L’occhio d’Yvon Lambert. L’œil d’un collectionneur – Avignon
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
Daniel Buren (1938), De la peinture - Une œuvre en douze parties, 1969-2012 // Carl André (1935), Hourglass, 1962 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
" Si une accumulation reflète une vie la qualité de cette accumulation reflète la qualité de cette vie. ". Lawrence Weiner (1942-2021).
Yvon Lambert © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
L’occhio d’Yvon Lambert, une histoire intime que la Collection Lambert propose, " une exposition singulière " comme le précise Stéphane Ibars, directeur artistique de cette institution avignonnaise, " puisqu’elle trouve son départ dans une publication donnant à voir un choix d’œuvres emblématiques de la donation d’Yvon.". Un autre regard sur cette collection et un renouvellement de sa présentation, réunissant 84 artistes dans un parcours chrono-thématique peu courant, puisque commençant par le présent – De retour du réel -, bifurquant vers le passé – Les nouveaux anciens - revenant au présent - Ruptures et promesses – , en six stations.
Pour la première fois, 250 œuvres sont exposées dans la totalité de la Collection. Une monstration souveraine.
Béatrice Salmon & Yvon Lambert // Denis Oppenheim ( 1938-2011), Slide dissolve sequence for toward becoming à Scarecrow, 1971 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
" Générosité dans la richesse de cette collection " ajoute Béatrice Salmon, directrice du Centre national des arts plastiques. En 2000, il prête une sélection de sa collection d’art contemporain à Avignon, ville plus à l’écoute que ne le fut Montpellier pressentie en premier ; elle est installée dans le bel hôtel de Caumont. En 2012, il donne – " avec la complicité et la générosité de sa fille Ève " - 600 œuvres de sa collection à l’État français. Le Cnap assure la gestion de celles-ci, soit 107 artistes, de Carlos Amorales à Lawrence Weiner, dont le duo Bernd & Hilla Becher.
Chaise Lambert // Sol LeWitt (1928-2007), Wall drawing # 538, 1987 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
Un projet d’extension au mitoyen hôtel Montfaucon, confié aux architectes Laurent & Cyrille Berger, permet en 2015 la présentation permanente d’une sélection de la donation. Ces derniers créent une chaise de gardien baptisée Chaise Lambert. Á l’image d’Yvon, une simplicité apparente, l’effacement devant les œuvres. Encore plus, placée, dans un coin, dans la salle du Wall Drawing # 539 de Sol LeWitt (1987). Mais une présence. Une chaise à l’assise en sycomore massif, pieds et branches du dossier en métal revêtus de ce même bois, travaillé cette fois en plaquettes d’habillage.
Stéphane Ibars // Jean-Michel Basquiat (1960-1988), The installs confidence and pincks his brain like a salad, 1988 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
Il y a quelque chose d’italien chez Yvon Lambert (1936), chez cet homme grand et sec. Indiscutablement le profil du condottiere, le profil d’un prince florentin du Rinascimento, d’un prince romain du Barocco ! Songer à Medici ou à Barberini. C’est un aventurier flamboyant de l’art contemporain, regardeur boulimique de l’art, du "work in progress", ayant compris que Paris n’ayant plus le monopole de l’art, il fallait promener son regard ailleurs. Au-delà de l’Océan, vers Jean-Michel Basquiat, Robert Barry. Défendant Bertrand Lavier mais se laissant embarquer par la jeunesse d'Enzo Cucchi, Robert Combas ou de Miquel Barceló qu’il a découvert par un carton d’invitation et dont il achète, tout de suite, une peinture.
" La galerie devient un des épicentres de la création la plus jubilatoire, la plus libre et décomplexée " précise Stéphane Ibars dans le catalogue regroupant une somme pertinente d’essais sur ce galeriste, sur ce collectionneur, sur cet aventurier aux semelles du vent de l’art. " Quand on aime un artiste, on le lui montre en achetant ses œuvres. ". Face à Anselm Kiefer et sa dimension cosmogonique, " j’aime les artistes qui ont la conscience de l’avant et de créer avec les fantômes qui accompagnent l’art.".
On Kawara (1932-2014), Postcards to Yvon Lambert, 1977 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
Dennis Oppenheim (1938-2011), Sterillzed surface, glass, 1969 (détail) © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023. Photographies d'Oppenheim représentant la façade de la galerie rue de l'Echaudée.
Très tôt " tombé dans la marmite de l’art ", il acquiert sa première œuvre à 14 ans, ouvre sa première galerie à 26 ans, à Vence, la ville de son enfance. A 29 ans, " Paris à nous deux ". En 1967, rue de l’Echaudée pour l’art minimal et conceptuel ; après son départ, cette galerie deviendra celle d’Arsène Bonnafous-Murat, un marchand d’estampes. A 41 ans, il s’installe non loin de la "raffinerie", celle du Centre Georges Pompidou. De 2003 à 2011, une succursale new-yorkaise. En 2014 il ferme sa galerie parisienne. Mais ouvre en 2017, une librairie consacrée à l’édition du livre d’artiste. Normal puisque le livre est la partie très secrète d’Yvon. Sait-on qu’il aime Stéphane Mallarmé, naturellement Édouard Manet qui accompagna le prince des poètes, Marcel Proust mais on n’en doute pas puisque, comme lui, il saisit les instantanés de la mémoire. Son ex-libris ? Dessiné par Cy Twombly. Seize œuvres, de 1959 à 1982, dans la Collection de cet artiste !
Thomas Hirschhorn -1957), Sas de contamination, 2000 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
Il manque à cette exposition la "chair" de quelques photographies, écrits, correspondances, cartons d’invitation ? Rien sur lui. Une rigueur, un effacement protestant. Seule une photographie de Nan Goldin : Yvon à Notre-Dame-de-la Garde, Marseille (1996) dans ce parcours, clos par Ardennes State Line, un cheminement zigzagant d’ardoises selon Richard Long (1978) et commençant en coups de poings par Sas de contamination, ce tunnel labyrinthique de l’art de Thomas Hirschhorn (2000), où des reproductions d’œuvres sont cadenassées et enchaînées. Contamination ou dé-contamination à l’art ? L’art peut-il être visible ou emprisonné ? Il y a quelque chose d’un portrait chinois en filigrane humoristique de ce collectionneur qui a donné une partie de sa collection à la cité papale.
Cette exposition interroge sur la destinée des archives de ce galeriste, ce pan de 61 années de ce déchiffreur de l’art. " Yvon Lambert en papiers " voilà indiscutablement le titre de la future exposition de la Collection, le chapitre II qu’Avignon devra consacrer à ce condottiere, à ce prince de l’art ? Vite, vite, Stéphane Ibars… l’aventure de la collection d’Yvon ne fait que commencer… Vite, vite, un second catalogue…
Une œuvre de 1980 de Cy Twombly (1928) reproduite sur l'affiche © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
Une histoire de l’art. La collection Yvon Lambert
25 mars au 4 juin 2023
Collection Lambert – Avignon
Commissariat Stéphane Ibars, en collaboration avec le Cnap.
https://collectionlambert.com/
© photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.
Une publication, sérieuse, agréable, généreuse, gardes et contre-gardes orange, une mise en pages telle qu’on l'aime. Bravo Dune Lunel studio. Une histoire intime de l’art. Yvon Lambert, une collection, une donation, un lieu. Textes de François Aubert ; Nicolas Bourriaud ; Jean-Baptiste Delorme ; Donatien Grau ; Béatrice Gross ; Stéphane Ibars ; Aurélien Lemonier ; Pascale Le Thorel ; Alfred Pacquement - reprise de son texte de 2000 à l’occasion de l’exposition inaugurale de la Collection - ; liste des œuvres de la donation, 440 pages. Environ 250 photographies. Co-édition Centre national des arts plastiques / Collection Lambert / Éditions Dilecta. Prix 45 €.
L’inventaire détaillé de la collection est accessible sur www.cnap.fr
Stéphane Ibars & Yvon Lambert © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Collection Lambert, Avignon, avril 2023.