La couronne de toutes les fraternités d’Helga Vockenhuber. Belonging à San Giorgio Maggiore - 18ème Biennale d’architecture – Venise, 2023 (II)
Gilles Kraemer
Déplacement et séjour personnel à Venise
L’Abbazia di San Giorgio Maggiore presenta, in concomitanza con la 18. Biennale Architettura, la mostra Belonging dell’artista austriaca Helga Vockenhuber.
In situ Belonging Helga Vockenhuber, à la croisée du transept © Gilles Kraemer, Venise, San Giorgio Maggiore, 15 mai 2023.
Lundi 15 mai. Fin d’après-midi de mai, une des rares journées non pluvieuses à Venise, accueillant la semaine presse de la 18ème Biennale d’architecture. Septembre, date d’ouverture de ces premières biennales, était plus clément ! Qui s’en souvient et elle ne durait que trois mois…
La puissance de Belonging est très forte cette fin d’après-midi. Quittant la forte luminosité de l’extérieur – prégnance de la lumière à Venise, nombre d’églises ont des rideaux, devant leurs fenêtres, occultant le jour -, les yeux s’habituent peu à peu à la pénombre, à l’émergence de cette immense sculpture posée au sol, sur un cercle d’eau noire, dans le parallélisme avec les canaux vénitiens, cette eau porteuse du temps, de l’espace. Dans une réflexion sur le baptême.
In situ, à la croisée du transept, Belonging Helga Vockenhuber © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
Une couronne d’épines, dans sa fragmentation en sept morceaux - symbolique de ce chiffre, rappelons la - cette sculpture éclatée d’Helga Vockenhuber (1963). Au-dessus d’elle, la puissance architecturale de la coupole de Palladio, 447 années séparant ces deux œuvres.
Intervention douce mais tellement forte, non envahissante, respectant l’espace par sa simplicité et sa modestie, un effleurement de l’architecture d’Andrea, bien loin de la précédente œuvre d’Anish Kapoor Ascension (quand la vapeur de l’Ascension daignait fonctionner ; quelques errements lors de la semaine presse de la Biennale de l’art 2011) ou de Sean Scully avec sa tour de feutres colorés Opulent Ascension en 2019 ; elle portait bien son nom !!! (1). Oublions vite An Weiwei et son lampadaire, un nom ne suffit pas à une œuvre…
In situ, à la croisée du transept, la coupole palladienne © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
Ce lieu, précise avec force Carmelo A. Grasso, directeur de l’Abbazia di San Giorgio Maggiore, est avant tout un lieu sacré et non d’expositions, mais un lieu qui montre des œuvres d’art. Notre volonté, forte, est l’ouverture de cette église au dialogue. Ajoutant que les morceaux séparés de cette couronne sont tels une relique, une expression de notre diversité.
Ägidius, Don Umberto Bordoni, Helga. In situ Belonging Helga Vockenhuber © Gilles Kraemer, Venise, San Giorgio Maggiore, 15 mai 2023.
Choc de la foi. Choc de la beauté, de la douleur. De la mort salvatrice, de la résurrection. Puissance de l’émotion dans une simplification extrême. L’œuvre est de bronze et d’eau, ces sept sculptures de bronze se reflétant dans un miroir d’eau noire sur lequel elles sont posées, comme suspendues au-dessus d’un abîme. Une immersion dans l’eau, pour que naisse une nouvelle vie, souligne le commissaire Don Umberto Bordoni. De suite elle proclame qu’elle est mémoire, Reliquiae Passionis, histoire du Christ. Histoire de la tragédie humaine dans toute sa complexité. Couronne d’épines, une icône de la fraternité dans ces sept fragments de la couronne de la Passion, installation que cette artiste autrichienne a conçu pour ce dialogue avec la coupole de cette église palladienne, puisque les bénédictins souhaitent que l'œuvre soit toujours placée à cet endroit. Violence de ces sept morceaux, violence qui parle de drames et de souffrances dans la beauté. Lieu d'un dépouillement extrême, dans ce dialogue aussi avec les deux toiles des autels latéraux représentant le martyre de saints sur les visages desquels la souffrance se lit, ajoute Don Umberto Bordoni. (2). Affronter la vie avec passion, avec amour, conclut-il.
Ägidus Vockenhubler & Carmelo A. Grasso © Gilles Kraemer, Venise, San Giorgio Maggiore, 15 mai 2023.
In situ, les photographies d'Ägidus Vockenhubler dans le couloir menant vers la Sacristie Monumentale © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
Six photographies, noir et blanc, d’Ägidius Vockenhuber (1991), fils de l’artiste - jeune, il souhaitait devenir moine ermite avant d’entamer des études d’architecture - sont présentées dans le couloir menant à la Sacristia Monumentale. Par celles-ci, il entend évoquer quelques archétypes de l’espace mystique, de la spiritualité : lumière et ombre, eau, arbres. D'autres photographies représentent sa mère dans l'atelier, sculptant la couronne.
Car enfin, Qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant… Blaise Pascal / Che cos’è l’uomo nella nature ? un nulla rispetto all’infinito, un tutto rispetto al nulla…
In situ, dans la Sacristie Monumentale, Belonging Helga Vockenhuber © Gilles Kraemer, Venise, San Giorgio Maggiore, 15 mai 2023.
In situ, dans la Sacristie Monumentale, Belonging Helga Vockenhuber © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
Dans la Sacrestia Monumentale, dominée par une immense pendule, une petite couronne d’épines, noire. Une installation, faite de plus de 50 billes d’arbres sur lesquelles l’on est invité à s’assoir, entoure des fonts baptismaux en albâtre, cet albâtre que l’on retrouve souvent comme vitrail dans les premières églises de la chrétienté. Selon l’abate emerito Norberto Villa, cette œuvre est l’arbre de la vie, "l’albero della vita", l’endroit où l’homme a ses racines autour de l’eau du baptême. Une œuvre extraordinaire dans son humilité. Cette mère et son fils qui dialoguent, dans de si belles relations d’œuvres, cela est proprement incroyable. "Incredibile." Propos auxquels Carmelo A. Grasso ajoute que les cercles des billes renvoient à la symbolique de la croissance, du temps.
In situ, dans le chœur, Belonging Helga Vockenhuber © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
In situ, dans le chœur, Belonging Helga Vockenhuber © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
Dans le chœur dévolu aux moines - stalles de Gaspare Gatti et Albert Van Der Brulle - une petite couronne blanche est posée à côté de l’immense lutrin.
Sur l’autel du chœur est déposée, dans une similitude avec une plume d’ange, une immense épine en bronze. Telle une relique. Et l’on sait que de nombreuses églises conservent une épine de la Sainte couronne de la Passion.
Ägidius & Helga Vockenhuber © Gilles Kraemer, Venise, San Giorgio Maggiore, 15 mai 2023.
Pas de catalogue. Seulement la mémoire de la force de Belonging. Dans ces représentations de la fragilité des relations humaines, les torsions, les ruptures dans ce temps de la distanciation pandémique, de l’isolement de l’individu, les conflits belliqueux jusqu’au cœur de l’Europe. Une interrogation sur la cohésion sociale et la fraternité.
Une réflexion sur l’homme, la nature, la proximité avec Dieu.
Belonging Helga Vockenhuber © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
Cette exposition entre dans la programmation culturelle de la Benedicti Claustra Onlus, branche de la communauté des Bénédictins œuvrant pour l’activité et les projets de développement de l’art et la recherche artistique. La Communauté Monastique de l’Abbazia San Giorgio Maggiore de Venise, dans la poursuite d’une tradition séculaire, promeut l’art, la culture et la créativité dans toutes ses formes d’expression. A l’intérieur de la Basilique paladienne, la Benedicti Claustra Onlus accueille des œuvres très fortes artistiquement et spirituellement dans cet espace sacré éveillant la sensibilité des fidèles et des visiteurs, dans cette fertile confrontation ouvrant de nouveaux horizons d’évangélisation et de dialogue. Ces diverses activités de Benedicti Claustra Onlus s’insèrent dans le programme "L'ARTE SALVA L'ARTE".
(1) Anish Kapoor La matérialisation de l'Invisible ! Troublements des sens au CENTQUATRE - PARIS - (lecurieuxdesarts.fr)
(2) La première pierre de la Basilique fut posée en 1566, les murs et le tambour de la coupole terminés en 1575, la coupole l’année suivante, le chœur en 1591. La façade, reconnaissable à ses quatre immenses colonnes et à son fronton triangulaire, fut édifiée entre 1597 et 1610 par Vincenzo Scamozzi. Vingt années après la mort d’Andrea Palladio (1508-1580).
In situ, à la croisée du transept, Belonging Helga Vockenhuber © Antoine Prodhomme, Venise, San Giorgio Maggiore, mai 2023.
Vockenhuber Belonging
15 mai - 26 novembre 2023
Abbazia di San Giorgio Maggiore - Benedicti Claustra Onlus
Isola di San Giorgio Maggiore – Venezia - Venise
Artistes Helga Vockenhuber & Ägidius Vockenhuber
Commissariat Don Umberto Bordoni (directeur de la Fondazione Scuola Beato Angelico, directeur de la revue Arte Cristiana et vicaire de la paroisse san Protaso à Milan)
Abate Stefano Visintin osb
Directeur Carmelo A. Grasso
Assistante de ce projet Irene Innamorati