La renaissance de Jean Bardin – Musée des Beaux-Arts d’Orléans
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
Jean Bardin (1732-1809), Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765 (détail) © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Jean Bardin (Montbard 1732 - 1809 Orléans). Il fallut toute la ténacité et la flamme de Frédéric Jimeno pour que ce peintre ressurgisse de la nuit. Commençant à travailler sur cet artiste dès 1998, publiant en espagnol en 2000 une étude sur ses Sept Sacrements conservés au réfectoire de la chartreuse de Notre-Dame de Aulaa Dei à Saragosse, cette publication a facilité largement le prêt de ces immenses toiles de la part des autorités ecclésiastiques espagnoles précise-t-il, en présentant ces sept toiles de l’exposition orléanaise. Ajoutant nous avons fait démonter les portes du réfectoire pour qu'elles puissent être vues ici, au cœur de cette magistrale présentation de ce peintre (re)naissant de l’obscurité, (re)trouvant sa place dans l’histoire de l’art français du XVIIIème siècle.
Jean-Siméon Berthélemy (Lyon 1743 – 1811 Paris, Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765. Huile sur toile. Collection particulière // François-Guillaume Ménageot (Londres 1744-1816 Paris), Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765. Huile sur toile. 113 x 146 cm.. Nancy, musée des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Une découverte absolue de l’œuvre de Jean Bardin souligne Olivia Voisin, en présentant Jean Bardin, le feu sacré, rétrospective que le musée des Beaux-Arts d’Orléans consacre à cet artiste. Déplacement obligatoire pour tous les "connoisseurs" de cette exposition qui a reçu, attribué par le ministère de la Culture, le label "Exposition d'intérêt national 2023".
Pourquoi une telle exposition Jean Bardin, ici à Orléans ? Après les expositions Jean-Baptiste Peronneau et Jean-Marie Delaperche, le musée des Beaux-Arts continue, précise Olivia Voisin, son travail de mise à l’honneur des grands hommes qui ont écrit l’histoire artistique de la ville. (1) Bardin retrouve sa place dans l’histoire de l’art; son nom est associé à Orléans dont il fut le premier directeur et professeur de l’École gratuite de dessin ouverte en novembre 1786 et dont il fut le conservateur du Museum, ancêtre du musée des Beaux-Arts, en 1799.
Après avoir été l’élève, vers 1755, de Louis Lagrenée dit Lagrenée l’Ancien revenu de Rome, il entre en 1760 dans l’atelier de Jean-Baptiste Marie Pierre lors du départ pour la Russie de son premier maître. Son but, comme celui de tous les artistes, le Grand prix de peinture de Rome permettant d'être pensionnaire au palazzo Mancini, siège de l’académie de France à Rome.
Jean-Siméon Berthélemy (Lyon 1743 – 1811 Paris, Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765. Huile sur toile. Collection particulière // François-Guillaume Ménageot (Londres 1744-1816 Paris), Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765. Huile sur toile. 113 x 146 cm.. Nancy, musée des Beaux-Arts // Jean Bardin (1732-1809), Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765. Huile sur toile. 114 x 145,5 cm.. Mayence, Landesmuseum Mainz // Jean Bardin (1732-1809), Tullie faisant passer son char sur le corps de son père (esquisse), 1765. Huile sur toile. 45 x 55 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Jean Bardin (1732-1809), Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765. Huile sur toile. 114 x 145,5 cm.. Mayence, Landesmuseum Mainz // Tullie faisant passer son char sur le corps de son père (esquisse), 1765. Huile sur toile. 45 x 55 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Premier essai en 1763, négatif. En 1764, il remporte le deuxième Prix. La troisième tentative, en 1765 lui porte chance, l’obtention du Premier prix lui ouvrant les portes d’un long séjour en Italie après le sujet imposé Tullie faisant passer son char sur le corps de son père [le roi Servius Tullius assassiné], extrait de l’histoire de la Rome antique selon Tite-Live. Un thème compliqué qu’il faut rendre lisible et compréhensible tout de suite. L’esquisse et la toile de Bardin sont réunies à côté des propositions de ces deux confrères malchanceux François-Guillaume Ménageot et Jean Siméon Berthélemy. La confrontation de ces trois peintures laisse paraître la maîtrise du classicisme de Bardin sachant mettre en valeur le vide sur le côté gauche de sa composition, frappante par sa simplicité, sachant saisir l’instant où face à l’interrogation du cavalier, le geste impératif de Tullie lui impose de passer sur le cadavre de son père, dans une belle diagonale descendante, de la droite vers la gauche. Lauréat, il entre à l’École royale des élèves protégés jusqu’à son départ pour Rome, trois années plus tard.
Jean Bardin (1732-1809), L’Éducation de la Vierge, 1768. Huile sur toile. 376 x 207 cm.. Bayonne, cathédrale Sainte-Marie, chapelle Sainte-Anne // Le Martyre de saint Barthélémy, 1765. Huile sur toile. 280 x 200 cm.. Mesnil-le-Roi, église paroissiale Saint-Vincent © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Première œuvre connue, Martyre de saint Barthélémy (1765) assure son métier, sa force, sans renier une certaine proximité avec Le Martyre de Saint Érasme de Nicolas Poussin (1628) auquel il emprunte les positions du prêtre et du futur saint. L’Éducation de la Vierge (1768), commande pour le chœur de la cathédrale de Bayonne, dans une profonde réflexion entre clair-obscur et couleurs vives, une peinture dans laquelle transparaît une formation très solide précise Mehdi Korchane.
Des dessins d’événements bibliques évoquent son pensionnat romain, de novembre 1768 à novembre 1772. Le legs Magnin, sous conditions de non prêt, n’a pas permis de présenter le dessin Ruines d’aqueduc à Rome de cette époque ni l’huile d’Andromaque et Astyanax au tombeau d’Hector (1779) conservés au dijonnais musée Magnin [ils sont reproduits dans le catalogue]. Frédéric Jimeno laisse supposer qu’il ait pu côtoyer Francisco de Goya durant son séjour à l’Académie.
L’essai, dans le catalogue, de Jean-Louis Ducoing, évoque ses années de professeur, Bardin et ses élèves, de son retour à Paris à son départ pour Orléans en 1786, avec l’ouverture d’un atelier aux élèves comme le veut l’usage ; il retient les noms de Jean-Baptiste Collet et surtout celui de Jean-Baptiste Regnault - qui l’avait accompagné à Rome - Grand prix en 1776 et membre de l’Institut en 1795, le "cursus aux honneurs" de nombreux artistes du XIXème siècle.
Jean Bardin (1732-1809), L’Enlèvement des Sabines, 1773. Pierre noire et rehauts de craie blanche. 65 x 130 cm.. Collection particulière © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Jean Bardin (1732-1809), dans la vitrine, Le Sommeil d'Endymion, 1776. Plume et encre noire, lavis gris, rehauts de gouache blanche sur papier gris. 30 x 18,2 cm.. // Bacchantes décorant la statue du dieu Pan. Plume et encre noire, gouache sur papier bleu. 43,8 x 32 cm.. Ces deux dessins, qui n'ont jamais été exposés, sont un prêt de l'Albertina, Vienne, Autriche // Au dessus, Mariage antique, 1775. Plume et encre grise, lavis gris et rehauts de blanc sur papier. 28,5 x 28 cm.. Collection particulière © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Sa première exposition, en 1776, dans le salon des Grâces du Colisée, sur les Champs-Élysées, ne met pas en exergue le peintre du Martyre de saint André ni de Salomon entraîné dans l’idolâtrie mais le dessinateur de L’Enlèvement des Sabines et du Massacre des Innocents, mesurant 1,30 mètres de long, dessins qualifiés de "capitaux" et "compositions dont le caractère est noble, & décèle une étude profonde & réfléchie des Maîtres d’Italie", devant lesquels la critique est littéralement époustouflée par le brio. Il a trouvé une façon de peindre avec le dessin. D’autres feuilles sont l’écho de sa maîtrise : Mariage antique (collection particulière parisienne) et les trois scènes antiques prêtées par l’Albertina à Vienne, inédites et jamais exposées. Comme presque la majorité des pièces - peintures, dessins – présentées à Orléans.
Jean Bardin (1732-1809), Mars sortant des bras de Vénus pour aller à Troie, 1782. Huile sur toile. 140 x 178 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts // Résurrection, 1780. Huile sur toile. 194 x 140 cm.. Charmentray (Seine-et-Marne), église de La Sainte-Trinité © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Agréé par l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1779, l’esquisse de son morceau de réception Mars et Vénus est validée en 1782 ; mais son tableau définitif ne sera jamais présenté. Cette rétrospective a permis véritablement, sans jeu de mot, "la résurrection" de sa Résurrection (1780) de l’église du village de Charmentray ; la restauration pour cette exposition de cette peinture dans un état déplorable a révélé de beaux effets d’ombres et de lumières dans le dynamisme de cette scène.
Jean Bardin (1732-1809), salle des Sept Sacrements de la chartreuse de Valbonne (1780-1790) © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
L’œuvre d’une vie, dans un regard appuyé sur les toiles éponymes de Nicolas Poussin (1636-1640), ce sont les Sept Sacrements de la chartreuse de Valbonne (1780-1790) dans le Gard, conservés en Espagne depuis 1905 suite à l’expulsion de France des congrégations religieuses. Ces toiles, de près de 5 mètres de long, ont été restaurées pour cette exposition.
Jean Bardin (1732-1809), L'Extrême-Onction, 1785. Huile sur toile. 216 x 485 cm.. Saragosse (Espagne), chartreuse de Notre-Dame de Aula Dei, réfectoire © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
Jamais exposées au Salon, hormis le premier Sacrement La Pénitence en 1783 et le troisième L’Extrême-Onction en 1785 accrochée juste au-dessus du Serment des Horaces de David. L’on ressent un retour à l’antique, la trace de son séjour romain avec la pyramide de Cestius dans L’Ordination (1786)
Règlement de l'école de dessin, 1786. Orléans, Archives municipales © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Orléans, musée des Beaux-Arts, exposition Jean Bardin.
La dernière partie de cette rétrospective, dans une mise en scène très lisible et ouverte de Nathalie Crinière, se clôt par l’engagement pédagogique du peintre, de son arrivée à Orléans jusqu’à son décès en 1809. Plaçant l’instruction en avant, il ne cessera de professer tout en continuant de peindre.
(1) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2017/12/jean-baptiste-perronneau-portraitiste-de-genie-dans-l-europe-des-lumieres.html http://www.lecurieuxdesarts.fr/2020/02/le-mystere-jean-marie-delaperche-elucide-par-le-musee-des-beaux-arts-d-orleans.html
Jean Bardin (1732-1809), Tullie faisant passer son char sur le corps de son père, 1765 (détail, couverture du catalogue). Huile sur toile. 114 x 145,5 cm.. Mayence, Landesmuseum Mainz.
Jean Bardin (1732-1809). Le feu sacré
3 décembre 2022 - 30 avril 2023
Musée des Beaux-Arts d’Orléans, place Sainte-Croix. Tél : + 33 (0)2 38 79 21 55. Ouvert tous les jours sauf le lundi. Plein tarif 6 €.
Cette exposition a obtenu, de la part du ministère de la Culture, le label "Exposition d'intérêt national 2023".
Commissariat général Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans, conservatrice des collections après 1750 du musée des Beaux-Arts d’Orléans // Commissariat scientifique Frédéric Jimeno, docteur en histoire de l’art, chargé de cours à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne & Mehdi Korchane, responsable de la conservation des arts graphiques des musées d’Orléans // Comité scientifique Corentin Dury, conservateur des collections anciennes du musée, Christine Gouzi, professeur en histoire de l’art moderne, Sorbonne Université, Nicolas Lesur, historien de l’art & Olivia Voisin.
Scénographie Agence Nathalie Crinière / Maëlys Chevillot.
Catalogue. Jean Bardin (1732-1809), le feu sacré. Essais de Frédéric Jimeno, Nicolas Lesur, Christine Gouzi, Jean-Louis Ducoing. 204 pages. Notons que des détails des Sacrements et d’autres œuvres sont reproduits pleine page. Co-éditions Musée des Beaux-Arts d’Orléans - Le Passage Éditions. 2022. Prix 39 €.
Prochaines expositions programmées. Guido Reni, décembre 2024 à avril 2025. Hippolyte Lazerges (1817 - 1887) en 2026. Ce dernier décora deux églises orléanaises : Notre-Dame-de-Recouvrance (1863-1868) et Saint-Laurent.
La restructuration du hall d’entrée du musée est prévue pour 2025.
Pas de site propre dédié au musée. Site de la métropole d'Orléans. https://www.orleans-metropole.fr/decouvrir-sortir/musees-expositions