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Gilles Kraemer (envoyé spécial)

 

Vieira da Silva - Dijon, telle l’histoire de relations privilégiées entre cette peintre et le musée des Beaux-Arts de la ville des ducs de Bourgogne. Elle trouve son tréfonds auprès des collectionneurs et donateurs Kathleen Parker (1908-1981) et son époux Pierre Granville (1908-1996), l’actrice de théâtre et l’ancien assistant réalisateur puis courtier en œuvres d’art et chroniqueur au journal Le Monde sous le pseudonyme de Chatelou. Ils offrent à cette institution leur collection d’art contemporain en 1969, 1974 et 1986, geste parachevé en 2006 par un acte de donation posthume. Dans celle-ci figurent de nombreuses œuvres acquises directement à l’atelier à Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992). Trois œuvres seront offertes par l’artiste dont l’immense peinture à la tempera Urbi et Orbi (1963-1972), titre attribué par Pierre Granville. C’est par cette œuvre magistrale et iconique du corpus de Maria Helena que commence l’exposition que Dijon lui consacre. Aujourd’hui trente-six œuvres de Vieira da Silva sont conservées à Dijon :18 peintures, 17 œuvres sur papier et une boîte à lettres peinte commandée pour Kathleen par Pierre. (1)

Maria Helena Vieira da Silva, Urbi et orbi, 1963-1972. Peinture à la tempera et à l'huile sur toile. 300 x 400 cm.. Collection Pierre et Kathleen Granville. Donation Pierre et Kathleen Granville © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts

Maria Helena Vieira da Silva, Autoportrait, 1930. Huile sur toile. 50 x 46 cm.. Paris, comité Arpad Szenes – Viera da Silva // Nature morte bleue, 1932. Huile sur toile. 81 x 60 cm.. Lisbonne, CAM-Fundação Calouste Gulbenkian © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts

Maria Helena Viera da Silva, in situ, section Lumières dans le catalogue de l’exposition © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts

Cet hommage, à l'occasion des trente ans de sa disparition, s’ordonne en un parcours chronologique, de ses débuts figuratifs - Autoportrait (1920) - à l’étonnante et poétique séries de peintures en blanc, aux diaphanes effleurement de couleurs, dans la section de clôture au titre tellement religieux : Lumière. Comment ne pas ressentir une légèreté, une évanescence, un relâchement, un abandon de l’espace sourdre, comme dans une signifiant message peint « n’ai-je pas tout dit, je pose maintenant le pinceau ? » dans l’hypnose de Dialogue et Le Silence, Chemins de la paix et Ariane et Vers la lumière (1991)

Arpad Szenes, Portrait de Vieira, 1947. Peinture à l'huile sur toile. 162 cm. x 105 cm.. Collection Pierre et Kathleen Granville. Donation Pierre et Kathleen Granville, 1974 - © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts. Ce portrait de la femme de l'artiste a été réalisé en l'absence de Vieira. Il vient après une série de dessins qui se sont cristallisés dans cet hommage à la personne absente. Le modèle n'est pas représenté comme à l'accoutumée au travail, mais dans une pose quasi hiératique, de face, assise dans son fauteuil préféré en osier, les bras croisés, une jambe repliée sur l'autre, vêtue d'une longue robe. 

Maria Helena Vieira da Silva, Boîte à lettres, 1954. Peinture à l'huile sur métal. 34,5 cm. x 26,6 cm. x 10 cm.. Collection Pierre et Kathleen Granville. Donation Pierre et Kathleen Granville (entrée au musée en 1976) © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts

Le second parcours, spécifique à Dijon - l'exposition fut présentée précédemment à Marseille -, dans les salles du rez-de-chaussée – exit la muséographie de placages en agglomérée voulue par les Granville et confiée à Louis Miquel lors de l’accrochage de leur collection (2) -, met l’accent sur la relation privilégiée unissant, dès 1931, l’artiste et son époux le peintre hongrois Arpad Szenes aux mécènes-amis Kathleen et Pierre : L’œil des collectionneurs. En 1974, l’exposition Deux volets de la donation Granville : Jean-François Millet, Vieira da Silva rendrait hommage à ce couple de donateurs. Aujourd’hui, les Maria Helena des Granville sont présentés, ayant gardé leurs cadres d’origine, normal, mais un peu datés pour certains et pas en concordance dans le clinquant de leur doré avec la simplicité d’Helena Maria. Á oublier très vite celui de L’Atelier à l’harmonium (1950) et plus encore les surannés de La Grande Chambre bleue (1951) et Intérieur rouge (1951).

Maria Helena Vieira da Silva, Jardins suspendus, 1955. Huile sur toile. 162 x 113,5 cm.. Paris, Centre Pompidou. En dépôt à la présidence de la République // La Bibliothèque, 1966. Huile sur toile. 130 x 97 cm.. Paris, Centre Pompidou. Dation en 1993. En dépôt au musée d’Arts de Nantes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts

Enfance solitaire comme le rappelle les co-commissaires Naïs Lefrançois et Agnès Werly. Elle a trois ans lorsque son père décède. Maria Helena et Arpad n’auront pas d’enfant. Elle grandit, à Lisbonne, entre sa mère et son grand-père maternel ; elle évoquera son enfance de lecture dans Bibliothèque en 1949 et 1966. Elle assiste à… 5 ans à Londres à une représentation du Songe d’une nuit d’été de William S. qui la marquera. Voyages en train ; son œil aurait-il été inspiré par le mouvement et la fragmentation du paysage lors de ces déplacements comme le suggère Agnès Werly ? A 20 ans, sa mère et elle s’installent à Paris ; inscrite à la Grande chaumière, elle suit des cours de … sculptures auprès d’Antoine Bourdelle puis de Charles Despiau. Épouse Arpad, en 1930, qui restera dans l’ombre de son épouse ; une modernité qui plaît aujourd’hui dans nos temps du questionnement incessant de la place des femmes artistes !

Maria Helena Vieira da Silva, au milieu, Les Tisserands, 1936. Huile sur toile. 106 x 161,5 cm.. Paris, Centre Pompidou. Dation en 1993 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts

Elle découvre Cézanne, Bonnard, mature un ensemble de références picturales, rencontre le maître absolu de la couleur Henri Matisse – regardons sa Nature morte bleue (1932) -, Braque, se perd dans le regard des œuvres de ses contemporains. Sa Composition (1936) et ses Tisserands structurent et condensent l’espace, l’abstraction est là. La partie d’échecs (1943) peinte lors de son exil au Brésil – elle et son époux d’origine juive s’y sont réfugiés – il se convertira au catholicisme - - laisse la perdition du regard dans des plongées et contre-plongées, en une sensation du vertige, première de ses œuvres à entrer dans les collections nationales en 1948. Après cette période de déracinement sud-américaine, celle de la noirceur de Le désastre (1942) et Le Calvaire (1947), le retour vers l’Europe et la reconnaissance des galeries et des musées.

Thématique de la perspective, de ses architectures, Le Souterrain (1948), La Ville tentaculaire (1954), Nuit blanche (1960), telle une façon de penser son tableau dans un mouvement et un instant, telle une structure musicale.

Surveillons le 8 juin 2023 la vente de la succession du compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez, Une vie au rythme de l’art chez Artcurial et regardons Hiver (1983), sur une estimation de 80 000 - 120 000 €.

Une rue dijonnaise porte son nom.

Maria Helena Vieira da Silva, in situ, section Concept dans le catalogue de l’exposition // au fond, Le Théâtre de Gérard Philippe, 1975. Huile sur toile. 162 x 130 cm.. Colmar, musée Unterlinden © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts. En 1947, elle participe à la scénographie de La Parodie à la demande d’Arthur Adamov.

Georges de La Tour, Le Souffleur à la lampe, ca 1640. Peinture à l'huile sur toile. 61 x 51 cm.. Collection Schmitz (famille) ; Collection Jean-Baptiste Schmitz ; Collection Blanche Bemer ; Collection Clément Altariba ; Collection Pierre et Kathleen Granville. Donation Pierre et Kathleen Granville, 1974 © Dijon, musée des Beaux-Arts © Hugo Martens. Il représente un adolescent soufflant sur un brandon pour allumer une lampe à huile.  collections du musée des beaux-arts de dijon - Affichage d'une notice

(1) Parmi les œuvres données par les Granville figure un des chefs-d’œuvre de la peinture du XVIIème siècle : Le Souffleur de verre de Georges de La Tour. Acquis en 1972, il fut présenté la même année à la mythique exposition Georges de La Tour à l’Orangerie des Tuileries, à cette époque lieu uniquement consacrée aux exposions de la R.M.N.. Également d’Eugène Delacroix (1798-1863), Le sultan du Maroc Mulay Abd-er-Rahman recevant le comte de Mornay, ambassadeur de France, ca 1832.  http://www.lecurieuxdesarts.fr/2020/02/entre-realite-et-fantasme-l-orientalisme-au-xixe-siecle-dijon-musee-des-beaux-arts.html

(2) Un musée renouvelé pour Dijon (II) (art-critique.com)    [Édito] De Staël ne supporte pas l’Isorel (connaissancedesarts.com)

 

Maria Helena Vieira da Silva © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Dijon, musée des Beaux-Arts

Vieira da Silva. L’œil du labyrinthe

16 décembre 2022 – 3 avril 2023.

Musée des Beaux-Arts - Place de la Sainte-Chapelle - 21000 Dijon

Commissariat général Frédérique Goerig-Hergott, directrice des musées de Dijon. Commissariat scientifique Naïs Lefrançois, conservatrice & Agnès Werly, attachée de conservation à la Direction des musées de Dijon.

Catalogue de format agréable, d’une bonne lecture et bien mis en pages. 264 pages. Éditions In Fine. Français/anglais. Prix de vente 39 € (en service de presse)

Cette rétrospective est organisée en collaboration avec le musée Cantini à Marseille et la galerie Jeanne Bucher Jaeger à Paris [qui l’exposera dès 1933]. Certaines des œuvres présentées à Marseille [du 10 juin au 6 novembre 2022] ne le sont pas à l’exposition dijonnaise.

https://beaux-arts.dijon.fr/    http://mba-collections.dijon.fr/ow4/mba/index.xsp

http://www.lecurieuxdesarts.fr/2022/12/renouvellement-du-partenariat-entre-les-musees-de-la-ville-de-dijon-et-le-musee-du-louvre-expositions-prevues.html

 

Hors de propos de l'exposition dijonnaise mais regard intéressant sur cette invitation-dialogue faite par une sculptrice à une peintre : La Ville, 1952. Œuvre de Germaine Richier (1902-1959), sculpture en plomb en collaboration avec Maria Helena Vieira da Silva, huile sur plomb. Pièce unique. Collection privée © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Centre Georges Pompidou, exposition-rétrospective Germaine Richier, 1er mars au 12 juin 2023 à Paris puis du 12 juillet au 5 novembre 2023 au musée Fabre, Montpellier. 

 

 

Tag(s) : #Entretien à 210 km-h, #Expositions France, #Musées
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