L’enfance au musée des impressionnismes de Giverny
Marie-Christine Sentenac
Auguste Renoir (1841-1909), Coco écrivant, ca 1906. Huile sur toile. Lyon, musée des Beaux-arts © photo Marie-Christine Sentenac, 2023.
Cent vingt œuvres, certaines très connues, d’autres à découvrir, organisées en sections thématiques, explorent l’enfance de la fin du XIXème siècle (vers 1870) à la Première Guerre Mondiale.
Ernest Marché (1864-1932), Le jeune pêcheur, s.d.. Huile sur toile. Château-Musée, Nemours© photographie Marie-Christine Sentenac, 2023.
Des artistes contemporains sont convoqués pour donner une image des jeunes d’aujourd’hui au travers des photographies de Martin Parr, Rineke Dijkstra, Laurence Reynaert, Elaine Constantine et d’une vidéo d’Ange Leccia. Ils paraissent nettement plus turbulents que ceux dont les peintres impressionnistes nous renvoient l’image. Sortis de l’atelier pour exercer en plein air, ils se frottent au quotidien. Parents et amis portraiturent les rejetons des uns et des autres plongeant ainsi dans l’intimité de leur vie familiale. Du jardin à la plage, de l’apprentissage de la lecture - création de la Bibliothèque rose en 1856, de la collection des Voyages extraordinaires de Jules Verne chez Hetzel, des magazines réservés aux jeunes La semaine de Suzette (1905), Les pieds Nickelés (1908) - aux rêveries adolescentes – ou jouant (le jouet industriel apparaît en même temps que les grands magasins).
Berthe Morisot (1841-1895), L'enfant à la poupée ou Intérieur de cottage, 1886. Huile sur toile. 50 x 61 cm.. Bruxelles, musée d'Ixelles, FT 104 © Musée d'Ixelles.
Les poupées jusque-là avaient l’apparence d’une petite femme. A la fin du siècle elles ressemblent à un bébé ou à une petite fille. La relation enfant-poupée devient alors un double de la relation mère-fille. Étudiant, en compagnie de leurs animaux domestiques, les enfants sont représentés de façon spontanée. Chacun son style. La captation de la lumière au premier plan d’une touche franche ou libre, esquissant les détails.
Paul Mathey (1844-1929), Enfant et femme dans un intérieur, vers 1890. Huile sur toile, 48,5 x 38 cm.. Paris, musée d’Orsay, don de Mlle Dubreil, 1982, RF 1982-9 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
C’est à la fin du XVIIIème siècle que l’enfant est considéré comme une personne digne d’intérêt. L’éducation est souvent prise en charge à la maison par les mères, les nourrices et les gouvernantes. Les filles sont admises dans le primaire en 1836. En 1880 grâce à Jules Ferry la scolarisation devient obligatoire, laïque et gratuite de 6 à 13 ans.
L’essor de la vaccination et de la puériculture rallongent l’espérance de vie des nouveaux-nés. L’exposition universelle de 1889 accueille un Palais des enfants. Déjà en 1873 au Palais de l’Industrie à Paris une «Exposition universelle et internationale de tout ce qui a rapport à l’enfant depuis son enfance à son adolescence » avait attiré les foules.
Federico Zandomeneghi (Venise 1841-1917 Paris), Jeune fille endormie (Au lit), 1878. Huile sur toile. Galleria d’Arte Moderna, Firenze, Palazzo Pitti © photographie Marie-Christine Sentenac, 2023
De milieux sociaux très divers, Berthe Morisot, Frédéric Bazille, Gustave Caillebotte, appartiennent à la grande bourgeoisie… Auguste Renoir, Camille Pissarro, Armand Guillaumin sont de condition modeste; tous témoignent de leur amour pour les bambins, notamment dans des Maternités pleines de tendresse.
Mary Cassatt (1844-1926), Sous le marronnier (Femme et enfant jouant sur le gazon), 1895-1897. Paris, Bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art, collections Jacques Doucet © Bibliothèque numérique de l’INHA / Paris, Bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art.
Bien que n’ayant pas eu d’enfant Mary Cassatt a un regard, un talent particulier pour camper avec naturel et sans mièvrerie le sujet traditionnel de la mère et l’enfant, la vie quotidienne et l’intime comme le montre sa brillante série d’eaux-fortes.
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), La Leçon (Bielle, l’institutrice et Claude Renoir lisant), vers 1906. Huile sur toile, 65,5 × 85,5 cm.. Collection David et Ezra Nahmad © Collection David et Ezra Nahmad.
Pierre-Auguste Renoir, Gabrielle et Jean, ca 1895-1896. Huile sur toile. 65 x 55 cm.. Paris, musée de l'Orangerie. Collection Walter-Guillaume © photo Marie-Christine Sentenac, 2023.
Les nourrices qui ont disparu du paysage actuel sont très présentes dans ces évocations d’un bonheur parfois fragile. L’une d’elles, Gabrielle Renard, cousine d’Aline, l’épouse de Renoir, devient vite, avec sa progéniture qu’il aime à grimer et costumer, le modèle préféré du peintre. Pendant d’interminables séances de pose pénibles et difficiles pour Jean (le second fils, futur cinéaste), elle seule arrive à le calmer, le fait jouer, dessiner ou lit les Contes d’Andersen (pour le plus grand plaisir du peintre aussi qui aimait particulièrement La soupe à la brochette). Jean évoquera plus tard dans ses mémoires son impatience et son exaspération. Ces scènes intimes, très naturelles semblent volées, loin de l’académisme du portrait officiel.
Avec le succès Renoir devient le portraitiste des descendants de milieux aisés alors que lui-même, de modeste ascendance, a sans doute commencé à travailler vers 12 ou 13 ans. Il n’oublie pas ses origines et fonde un pouponnat qui prend en charge les jeunes déshérités. Comme Sisley, Pissarro ou Gauguin il connaît la dure réalité de la mortalité en bas âge, son premier fils adultérin né en 1868 de sa liaison avec Lise Tréhot son modèle de jeunesse, ne vécut que quelques mois. Neuf des douze œuvres qu’il envoie au Salon entre 1979 et 1883 sont des portraits d’enfants. Il prend un plaisir particulier à reproduire les nuances des longs cheveux roux de Jean et sera furieux lorsque pour entrer au collège son fils devra les couper. Claude Monet, qui avait eu deux fils avec sa première épouse Camille, se retrouve à la tête d’une famille recomposée de huit enfants lorsque, veuf, il se remarie avec Alice Hoschede, qui avait eu six enfants de sa première union. Très occupé par sa peinture et son jardin il a laissé l’image d’un patriarche traditionnel et autoritaire qui semble avoir été meilleur grand-père que père, travaillant à Giverny au milieu des cris et des jeux d’enfants.
L’anarchiste bohème Camille Pissarro a la réputation d’avoir été un père idéal. Il éveille chez ses huit enfants (dont deux filles n’atteindront pas l’âge adulte) la fibre artistique, tous suivront la voie ouverte par leur père.
Armand Guillaumin (1841-1927), Portrait de petite fille (Madeleine, la fille de l’artiste), 1894. Pastel sur papier vergé beige. Paris, musée d’Orsay © Marie-Christine Sentenac, 2023.
Dans ce vibrant pastel d'Armand Guillaumin, les yeux incroyablement bleus de Madeleine, sa fille, nous contemplent. Le pastel a souvent été privilégié pour les portraits d’enfants
Enfants de la campagne vêtus de vareuses et chaussés de sabots ou enfants des villes qui suivent la mode. Jusqu’à l’âge de raison garçons et filles avaient les cheveux longs et portaient des robes et des chapeaux identiques. Puis le costume marin, uniforme des petits-bourgeois marquait le pas vers l’adolescence.
Les vêtements clairs ou transparents mettent en valeur la touche impressionniste, les variations infinies du blanc et des pastels. Le fils de Pissarro, fesses à l’air dans l’herbe - Femme étendant du linge (1887) - n’est vêtu que d’une petite brassière. " Une mode de plein air, légère, à l’harmonie tendre et naïve ", Stéphane Mallarmé (alias Marguerite de Ponty dans sa revue La dernière mode, Gazette du Monde et de la Famille).
Claude Monet, Un coin d’appartement, 1875. Huile sur toile. Paris, Musée d’Orsay, legs de Gustave Caillebotte © photographie Marie-Christine Sentenac, 2023.
Les scènes champêtres ou de bord de mer, enfants nus ou habillés comme à la ville s’opposent aux portraits plus académiques dans lesquels transparaît une certaine mélancolie sinon de la tristesse. Contrainte de la pose ? Les animaux de compagnie, chats, chiens sont les compagnons privilégiés des enfants. Intimité et confiance chez Auguste Renoir pour le portrait de Julie Manet (1887) son chat sur les genoux, et Le garçon au chat (1868), variation sur un nu.
© photographie Marie-Christine Sentenac, 2023.
De belles œuvres qui dévoilent un aspect moins public de ces artistes si célèbres et admirés, témoignage touchant d’une vie qui ressemble à la vie de tous et les rend plus humains.
Giverny © photographie Marie-Christine Sentenac, 2023.
Les enfants de l’impressionnisme
31 mars-2 juillet 2023
Musée des impressionnismes - 27620 Giverny
Commissariat Cyrille Sciama, directeur général du musée des Impressionnismes Giverny et Marie Delbarre, assistante de recherche au musée des Impressionnismes Giverny.
Catalogue. 256 pages. Coédition musée des impressionnismes Giverny/Flammarion. Prix 40 euros. La couverture est un détail du tableau de Claude Monet, La Maison de l’artiste à Argenteuil, 1873. Chicago, The Art Institute of Chicago, Mr. and Mrs. Martin A. Ryerson Collection, 1933.1153. (service presse Flammarion).