochromie de bruns. Il le présente à l’Exposition universelle de 1855. Succès. (1)

J. A. D. Ingres, Stratonice, ou La maladie d’Antiochus, 1840. Toile. Chantilly, musée Condé © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

De la gauche vers la droite. J. A. D. Ingres, Stratonice, ou La maladie d’Antiochus, 1840. Toile. Chantilly, musée Condé  //  J. A. D. Ingres & Raymond Balze (Rome 1818 - Paris, 1909), Antiochus et Stratonice, 1866, répétition inversée avec variantes. Graphite, aquarelle, gouache et huile sur calque marouflé sur toile. Montpellier, musée Fabre © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

De la gauche vers la droite. J. A. D. Ingres, Œdipe explique l’énigme du Sphinx, 1806 et 1827. Toile. Paris, musée du Louvre  //  D’après J. A. D. Ingres, Œdipe et le Sphinx, 1829. Toile marouflée sur bois. Angers, musée des Beaux-Arts  © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

"Festina lente", perfectionniste Ingres (1780 Montauban - Paris 1867). Stratonice ou La Maladie d’Antochius, sujet pensé dès 1801 après qu’il eut assisté à une représentation de l’opéra éponyme d’Étienne Nicolas Méhul (1763-1817), est peint pendant son premier séjour italien entre 1806 et 1820 ; cette toile a aujourd’hui disparu. Ferdinand Philippe, duc d’Orléans lui commanda ce même sujet comme tableau en 1834. Nullement Luca Giordano, le "Luca fa presto" du Seicento mais plutôt "Domenico fa lentamente". Tardant à livrer Stratonice, le duc se porta, en 1839, acquéreur d’Œdipe expliquant l’énigme du Sphinx [avec des seins, plutôt une sphinge] (1808 et 1827), aujourd’hui au Louvre. Commencé au cours de son second séjour romain, lors de son directorat à l’Académie de France, Stratonice fut terminé en juillet 1840. Avec l’aide de ses deux élèves Paul et Raymond Balze et celle de l’architecte Victor Baltard, Prix de Rome qui concevra entre octobre 1836 et septembre 1838 l’architecture et l’ornementation pompéien - joli anachronisme de lieu de cette histoire se déroulant au IIIème siècle avant J.-C. - (2).

Jacques Louis David (Paris, 1848 - Bruxelles, 1825), Érasistrate découvrant la cause de la maladie d’Antiochus, 1744. Toile. Paris, Beaux-Arts de Paris © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

À Chantilly, à côté de Stratonice, est présenté ce même sujet peint par David, le maître d’Ingres, qui lui permettra de remporter le Prix de Rome en 1774. "La belle silencieuse", comme la dénomme Georges Vigne dans son essai du catalogue, est le motif d’une répétition inversée - musée Fabre, Montpellier - peinte par Ingres et Raymond Balze en 1866. Ingres reprendra par cinq fois ce sujet. (3)

Ces deux peintures de l’éternel insatisfait sont conservées à Chantilly, au musée Condé. La première, acquise par le duc d’Aumale en 1879 de la collection Frédéric Rousset. La seconde, vendue en 1853, par Hélène de Mecklembourg-Schwerin, veuve de Ferdinand d’Orléans, sera acquise en 1863 par Aumale. Toutes les deux achetées en souvenir de son frère Ferdinand. Ces deux peintures participent de l’exposition organisée par Chantilly : Ingres. L’artiste et ses princes, dont l’idée germa en mai 2014.

J. A. D. Ingres, Virgile lisant L’Énéide devant Auguste, Octavie et Livie ou Tu Marcellus eris, 1819. Toile. Bruxelles, musée royaux des Beaux-Arts de Belgique [resté dans l’atelier d’Ingres et acquis en 1867 par les musées royaux de Belgique, ce tableau serait celui commandé en 1847 par le duc de Montpensier © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

Comme le soulignent les commissaires Mathieu Deldicque, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Condé et Nicole Garnier-Pelle, conservatrice générale du patrimoine – elle fut en poste à Chantilly pendant 30 ans -, paradoxalement, il n’y a jamais eu d’exposition Ingres au château de Chantilly qui possède cinq chefs d’œuvres picturaux de cet artiste [et un dessin L’archange Raphaël porte vers Dieux les prières des hommes, 1844, pour le vitrail de la chapelle Notre-Dame-de-la-Compassion, acquis par Aumale en 1882]. L’idée de ses liens picturaux avec les princes d’Orléans a germé ici. Antoine, duc de Montpensier lui commanda, en 1847, une réduction de Virgile lisant l’Énéide devant Auguste, Octavie et Livie (Bruxelles).

J. A. D. Ingres, de la gauche vers la droite. Paolo et Francesca - Toile. Birmingham, The Barber Institute of Fine Arts  //  1814. Bois. Chantilly, musée Condé // Toile. Glens Falls (NY) © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

De la gauche vers la droite. J. A. D. Ingres, La Source, 1856. Toile. Paris, musée d’Orsay  //  Vénus anadyomène, 1808 – 1848 [avec une reprise en 1822]. Toile. Chantilly, musée Condé © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

A côté de ces deux peintures de Chantilly, sont présentés : Paolo et Francesca (1814), peint sur bois à la manière des primitifs italiens, ex-collection Caroline Murat, acquis par Aumale en 1854 [il en peindra sept versions dont montrées ici, celles de Birmingham et de Glens Fall (NY)], Portrait de Mme Duvaucey (1807) et la Vénus Anadyomène (1808 - 1848) exposée à côté de La Source venue d’Orsay, deux toiles acquises en 1879 par Aumale. C’est autour de ces cinq toiles et de ce dessein du "prince de Chantilly", ainsi dénommé par Mathieu Deldicque que cette exposition cantilienne revêt le parti inédit d’étudier les relations privilégiées entretenues par le peintre avec la famille royale, celle d’Orléans.

L’exposition s’ouvre avec son buste officiel par Ottin (1867-1868), celui du peintre établi et couvert d'honneurs. Prix de Rome de peinture d’histoire en 1801, il sera pensionnaire à la Villa Médicis d’octobre 1806 à novembre 1810 puis restera en Italie jusqu’en 1824. Son premier retour en France marque sa carrière officielle. Il est membre de l’Institut, Académie des beaux-arts, élu le 25 juin 1825 au fauteuil IV de la section peinture, occupé précédemment par Vivant Denon. Second séjour romain, celui de son directorat à la Villa, de 1835 à 1841. De retour à Paris, il devient très proche de la famille d'Orléans.

De la gauche vers la droite. J. A. D. Ingres & atelier, Portrait posthume de Ferdinand Philippe d’Orléans, prince royal (1810-1842), réplique sur fond de paysage, 1843. Toile. Versailles  //  J. A. D. Ingres, Portrait de Ferdinand Philippe d’Orléans, prince royal (1810-1842), 1842. Toile. Paris, musée du Louvre  //  J. A. D. Ingres & atelier, Portrait posthume de Ferdinand Philippe d’Orléans, prince royal, réplique en pied, 1844. Toile. Versailles © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

Le duc d’Orléans lui commande, de son propre chef et pour son usage personnel, son portrait en uniforme de lieutenant-général; sa genèse court de novembre 1841 à son encadrement le 17 avril 1842. Succès lors de sa présentation dans l’appartement-atelier du peintre au sein du palais de l’Institut. Le concert de félicitations sera de courte durée, terni par la mort accidentelle du prince le 13 juillet 1842. L’ultime image du Prince Royal, l’héritier, âgé de trente-deux ans, accède au statut d'icône. Elle est toute désignée pour servir de support au culte de sa mémoire souligne Côme Fabre dans le catalogue. À côté de cette peinture que nous regardons aujourd’hui à travers le voile du deuil, deux répliques venues de Versailles sont exposées : l’une avec un fond de paysage, l’autre en pied. Louis-Philippe lui commandera 17 vitraux pour la chapelle Notre-Dame-de-la-Compassion élevée sur le lieu de l’accident mortel puis huit autres pour la chapelle royale de Dreux, en 1843. Aumale lui commandera en 1847 six vitraux pour la chapelle de Chantilly qui n'eurent pas de suite en raison de son exil après la chute de la monarchie de Juillet.

J. A. D. Ingres, Madame Duvaucey, 1807). Plume et lavis brun. Collection particulière © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

J. A. D. Ingres, Portrait de Madame Duvaucey (ca. 1780 - après 1852), 1807. Toile. 76 x 59 cm.. Chantilly, musée Condé © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

Enfin réunis pendant quelques mois ! Jean-Baptiste Wicar (Lille, 1762 - Rome, 1834), Charles Jean Marie Alquier (Talmont, 1755 – Paris, 1826), 1806. Toile. 139 x 100 cm.. France, collection particulière  //  J. A. D. Ingres, Portrait de Madame Duvaucey, née Anna Antonia de Nittis (ca. 1780 - après 1852), 1807. Toile. 76 x 59 cm.. Chantilly, musée Condé © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

Deux inoubliables peintures de femmes dans cette pertinente exposition, forte de 108 numéros, huiles, dessins, estampes, photographies. Après la lecture de l’essai de Nicole Garnier-Pelle, vous saurez tout de Madame Duvaucey, de ce modèle qui esquisse un sourire, ce qui la fera qualifier par Théophile Gautier, en 1867, de " Monna Lisa en costume de l’Empire". Normal que ce chef-d’œuvre ait inspiré Picasso puis Francis Picabia. Le portrait de cette femme parmi les plus en vue de Rome sous l’Empire se trouve réuni, malheureusement pour quelques mois - quel dommage - avec celui qui fut son compagnon, peint par Jean-Baptiste Wicar : Charles Jean Marie Alquier, ambassadeur de France près le Saint-Siège.

J. A. D. Ingres, Louise, princesse de Broglie, future comtesse d’Haussonville (1818 - 1882), 1845. New York, The Frick Collection © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

La fermeture temporaire du bâtiment historique de The Frick Collection a facilité le prêt insigne de Louise, princesse de Broglie, future comtesse Othenin d’Haussonville (1845), représentée dans une attitude voisine de celle de Stratonice qu’avait admirée Louise, fille, sœur, épouse et mère d’académicien. Cette peinture clôt cette exposition à la gloire d’Ingres et de ses princes mécènes, plus une rétrospective qu’une exposition de cet insatisfait maladif. Festina lente. (4)

(1) Ce siècle avait un an ! Déjà Ingres perçait sous Jean Auguste Dominique - (lecurieuxdesarts.fr)

(2 ) Alice Thomine-Berrada, Une histoire d’amitié, de peintre et d’architecte. Baltard et Ingres autour de la Statonice, cat. de l’exposition.

(3) Conjugaison de planètes autour de Stratonice. Cette comédie musicale en un acte est créée dans le Paris révolutionnaire de 1792 par Étienne-Nicolas Méhul qui sera membre de l’Académie des beaux-arts, section composition musicale, de 1795 à 1817. La pochette de l’enregistrement de cet opéra, sous la direction de William Christie - membre de l’Académie des beaux-arts, section des membres libres - figure la peinture d’Ingres du musée Condé, Chantilly https://symetrie.com/fr/titres/stratonice

(4) "Festina lente". Médaille de La Monnaie de Paris réalisée en 2016 par l’illustratrice Anne-Margot Ramstein (1984) pour les 350 ans de l'Académie de France à Rome-Villa Médicis.

© DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ingres. L’artiste et ses princes, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

Ingres. L’artiste et ses princes

3 juin – 1er octobre 2023

Musée Condé, château de Chantilly, Chantilly (60)

Commissariat général : Mathieu Deldicque, conservateur en chef du patrimoine, directeur du musée Condé. Commissariat scientifique : Nicole Garnier, conservateur général honoraire du patrimoine

Catalogue indispensable sous la direction de Mathieu Deldicque et de Nicole Garnier-Pelle. Contributions de Côme Fabre, Adrien Goetz, Bruno Mottin [études de laboratoire de L’Autoportrait et de La Vénus anadyomène], Alice Thomine-Berrada, Gennaro Toscano, Georges Vigne et Florence Viguier-Dutheil. 290 pages. Lecture difficile et parfois très difficile des textes et notices imprimés sur des papiers de différentes couleurs. Éditions In Fine. Prix 34 €. (service de presse).  https://chateaudechantilly.fr/evenement/ingres-lartiste-et-ses-princes/

Mathieu Deldicque, Nicole Garnier-Pelle & Baptiste Roelly © DR Le Curieux des arts Gilles Kraemer, château de Chantilly, musée Condé, été 2023

Autre exposition. Le musée Condé présente un pan largement inédit de ses collections autour de la thématique du voyage dans la péninsule italienne au XIXème siècle : Regarder l’histoire en face. L’Italie du XIXème siècle au musée Condé. Commissariat de Baptiste Roelly, conservateur du patrimoine au musée Condé [depuis juin 2022, premier poste de conservateur pour ce jeune adjoint de Mathieu Deldicque] & Emmanuelle Brugerolles, conservatrice générale honoraire du patrimoine [ancienne responsable de la collection de dessins de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, elle dirigeait le cabinet des dessins de cette institution]. 

Le catalogue de l’exposition est rendu possible grâce au soutien d’Alice Goldet. Du 3 juin au 1er octobre 2023. https://chateaudechantilly.fr/evenement/regarder-lhistoire-en-face/

https://chateaudechantilly.fr/billets-et-tarifs/

 

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