Liebestod, dans l’arène incorrecte d’Angélica Liddell – Odéon Théâtre de l’Europe
Gilles Kraemer
orchestre, place achetée - vendredi 11 novembre 2022
Liebestod © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Odéon-Théâtre de l’Europe, 11 novembre 2022
Liebestod, arène sanglante et salvatrice pour Angélica Liddell. Liebestod. El olor a sangre no se me quita de los ojos [L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux] Juan Belmonte Histoire(s) du théâtre III. Un très long titre, dont l’on ne retiendra que l’incise wagnérienne, l’amour sublimisé dans la mort. Sortir du théâtre de l’Odéon, dans des impressions se heurtant, entre effusion et dégoût, acceptation et rejet, adoration et horreur, plaisir et insoutenable, merveilleux. L'indifférence n'existe pas dans le spectacle de l’Espagnole Angélica Liddell - écrivain, metteur en scène, scénographe et costumière pour cette pièce-performance -. L'indifférence n'existe pas.
Angélica Liddell nous remue visuellement et littérairement, nous laissant naviguer entre atonie et dynamisme, instants tellement difficiles ou intenses que de nombreux spectateurs, durant la première heure, partent sans bruit, dans une salle silencieuse, émaillée de rires lors de certaines imprécations d’Angélica adaptées au public parisien.
Il fallait attendre soixante minutes pour qu’enfin… la magie, celle du spectacle vivant, surgisse, se révèle, émerge, subjugue, éclate après ce long, trop long prologue échevelé. Et que les cinquante minutes suivantes surgissent magiques, jusqu'à la convocation de la musique de Richard Wagner, dans cette mort d’amour/Liebestod d’Isolde de sept intenses minutes. Introduite par le rideau de scène affichant les singes de Gabriel von Max, aux regards nous scrutant. (1) Comme si le spectateur devait être dans la permanence d’être observé par la scène, dans l’inattendu renversement du rôle du regardé vers le regardeur, l’actrice Angélica Liddell vers les voyeurs de sa performance convoquant les actionnistes viennois lorsqu’elle scarifie ses genoux. Spectacle d'une telle force prégnante que, pour les représentations parisiennes, il n'y a pas de figurants enfants.
Liebestod © Christophe Raynaud de Lage.
Pièce commencée par des chats en laisse, une tête de cheval, un taureau qu’elle caresse, un homme avec un perizonium, sans un bras et une jambe qu’elle promène dans une chaise roulante puis qu’elle blottira contre elle dans un mouvement visuellement tellement caravagesque, deux quartiers de bœuf – Soutine & Rembrandt - descendant des cintres et remontant. (2) Images très fortes, terriblement fortes, dans un silence glaçant. Un public en communion, totalement en communion.
Liebestod © Christophe Raynaud de Lage.
Dans cette arène sanglante et salvatrice, la représentation pouvait commencer dans cette longue et terrible imprécation d’Angélica contre le théâtre, contre les spectateurs, contre elle-même, dans cette auto-dérision d’elle-même jusqu’au Le public en a marre de toi / de tes histoires Angélica. Il faut être très forte pour oser cette confrontation dans cette arène tellement Francis Bacon dans ses couleurs.
Liebestod © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Odéon-Théâtre de l’Europe, 11 novembre 2022
Quelle actrice, quelle comédienne dans ses exhortations, dans cette façon de nous assener son texte ! Dernière image, après cette mort d’amour d’Isolde face au taureau mort/Tristan, celle d’Angélina dansant avec un Massaï puisqu’elle a décidé de ne plus être torera mais de chasser le lion.
Je t’aime, Heysel.
Gabriel von Max (1840 - 1915), Abélard et Héloïse, huile sur toile (détail). Ca 1901-1915 © The Jack Daulton Collection / DTP. Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXᵉ siècle - 2021-05-19 | Musée d'Orsay (musee-orsay.fr) (1) Les origines du monde. L’invention de la nature au XIXe. Du 19 mai au 18 juillet 2021 - Musée d'Orsay, Paris.
(2) La boucherie Au bon bœuf (Paris 18ème) fournit les carcasses ; après découpe, toute la viande consommable est offerte au Secours populaire - antenne Montcalm.
Liebestod © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Odéon-Théâtre de l’Europe, 11 novembre 2022
Angélica Liddell, Liebestod. El olor a sangre no se me quita de los ojos [L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux] Juan Belmonte Histoire(s) du théâtre III.
jeudi 10 - vendredi 18 novembre 2022
Odéon – Théâtre de l’Europe - Paris
mise en scène, scénographie, costumes Angélica Liddell
lumière Mark Van Denesse - son Antonio Navarro - habit de la toréra Justo Algaba
avec Ezekiel Chib, Patrice Le Rouzic, Angélica Liddell, Borja López, Gumersindo Puche et Palestina de los Reyes
création 2022 avec le Festival d'Automne à Paris
en espagnol, surtitré en français - durée 1h50
Création en juillet 2021 au Festival d’Avignon