Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

Des générosités d’Adèle de Rothschild, de Jeanne Smith et Madeleine Smith-Champion naquirent la Fondation Salomon de Rothschild et la Fondation des sœurs Smith-Champion. Depuis 1976, sous l’impulsion de Bernard Anthonioz, ces deux fondations n’en forment plus qu’une, devenant la Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques puis, en 2018, la Fondation des Artistes.

C’est cette histoire passionnante, dans laquelle se mêlent la mort tragique d’un mari, l’enfermement dans son culte et son souvenir, l’histoire d’une dynastie de banquiers, la mémoire, la IIIème République, les goûts artistiques, les donations aux institutions, l’abnégation, le secret des aides, l’argent, la Grande guerre, que Valérie Bougault nous narre, le roman de la vie altruiste de ces trois femmes avec comme seul but la discrétion dans l’aide financière et le soutien aux artistes. Cette générosité volontairement cachée, tellement rare dans notre temps où l’aide à l’autre est trop souvent un faire-valoir qu’il faut afficher publiquement, perdure dans une réserve et un absolu effacement.

2022, immense gâteau d’anniversaire pour la Fondation des artistes. 100 bougies, celle du centenaire du legs d’Adèle de Rothschild (1843-1922). En effet, irréfragable collectionneuse comme l'est sa famille, l’art et le mécénat coulent dans les veines des Rothschild, elle lèguera à l’État français ses collections qui seront réparties entre Le Louvre, Cluny, la Bibliothèque nationale et les Arts Décoratifs. Auquel elle adjoindra son hôtel particulier, bâti entre 1874 et 1878, souhaitant qu’il devienne une maison au profit des artistes. La Fondation Salomon de Rothschild - veuve à 22 ans de son cousin éloigné Salomon de Rothschild - un des quatre fils de James de Rothschild, fondateur de la branche française - décédé brutalement en 1864 à 29 ans - voyait le jour après acceptation de ce legs par l’État.

Cette demeure dans laquelle le président de la République Paul Doumer fut assassiné en 1932, accueillit la bibliothèque d’art et d’archéologie Jacques Doucet, puis le cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale jusqu’en 1946, le Centre national d’art contemporain jusqu’en 1977, fut un lieu d’expositions puis le Centre national de la photographie. Aujourd’hui les salons de l’Hôtel Salomon de Rothschild, en plein 8ème arrondissement parisien, sont loués pour accueillir des événements privés, générant des revenus pour financer les dispositifs d’accompagnement des artistes par la Fondation.

De l’histoire d’Adèle, reste le Cabinet de curiosités, un lieu secret resté en l'état depuis le décès de la baronne, celle-ci ayant précisé, dans son testament, que cette pièce devait être conservée intact, comme témoignage de son goût pour les arts. Un Kunstkammer aux murs tendus de cuir de Cordoue du XVIIème et au plafond d'une Chancellerie de la même époque, aux vitraux allemands et suisses du XVIe siècle montés sur les fenêtres, des vitrines présentant les pièces de la collection rassemblée par Salomon de Rothschild entre 1862 et 1864.

La Fondation Smith-Champion naît en 1944, à Nogent-sur-Marne, du domaine familial depuis 1860, ayant appartenu aux sœurs Jeanne Smith (1857-1943) et Madeleine Smith-Champion (1864- 1940), c’est-à-dire deux maisons et un parc de 10 hectares, qu’elles avaient décidé de léguer à l’Etat dès 1909, tout en en conservant l’usufruit. La cadette, artiste, ayant pris des cours auprès de la suissesse Ottilie Roederstein puis de Jean-Jacques Henner, dont elle s’amourache, de 35 ans plus âgé qu’elle, épousera en 1907 Pierre Champion (1880-1942) futur maire de Nogent en 1919. Jeanne, plus secrète, ne se mariera jamais. Pendant la Grande Guerre, elles transformèrent le domaine en hôpital militaire. Après leurs décès, la maison de Jeanne devient la Maison nationale des artistes puis un EHPAD en 2002. Des ateliers sont construits en 1964 et 1972 dans le parc et à Paris. En 2006, la maison de Madeleine devient un centre d’art contemporain puis la MABA (maison d’art Bernard Anthonioz).

Les très discrètes actions de mécénat de la Fondation jalonnent la carrière des artistes, de la sortie d’école d’art, à la production d’œuvres d’art, en passant par l’attribution d’ateliers d’artistes à Paris et à Nogent-sur-Marne et la diffusion des œuvres dans son centre d’art contemporain, la MABA jusqu’à l’accompagnement des artistes dans leur grand âge avec une maison de retraite qui leur est dédiée.

En 2011, une commission mécénat de la Fondation des artistes est créée. Une nouvelle fois, discrétion puisque cette décennie a permis le financement de 461 productions de 510 artistes Français ou résidents en France, de tous âges - 11 800 € est le montant moyen par projet. Et, depuis 2016, la Fondation accompagne durant deux années scolaires, une école d’art française pour financer des programmes post-diplôme. Ici, une nouvelle fois totale discrétion, l’on est loin des capitaines d’industrie faisant largement connaître leur intérêt pour la création contemporaine…

L’action de la Fondation est celle de la discrétion, cette discrétion qui est " l’esprit Rothschild " comme se plait à le souligner Laurence Maynier, directrice de cette institution depuis avril 2016. Il aura fallu un siècle et cet ouvrage de Valérie Bougault pour que la discrétion absolue de cette Fondation soit... enfin connue de tous. Sans tapage, ni dispendieuse soirée parisienne largement gazouillée.

La discrétion, rien que la discrétion.

 

Valérie Bougault, Collectionneuses, artistes et mécènes - Adèle de Rothschild, Jeanne et Madeleine Smith. 224 pages, 150 illustrations. In Fine éditions d’art / la Fondation des Artistes. Prix 29 €.

Le Cabinet de curiosités de l’Hôtel Salomon de Rothschild. Terre cuite attribuée à della Robbia © photographie Gilles Kraemer, Le Curieux des arts, juillet 2017

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article