Cléopâtre d’Artemisia Gentileschi à la Galleria di Palazzo Cini - Venise
Gilles Kraemer
Déplacement et séjour personnel à Venise
Il dipinto Cleopatra di Artemisia Gentileschi a Palazzo Cini, prestito dalla Collezione Cavallini Sgarbi. Peinte par Artemisia Gentileschi (1593 - 1652/53), peu de temps avant son séjour vénitien, Cléopâtre, œuvre insigne de la collection Cavallini Sgarbi, est présentée à Venise à la Galleria di Palazzo Cini a San Vio.
Artemisia Gentileschi (Roma 1593 – Napoli 1652/1653), Cleopatra, 1620-1626. Huile sur toile. 97 x 71,5 cm.. Collezione Cavallini Sgarbi © Collezione Cavallini Sgarbi.
Cette peinture est exposée, à l’occasion de prêts de quelques-uns des chefs-d’œuvre de la collection de peintures ferraraises de la Galleria à l’exposition Rinascimento a Ferrara. Ercole de’ Roberti e Lorenzo Costa visible au Palazzo dei Diamanti à Ferrare, commissariat de Vittorio Sgarbi et Michele Danieli (18 février - 19 juin 2023). (1) La présentation de cet unique tableau entre dans le cadre de "L’Ospite a Palazzo" initiée en 2014. (2)
Artemisia Gentileschi (Roma 1593 – Napoli 1652/1653), Cleopatra, 1620-1626. Huile sur toile. 97 x 71,5 cm.. Collezione Cavallini Sgarbi © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Palazzo Cini, mai 2023.
La venue au Palazzo Cini de Cléopâtre – quelle idée de la présenter sur un fond noir, entre deux statues, dans cette salle des polyptiques où l’immense table empêche tout recul, la salle Renaissance eut été préférable – offre l’occasion d’évoquer la venue à Venise de cette peintre dans les années vingt du Seicento; elle séjourna dans la Sérénissime probablement de la fin de 1626 et, jusqu’à la fin 1630 sans doute. D’Ester e Assuero du Metropolitan Museum of Art, peinte à la fin de cette décennie, il est fort probable aujourd’hui d’en accepter une conception vénitienne.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, campo Manin, mai 2023.
Attribuée par Roberto Longhi à Guido Cagnacci, cette peinture a été restituée à la main de la fille d’Orazio par Gianni Papi. Confirmation à l’occasion de l’exposition romaine de 2001 Orazio e Artemisia Gentileschi lorsqu’elle fut présentée après sa restauration permettant ainsi de mettre en lumière les caractéristiques typiques d’Artemisia : l’énergie et le naturalisme.
Cette peinture rappelle les rapports entretenus par Artemisia, dans l’espace culturel et historique artistique de la ville lagunaire. Sans doute influencera-t-elle la future Accademia degli Incogniti / Académie des Inconnus ? Largement reconnue comme l’une des cercles intellectuels les plus importants et les plus influents de la société vénitienne au milieu du Seicento, l’Accademia degli Incogniti fut fondée par le charismatique Giovan Francesco Loredan. Actif entre 1630 et 1660 environ, ce cercle se concentra sur la production littéraire des universitaires, l’interprétation rhétorique des textes, la naissance d’un marché éditorial précis de références et les relations avec le monde des arts figuratifs, de la musique et du théâtre. (3)
Un des thèmes de cette Académie était la condition des femmes, leur possibilité d’assurer un rôle de pouvoir et de gouvernance. Dans le versant littéraire des Incogniti, à travers l’étude des textes antiques, bibliques et modernes, apparaissent les figures emblématiques des héroïnes, soit des modèles de virtù tels Suzanne ou Lucrèce, soit des femmes capables de gouverner comme Sémiramis ou Cléopâtre. Dans l’art vénitien de ces mêmes années, l’on assiste à un intérêt analogue pour ces thèmes. Entre 1630 et 1670, de nombreuses peintures représentent la femme non comme une figure érotique mais héroïque. Est-ce la présence d’Artémisia à Venise qui fut à l’origine de cette tendance ?
Artemisia Gentileschi (Roma 1593 – Napoli 1652/1653), Cleopatra, 1620-1626 (détail). Huile sur toile. 97 x 71,5 cm.. Collezione Cavallini Sgarbi © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Palazzo Cini, mai 2023.
Cléopâtre, figure des plus fascinantes de l’antiquité, incarne le thème de l’exemplum virtutis, celui de l’héroïne qui préfère la morsure fatale de l’aspic plutôt que de subir l’humiliation publique du triomphe à Rome d’Auguste. Le prétexte du sujet choisi est également la représentation d’un séduisant nu traduit en un puissant naturalisme. Peinte de trois quart, la poitrine dévêtue, tenant le serpent de la main droite qui s’apprête à mordre son sein gauche. Souveraine d’Egypte, même vaincue, elle s’offre à la mort, collier de perles dans ses cheveux lâchés, boucles d’oreille en diamant. Sentiment de douleur dans cet héroïsme chargé cependant d’érotisme. Assise sur un tissu rouge très architecturé dans ses plis, en accord avec la carnation de sa peau, ce tissu dans un audacieux découvert laisse voir son ventre.
Tragique épilogue de la souveraine égyptienne, derniers moments de la dynastie des Lagides qui régna de 305 à 30 av. J.-C.. Elle entrouvre les lèvres, lève les yeux vers le ciel, total abandon. Yeux extatiques cependant, plus proches de ceux d’une martyre de la foi chrétienne que d’une héroïne historique. Seule la présence du serpent permet de savoir qu’il s’agit d’un moment de l’histoire.
In situ, à Ferrare, au Palazzo dei Diamanti, exposition Rinascimento a Ferrara. Ercole de’Roberti e Lorenzo Costa. Les trois tempera sur bois d’Ercole de’Roberti de la Fondazione Giorgio Cini © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Ferrare, mai 2023.
(1) La Galleria di Palazzo Cini prête trois tempera sur bois, ca 1470-1473, d’Ercole de’ Roberti (Ferrare, ca 1450-1496) : San Giorgio, San Girolamo et Santa Caterina d’Alessandria provenant du polyptique Griffoni démembré en 1725, de Ludovico Mazzolino : Pietà, le San Giovanni Battista nel deserto de Marco Zoppo et Madonna col Bambino de Lorenzo Costa.
(2) L’initiative de "L’Ospite a Palazzo" date de la réouverture de la Galleria di Palazzo Cini en 2014. L’on a pu, ainsi voir, Ritratto di giovane con liuto de Bronzino, Galleria degli Uffizi, Adorazione dei pastori de Lorenzo Lotto, Pinacoteca Tosio Martinengo de Brescia, Madonna di Pontassieve de Beato Angelico, Galleria degli Uffizi, San Marco d’Andrea Mantegna du Städel Museum de Francfort, la gouache du Capriccio architettonico con portico de Francesco Guardi, Musée Jacquemart-André et San Giorgio che uccide il drago de Paolo Uccello de cette même institution parisienne.
(3) Nous renvoyons au séminaire d’études qui s’est tenu à l’Accademia de Venise : Arti e lettere a Venezia nel Seicento. L'Accademia degli Incogniti, sous la direction de Linda Borean de l’université d’Udine et de Michele Nicolaci responsable de la peinture de 1600 à 1800 à l’Accademia, le 20 avril 2023. Arti e lettere a Venezia nel Seicento. L'Accademia degli Incogniti | Gallerie dell'Accademia di Venezia (gallerieaccademia.it)
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Palazzo Cini, mai 2023.
Artemisia Gentileschi alla Galleria di Palazzo Cini
11 mai – 16 juillet 2023
Venezia, Palazzo Cini - Campo San Vio, Dorsoduro 864
Jacopo Carucci detto Pontormo (Pontormo, 1494 - 1557), Doppio ritratto di due amici. Huile et tempera sur bois. 88,2 × 68 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, mai 2023.
Escalier de Tomaso Buzzi © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, Palazzo Cini, mai 2023.
Dans les années cinquante, l’architecte Tomaso Buzzi (Sondrio, 1900-Rapallo, 1981), intervint dans les espaces intérieurs de la demeure du comte Vittorio Cini. Spectaculaire escalier ovale en colimaçon. Comment ne pas songer aux escaliers du Palazzo Farnese à Caprarola del Vignola, de Santa Maria della Carità à Venezia de Palladio et du Palazzo Barberini à Roma de Borromini.
Scala ovata di Santa Maria della Carità a Venezia del Palladio. Gallerie dell’Accademia © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, mai 2023.