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Gilles Kraemer

" Laurent, serrez ma haire avec ma discipline, // Et priez que toujours le Ciel vous illumine. ", Tartuffe, 1669, acte III, scène 2. Contrition et repentance.

" Souviens-toi de m'écrire ces mots. Je les veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle." L'Avare, acte III, scène 1. Explication des objets.

Relire Molière en parcourant cette exposition où presque tous les objets présentés sont remis en cause dans leur histoire ! 

Section L’ivoire, un matériau d’intérêt mondial © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022. 

"Peut-on encore exposer des pièces en ivoire sans en encourager le commerce illégal ? ", inscrit sur le mur de l’exposition, est présenté comme "le point de vue des musées". Sans préciser qu’il s’agit de celui des Staatliche Kunstsammlungen Dresden et non ceux de la RMN-Grand Palais et du musée du Luxembourg. 

Section L’ivoire, un matériau d’intérêt mondial © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022. 

Si le commissariat outre-Rhin interpelle, interroge, se justifie ainsi face au visiteur en le mettant en garde, pourquoi imaginer cette 3ème section : L’ivoire : un matériau d’intérêt mondial avec des objets en ivoire ou partiellement en ivoire. "Jouer avec le feu" ?  L’on apprendra aussi, dans "le point de vue des musées" que "Les Staatliche Kunstsammlungen Dresden mènent cette réflexion activement" et que "La question de la provenance est au cœur des recherches menées aujourd’hui au sein des musées.". Comme si l'on ne s’en doutait pas à la lecture des cartels des objets présentés…

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022. 

Carrément le qualificatif "chefs d’œuvre" de ce Miroir du Monde, en haut de l’affiche. Attention, "vous allez en prendre plein les mirettes" pour 13 euros, syndrome de Stendhal garanti pour les plus chanceux ! 

Extraordinaire, c’est ce que l’on était en droit d’attendre de cette exposition, de cette clameur annonciatrice d’une myriade de "chefs d’œuvres". Quelques minutes plus tard, tous les espoirs partaient en vrille. Et à l’issue de la visite, une mine grise.

Balthasar Permoser (sculpture), Johann Melchior Dinglinger (monture), Wilhelm Krüger (placage en écaille), Martin Schnell (vernis), Statuette au plateau d’émeraudes. Plateau d’émeraudes : travail de joaillerie et de sculpture probablement de 1724, Dresde. Poirier laqué, argent doré, émeraudes, rubis, saphirs, topazes, grenat, almandin, écaille  © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022. 

L’on était dans l’espérance de la magie, de la rêverie, de l’évasion, de l’émerveillement. Et, en retour ? Une exposition nullement dionysiaque dans sa présentation ! Une "colorimétrie, dans un espace poreux […] pour faire comprendre au visiteur les relations géopolitiques, le colonialisme et la mise en place de relations inégalitaires que ces voyages ont engendrés" selon le dossier de presse, des miroirs immenses façon La Dame de Shanghai non pour se perdre dans les précipices de l’interrogation mais pour "démultiplier le reflet d’une œuvre" c’est-à-dire les coquillages montés de la section Naturalia, certains objets présentés trop bas obligeant à des contorsions ou à s’agenouiller. De quoi aiguiser "la curiosité du visiteur et [sublimiser] la présentation des œuvres exposées" mais avec la déception du nombre restreint d’objets incroyables présentés. 

Travail de joaillier : probablement Johann Christoph Neßler. Janissaire [en ivoire] sur socle en cristal de roche, Dresde, vers. 1710-1715. Figure en ivoire : probablement d’un artiste travaillant à Dresde, ivoire, cristal de roche, argent doré, serti de pierres précieuses, petite horloge avec mouvement, laiton. Milieu du XVIIe siècle © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022. 

Certes, certaines des pièces sont exceptionnelles, magiques, comme le Récipient pour boire : éléphant avec tour de guerre d’Urban Wolff, la Statuette au plateau d’émeraudes, le Chameau avec deux figurines en perles baroques ou le Janissaire sur socle en cristal de roche. Mais le mot de chef-d’œuvre semble dans l’excessif pour qualifier l'ensemble de cette exposition. Parlons plutôt de très beaux objets au sens scientifique – tel ce bol [plutôt une coupe] japonais d’époque Edo présenté à côté de sa copie en Meissen - ou d’objets admirables pour les autres. Civilisation du superlatif à outrance ?

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

Les beaux objets, vous les découvrirez sur une borne interactive puisqu’ils sont restés à Dresde. Une nouvelle façon… originale… d’exposer… Un nouveau concept est né : l'exposition en distanciel !  Adieu l'exposition en présentiel... 

Cruche d’inspiration néerlandaise. Japon, province de Hizen, Arita, époque Edo (1603-1868), 1700-1730. Porcelaine, montage en laiton, peinture : bleu cobalt sous glaçure, rouge fer et or. // Bol japonais et sa copie de Meissen. Japon, province de Hizen, Arita, époque Edo (1603-1868), 1690-1730 / Manufacture de porcelaine de Meissen, vers 1730-1731. Porcelaine, peinture : bleu cobalt sous glaçure, couleurs sur glaçure et or © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022  

Vasque et cruche d’inspiration ottomane. Chine, Jingdezhen, dynastie Qing (1644-1911), ère Kangxi (1662-1722), 1700-1720. Porcelaine, peinture : bleu cobalt sous glaçure  //  Vasque et cruche d’inspiration ottomane. Manufacture de porcelaine de Meissen, vers 1750. Porcelaine, peinture : couleurs sur glaçure et or, montures en argent © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

Quelques imprécisions dans la section La porcelaine, symbole des échanges entre l’Orient et l’Occident avec des objets présentés sur l’en-tête de leur cartel comme "cruche d’inspiration néerlandaise" pour une porcelaine japonaise de l’époque Edo montée en "fontaine à café" ou "vasque et cruche d’inspiration ottomane", objets de la dynastie Qing et de la manufacture de Meissen ; la terminologie aiguière et son bassin, plus appropriée, apparaîtra dans le développé du cartel. (1). "Le seau rafraîchisseur à bouteille" [nullement un seau mais un bassin], d’inspiration européenne, dynastie Qing, est plus exactement une vasque rafraîchissoir.

Enfant Jésus sur socle, Sri Lanka, début du XVIIe siècle. Grenat, cristal de roche, or, serti de pierres. H. 10,3 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

Section La vogue des cabinets de curiosités, une quête de la rareté © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

La pièce maîtresse, visible sur l’affiche, l’Enfant Jésus sur socle, Sri Lanka, début du XVIIe siècle, n’est nullement mise en valeur dans la section La vogue des cabinets de curiosités, une quête de la rareté, placée trop bas. Impossible d’admirer toute la finesse de la taille de ce grenat et sa transparence. Son cartel nous apprend qu’"elle témoigne de la conversion des élites à la foi chrétienne sous l’influence portugaise.". Dans l’omission ou l’oubli que le peuple peut… lui aussi… se convertir !

Section Naturalia, l'art et la nature. Sur le mur, Karoline Schneider (1986), 15 boomerangs 2-16 (postcolonial) mimicry, 2018. Céramique cuite émaillée © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

Section Naturalia, l'art et la nature © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

Le dialogue-juxtaposition entre objets anciens et objets contemporains est présent, sans aucun intérêt sauf d’être modeux comme dans de trop nombreuses expositions. Présenter des œuvres contemporaines est devenu la norme avec l’incontournable regard du visiteur du XXe siècle jugeant avec ses yeux de 2022 un homme ayant vécu en 1515 !

Quinze boomerangs (2018) de Karoline Schneider, dans "l’intérêt manifeste pour le thème de l’appropriation culturelle" et dans "le contexte des débats sur le post-colonialisme" est "une métaphore et une critique de la pratique répandue qui consiste à s’emparer à la légère des biens culturels et qui s’épuise souvent et rapidement dans une approche visuelle" selon la contribution au dossier de presse de Silke Wagler. Le cartel parle de "récupération populaire et irréfléchie de biens culturels ethniques […] qui sont détournés comme souvenirs touristiques ou objets décoratifs.". S’ils sont en céramique, et non en bois, c’est que "ce matériau fragile et friable les rend inadaptés à leur usage d’origine."

Je renvoie à la lecture de l'excellent article de Bénédicte Bonnet Saint-Georges https://www.latribunedelart.com/

(1) Fontaine à café montée, Japon, Arita, 1690-1700. Porcelaine à décor d’oxyde de cobalt sous la glaçure ; Monture : Europe du Nord, Provinces-Unies (?), vers 1700. Achat à la galerie François Hayem, Paris. Acquisition réalisée avec le soutien du FRAM et du Conseil départemental du Morbihan ; Ville de Lorient - Musée de la Compagnie des Indes. Affiche de l’exposition Café, plaisir au goût d’amertume [figure une "cruche" du même genre que celle exposée au musée du Luxembourg, Paris]. Musée de la Compagnie des Indes, citadelle de Port-Louis, Port-Louis (56), du 30 avril au 15 décembre 2022.

 

 

 

 

Miroir du Monde. Chefs-d’œuvre du Cabinet d’art de Dresde / Spiegel der Welt. Meisterwerke der Dresdner Kunstsammlungen

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2022.

14 septembre 2022 - 15 janvier 2023

Musée du Luxembourg - 75006 Paris

Commissariat de Claudia Brink, conseiller scientifique aux Staatliche Kunstsammlungen Dresden

Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais en collaboration avec les Staatliche Kunstsammlungen Dresden.

 

 

 

 

Tag(s) : #Expositions Paris
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