Une BEN édiction ! L’ego indestructible de Ben prend le pouvoir à la Fondation du doute à Blois
Marie-Christine Sentenac
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Un rendez-vous avec Ben est toujours la promesse d’un moment exceptionnel, inoubliable.
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Provocateur, charmeur, s’il aime et sollicite les questions, il préfère surtout y répondre (… « j’aime parler mais je n’aime pas accaparer »…). Même à celles que l’on n’aurait pas eu l’idée de lui poser, riant de bon cœur à ses propres histoires.
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Le 24 septembre 2022, la Fondation du Doute (créée en 2013) célébrait le 60ème anniversaire de Fluxus. Journée festive qui inaugurait un nouvel accrochage et de nouvelles œuvres d’une cinquantaine d’artistes de ce mouvement d’avant-garde créé en septembre 1962 lors d’un concert à Wiesbaden (Allemagne) et la nouvelle exposition de Ben Vautier (Naples,1935) L’Ego Indestructible.
« Créer c’est douter et douter c’est créer » inscrit sur un frontispice de l’ancien couvent des Minimes qui abrite la collection permanente sur deux niveaux, est le mot d’ordre de Ben.
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
L’artiste niçois est chez lui à Blois depuis 1995, alors qu’à l’initiative de Jack Lang, maire de la ville, Le Mur des Mots, envahit la façade de la cour de l’École d’Art et du Conservatoire de Blois/Agglopolis. Appelé désormais Le Mur de Ben, 313 plaques émaillées, noir et blanc -iconique - et couleurs pétaradantes, rétrospective de ses tableaux-écritures (distillant ses fameux aphorismes) invitent le visiteur à pénétrer dans ce qui n’est pas un musée mais un Magasin de Souvenirs. Sa participation est attendue et largement sollicitée, on le souhaite acteur, la Fondation veut être une coopérative d’expériences.
Salle de la musicalité - Fondation du doute. Vue générale : Philip Corner, La Monte Young, Milan Knížák © Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Porte ouverte sur le « non art » plus de 400 œuvres issues de la collection historique personnelle de l’artiste « je suis un collectionneur voleur », de celle de Gino di Maggio, directeur de la Fondazione Mudima (Milan) et de celle de Caterina Gualco, galeriste à Gênes pendant 50 ans, désacralisent la notion d’œuvre d’art, son statut, celui de l’artiste et des institutions. Post Dada, interactif, Fluxus s’attaque aux définitions traditionnelles, réfutant la valeur marchande et le côté institutionnel avec humour et autodérision. Fluxus se joue de tout, de la vie même. On connaît le mot de Robert Filliou « L’art, c’est ce qui rend la vie plus belle que l’art » et « L’art c’est la vie » de Marcel Duchamp, suprême figure tutélaire. (1)
Milan Knížák, Sans titre, 1990. Collection Gino Di Maggio © Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Fluxus, le terme, fait référence aux flux organiques et vise à purger l’art de la maladie bourgeoise, de la culture intellectuelle, de l’art mort, de l’art abstrait et de l’art de l’illusion comme Georges Maciunas l’écrit dans son premier Manifesto en 1963.
La présence - Fondation du doute. Wolf Vostell, Fandango (détail), 1975-1977. Collection Gino Di Maggio © Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Anonymat, collectif, anti-individualisme en sont les maîtres mots. Le musicien new-yorkais d’origine lituanienne, chef de file du groupe, réunissait autour de lui des personnalités aussi singulières et différentes par leurs origines que par leurs pratiques; Yoko Ono, John Cage, Wolf Vostell et Joseph Beuys (ennemis jurés), Georges Brecht, Robert Filliou, Allan Kaprow, Ben Patterson, Jean-Jacques Lebel… et BEN qui signe tout, du moindre objet trivial aux travaux des autres. On voit apparaître le Mail art (les créations plastiques font le tour du monde via le courrier postal, Ray Johnson envoie des milliers d’enveloppes à des célébrités ou des inconnus).
Daniel Spoerri, tableaux-pièges astro-gastronomiques, 1975. Collection Gino Di Maggio © Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Les Happenings, le Eat Art (Daniel Spoerri et ses tableaux-pièges, restes de repas, vaisselle, débris collés sur une table accrochée comme un tableau), l’Art vidéo (Nam June Paik, substitue l’écran de télévision à la toile), les performances (en 1952 John Cage compose 4’33 de…silence), le Minimalisme (économie de moyens), l’Art-amusement (actions de rue, boites de jeux…). « Fluxus ne peut pas être défini de trop près » dixit Dick Higgins.
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Ben ne tarit pas d’éloges sur ses compagnons de route et propose un tour dans les collections permanentes avant de faire visiter l’espace où il présente son Ego Indestructible dans le pavillon d’exposition construit dans la cour.
… « Fluxus c’est l’histoire d’une bande de ratés qui ont réussi à entrer dans l’histoire de l’art »… Ils ne sont plus nombreux à pouvoir le contredire ! « L’esprit Fluxus c’est se poser des questions. L’art vit dans l’ego et l’ego j’en ai marre…Tout ce qui veut survivre c’est de l’ego. »
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Pour étayer son propos Ben brandit un petit carnet noir, titré de blanc (bien sûr) L’Ego Indestructible : « … je profite de cette expo à la Fondation du doute de Blois pour faire le point dans ma tête sur l’EGO et Fluxus … je jette à l’eau mes pensées comme elles me viennent, c’est des bêtises que j’ai écrites mais ça me plaît .»
Il commente les pièces ludiques qui enchantent les regardeurs et raconte mille anecdotes loufoques; « Sur la promenade des Anglais, assis sur un banc, je brandissais une pancarte : Je regarde passer les femmes…».
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Ses souvenirs l’enchantent. «…Georges Brecht c’est le plus grand !…Un jour à New-York il a exposé dans une grande galerie un portemanteau, tout le monde y a accroché son vêtement et on cherchait son œuvre, (il rit), il a gagné, il a transformé son œuvre en vie, il a gagné. ».
Comme là je transforme SA pièce en vie, je suis assis sur SA chaise, appuyé sur SA table sans socle …C’EST RADICAL…»
Il adore décrire les concerts, l’origine du mouvement, performances où chacun pendant moins de deux minutes se soumettait aux applaudissements.
« Moi, je mettais la musique d’ Il était une fois dans l’Ouest. Je descendais dans la salle et je commençais à taper sur tout le monde. Les gens étaient interloqués puis bagarre générale, la musique s’arrêtait, je remontais sur scène, je saluais…au suivant…». Avec la complicité du directeur du lieu, Alain Goulesque, il mime les différents tableaux, à l’époque listés dans un répertoire où chacun puisait au gré de son humeur et de sa fantaisie une de ses pièces où celle d’un alter ego … de Robert Watts les partitions auxquelles on met le feu, le violon de Nam June Païk que l’on massacre devant une audience médusée … on pourrait l’écouter pendant des heures.
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Dans l’espace d’exposition où il étale son Ego Indestructible un tableau noir rempli de questions colorées, une grande table ronde « comme à Yalta », chaque place signalée par un carton (Roosevelt, Staline, Marcel Duchamp…) crayons et cahiers attendent le public qui peut siéger et poser des questions auxquelles Ben répondra. Elles sont épinglées aux murs.
Comme le ring qu’il avait utilisé en 2013 pour sa première intervention, le lieu suggère des débats, des combats d’idées dont au programme :
L’ego et Fluxus, l’ego des nations, l’ego des médias, l’ego et l’univers, l’ego et le conflit en Ukraine, l’ego et la vie de tous les jours …«… ce sont des mécanismes comme un engrenage ...».
Ma question : Cher Ben, l’absence d’ego n’est il pas aussi une forme d’ego… Majuscule ?
Blois n’est peut-être pas le centre du monde, mais sans conteste le centre mondial du questionnement. « Je joue les philosophes… je me pose des questions sur l’art et ses limites. Je m’intéresse à la science, à l’astronomie, à la taille de l’univers et des milliards et des milliards d’années qu’il y a devant nous...Je fais de la science-fiction. J’ai découvert et je suis à la recherche scientifique de la particule de l’ego, elle existe !… je suis devenu un philosophe de bistrot. On se réunit avec quelques copains devant une bière dans un bar de la place Garibaldi (Ndlr à Nice) et on philosophe !». Il a d’ailleurs absolument voulu que le café Fluxus, rempli de ses tableaux- écritures fasse partie du projet ; on y trouve la FLUXSHOP qui propose des Fluxkit et des Fluxbox, et pour l’occasion la sans doute une bière ambrée. Tout est réuni pour que le Fluxfan puisse s’adonner à sa Flux passion.
D’aucuns ont d’ailleurs traité ce gamin facétieux de commerçant, … « il y a eu un grand débat dans la famille, Ben tu es une pute, Ben tu fais de l’argent, Ben tu te galvaudes … Ben tu fais des gadgets… » depuis que cahiers, trousses, tee-shirts, bérets véhiculent dans les salles de classe, les cours de récréation et partout, la bonne parole en caractères enfantins bien ronds. Ben s’en moque, c’est un esprit libre … « j’essayais d’éviter d’écrire des conneries que je ne voulais pas écrire, mais je me suis dit, je veux écrire des vérités et les vérités ça peut leur faire du bien, j’ai assumé. J’adore faire des carnets. La vérité est la matière première de l’art. Fluxus est un mouvement plus important que ce que je croyais.».
Invité dans une exposition avec Arman et César, moi j’avais écrit Regardez moi ne regardez pas les autres.».
Ici le politiquement correct n’a pas court et cela fait un bien fou.
Je quitte à regret ce lieu ludique, j’ai compris, Fluxus c’est un grand ?
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
(1) http://www.lecurieuxdesarts.fr/2020/03/une-vie-pour-l-art-selon-gino-di-maggio.html
© Marie-Christine Sentenac, Fondation du doute, Blois, 2022.
Exposition de Ben : L’ego indestructible
24 septembre - 27 novembre 2022
La Fondation du Doute – 41 000 Blois
Pour le 60ème anniversaire de Fluxus, nouveau parcours de visite, nouvelles œuvres, nouveau café boutique !